La mort vue d’ailleurs

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    Si le tabou de la mort est encore très présent en Occident, ailleurs dans le monde, les rites funéraires prennent la forme de catharsis pour redonner sens à la vie et conjurer les peurs. À méditer.

     

    La négation de la mort par nos sociétés contemporaines n’est pas nouvelle. Elle a été abondamment commentée par les intellectuels européens à la deuxième moitié du XXe siècle : « Dans les années 1970, Ariès, Morin, Stiegler et d’autres dénonçaient l’escamotage des rituels, avançant l’hypothèse d’une mort taboue, cachée, qui laisserait les individus impuissants face à cet ultime passage », explique Guénolé Labéy-Guimard, sociologue et auteur d’un mémoire sur la mort et la modernité. La mort étant devenue une « fenêtre qui ne donne sur rien » [1], la société s’engage alors « dans une voie absurde [et] se nie elle-même », selon le sociologue Patrick Baudry. « Faire comme si la mort n’existait pas, ou surtout comme si elle n’avait aucune importance, caractérise une société à la fois en panne de sens et de solidarité » [2].

     

    Ainsi se retrouve-t-on aujourd’hui avec la cryogénisation [3] comme seul véritable horizon de réflexion, sous l’impulsion des transhumanistes. Un écueil partagé par les sociétés occidentales, que d’autres systèmes culturels invitent pourtant à reconsidérer : nombreuses sont les religions ou philosophies métaphysiques qui interprètent la mort comme une simple étape de la vie. À l’image, par exemple, du bouddhisme et de l’hindouisme qui croient en la réincarnation : « À la mort, la substance du corps retourne à la matière pour être éventuellement réutilisée dans d’autres corps ; le fragment de conscience libérée peut se retrouver dans d’autres entités ; la structure, le code sur la base duquel s’est développé l’être humain, survit dans la descendance génétique », détaille l’indianiste Alain Daniélou [4].

    La mort vue par le Mexique
    © Pixabay

    Chez les Toraja, la mort est fêtée de façon ludique

    Par ailleurs, des syncrétismes religieux invitent aujourd’hui à célébrer la mort par des rituels qui imprègnent fortement la vie sociale. C’est le cas du Jour des morts au Mexique, qui mélange rites indigènes préhispaniques et tradition chrétienne : lors de cette véritable fête populaire, l’espace public voit ainsi se dresser des autels où se mêlent offrandes de fleurs et de nourriture, à côté de La Catrina, célèbre squelette féminin devenu emblème national.

     

    Dans un passionnant reportage consacré aux rituels funéraires des Toraja, indigènes indonésiens vivant dans la province montagneuse du Sulawesi du Sud, le journaliste Bruno Philip raconte comment l’univers des défunts imprègne la vie de la communauté : « Pour les Toraja, il convient en effet de s’habituer à la mort des proches. Il s’agit de graduellement faire son deuil. Surtout, ne pas se précipiter : après avoir placé la dépouille mortelle du défunt dans la maison, on continue à prétendre que le mort ne l’est pas. On le nourrit, on lui parle. Les vivants se préparent à son départ vers d’autres horizons [car] les morts ne meurent pas, ils continuent de vivre au Puya, le pays des âmes. »

     

    Y est décrite une culture, fruit d’une fusion entre animisme et christianisme, où « vivre et cesser de vivre sont des notions aux frontières mouvantes » et où les funérailles, faites de sacrifices de buffle, sont l’objet d’une exaltation et d’un engouement populaires abandonnés dans nos contrées : « Ce qui reste chez nous de peur et de sacralisation excessive face à la Grande Faucheuse devenait chez les Toraja une occasion ludique de fêter la mort et la nouvelle vie qu’elle annonçait », résume ainsi le reporter.

     

    Néandertal pose la première tombe

    Replacer les rituels au cœur d’un égrégore, n’est-ce pas au fond se relier à l’un des tout premiers marqueurs sociaux de la vie humaine ? En effet, l’archéologie date de 60 000 ans la première tombe, signant ainsi « la naissance de la mort » : « Néandertal a eu en premier cette conscience et ce respect de la dépouille de l’être inhumé, explique Edith Gauthier. Pourquoi ce premier rite funéraire ? Ces humains avaient-ils la conscience que quelque chose devait perdurer dans les mémoires ? » [5]

     

    Par Barnabé Binctin

     

    Cet article vient compléter le dossier « Mourir en paix et proche de la nature » paru dans Kaizen n° 35.

    [1] Jankélévitch cité par Damien Le Guay dans Qu’avons-nous perdu en perdant la mort ?, éditions du Cerf, 2003.

    [2] Patrick Baudry, La Place des morts, Armand Colin, 1999.

    [3] Procédé de conservation du corps humain à très basse température dans l’espoir de pouvoir le ramener à la vie ultérieurement. Imaginée dans les années 1960, cette pratique reste encore marginale – on estime que près de trois cents personnes sont cryogénisées dans le monde. Sans aucun cas de résurrection, pour l’heure.

    [4] Alain Daniélou, Approche de l’hindouisme, Kailash, 2004.

    [5] Édith Gauthier, 5 minutes pour méditer, Zen avec la mort, Bussière, 2017.


    Lire aussi : Le premier cimetière naturel de France

    Et  Pierre Madelin : « La mort est une question fondamentalement écologique »

     

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