Vita’Rue est un festival dont l’objet est moins de faire des choses que de les faire ensemble, le tout dans la gratuité la plus totale !
Le dimanche matin, à Mulhouse, chacun est invité à participer à « Sekouévobasket ». Selon les jours, 15 à 50 personnes se retrouvent à la Maison des Berges pour une séance de course à pied. C’est parti pour une heure de sueur et de convivialité. Les plus forts cavalent devant, les déterminés gardent le cap au milieu, et les mal réveillés s’essoufflent carrément derrière. Mais quand les plus athlétiques ont fini leur tour, ils reviennent sur leurs pas chercher et encourager la queue du peloton. Voilà un résumé de l’esprit de Vita’Rue, mélange de sport et de lien social.
« Nous nous inspirons de la définition de l’OMS : La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social »
explique Stéphane, l’un des cofondateurs. Créé il y six ans par L’Élan sportif, association spécialisée dans l’accompagnement des personnes vers le bien-être à travers des activités physiques, « Sekouévobasket » est l’un des ateliers de Vita’Rue. Cette manifestation propose, chaque dimanche entre mai et juillet, pendant dix dimanches, des ateliers auxquels le public peut participer gratuitement, sans inscription ni obligation d’aucune sorte : ateliers d’écriture, de poterie, de tricot, mais aussi yoga, qi gong, musique, jeux… En général, ces animations ont lieu le matin. Vers midi, les participants peuvent déguster différents plats préparés sur place ; la journée se prolonge ensuite avec des spectacles au bord de l’Ill autour de la Maison des Berges. « J’ai confié la rénovation de cette maison à Vita’Rue avec pour seule consigne d’en faire quelque chose », explique Jean Rottner, maire de la ville. « Avec son petit grain de folie, le collectif en a fait un lieu assez magique. Qu’il y ait 600 personnes présentes certains dimanches ou seulement une vingtaine, c’est une forme de démocratie locale qui se met en marche ». À disposition sur place : tout le nécessaire pour cuisiner, mais aussi des chaises, des panneaux pour s’exprimer, des magazines, une table de ping-pong… Tous les dimanches, les pelouses se retrouvent envahies par les chaises longues multicolores, les jeux pour les petits et les couvertures pour étaler les pique-niques. « Quand je suis arrivée la première fois, j’ai été interloquée par le calme qui régnait ici. Il n’y avait ni excitation ni énervement, simplement de la bonne humeur… Cela m’a tout de suite plu », confie Marie-Thérèse qui, depuis, s’est fortement engagée dans le collectif. Les gens de passage, étonnés eux aussi, reviennent d’un dimanche à l’autre.
Bénévole : donner et recevoir
Le secret d’une telle convivialité ? « Le bénévolat ! », répond aussitôt Marie-Thérèse. Ici, tous les encadrants sont bénévoles et, du coup, les participants aux ateliers vivent l’expérience d’une manière conviviale. « L’activité est un prétexte pour être ensemble et pour faire vivre le projet. Si un bénévole ne veut plus ou ne peut plus animer son atelier, quelqu’un d’autre le poursuivra. Ou en proposera un autre… ». Ce que confirme Frédérique, bénévole depuis plusieurs années « Au début, je faisais du jardinage. Vous voyez, il reste nos bacs, là-bas, sur la pelouse. Puis j’ai eu envie de proposer un atelier d’écriture, un peu comme ceux que je fais ailleurs. Plusieurs personnes sont venues, comme Jean-François, que j’ai rencontré à un cours de chinois, ou Anne, avec qui j’avais fait du yoga. » Le tout est de donner envie de devenir bénévole à son tour. Chacun peut apporter quelque chose au collectif. Et recevoir beaucoup, aussi. Ce que David – l’autre cofondateur – résume par le « don/contre-don » (voir encadré). « Nous œuvrons pour valoriser le travail des bénévoles. Nous organisons des formations [sur le bénévolat], des conférences où les “encadrants” sont conviés. Cela passe aussi par la médiatisation [comme cet article] ou des expositions de portraits de bénévoles. L’idée est de montrer que le temps donné a une valeur. » Mais les motivations peuvent être autres. L’un des coureurs de « Sekouévobasket » a rejoint Vita’Rue car c’était le seul endroit qu’il a trouvé où il pouvait « s’entraîner en collectif, avec un véritable encadrement sportif, et sans être obligé de prendre une licence », souligne Stéphane. Quant à Nicole, elle préfère venir ici car c’est gratuit : « Avec ma petite retraite, je fais attention. » Aux K-Fées Crochet, Amy a pu rencontrer une dame ravie de l’épauler dans ses débuts au tricot.
Une utopie en marche
Vita’Rue est ainsi devenu un OSNI (Objet Social Non Identifié) très observé – et encouragé – par la municipalité. « C’est une bénédiction pour l’élu que je suis de voir autant de personnes se préoccuper de leur ville, y mettre tant d’énergie. Je trouve ces actions complémentaires à la pensée politique, en tout cas à la mienne. Je considère qu’il faut accepter de laisser faire les gens, les laisser prendre de l’élan, sans diriger ni orienter, mais simplement en arbitrant. Cela crée un réseau, une chaîne humaine, une vraie synergie : 1 + 1 = 3. Ce croisement de regards, c’est une véritable innovation sociale », déclare le maire. Il est vrai que l’édile peut se réjouir d’une telle initiative dans sa ville. À l’image de la société française, aux fortes disparités, la population de Mulhouse est très hétéroclite. Ici, en haut de la pyramide : des familles qui ont assis leur fortune sur le passé industriel de la ville ; en bas : l’un des taux de pauvreté les plus inquiétants de France ; 32 % des gens vivent en effet sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire touchant moins de 60 % du revenu mensuel médian, soit moins de 954 €[1]. Par ailleurs, Mulhouse accueille 136 nationalités et se place en deuxième position des villes de plus de 100 000 habitants les plus jeunes de France – 25,9 % de la population a moins de 20 ans. « Nous devons donc réinventer un autre modèle. Et les individus ne peuvent plus se satisfaire de l’individualisme qui règne aujourd’hui », poursuit David. « Chacun a besoin de lien social, quelque soit son statut. » C’est certainement la plus grande réussite de Vita’Rue : amener tous les publics à se croiser pour donner et recevoir.
« Mais la mixité sociale ne se décrète pas, cela se réfléchit, se cherche. Nous devons faire passer le message que nous avons tous le même intérêt. Il temps de mettre en place des synergies »
poursuit-il. Et cela fonctionne ! En rencontrant, invitant, travaillant avec tous les acteurs sociaux locaux, les postures bougent, les statuts évoluent. « Des personnes ont découvert Vita’Rue de façon “encadrée”, que ce soit des jeunes placés sous le contrôle de la Protection judiciaire de la Jeunesse ou des personnes souffrants de handicap. Aujourd’hui certains sont devenus bénévoles et proposent des activités sans leur tuteur : ils sont passés d’encadrés à encadrants ! Notre objectif est que chacun retrouve son autonomie. Cela passe aussi par le temps, long et lent, le temps de la rencontre. Raison pour laquelle le festival court sur dix semaines. »
Avec un tel foisonnement d’idées, de projets et d’initiatives, ne faudrait-il pas structurer ce collectif, en embauchant par exemple un salarié ? « Surtout pas ! », prévient David. « Cela dénaturerait complètement le projet. Nous sommes un groupe citoyen, et si un salarié prend les choses en mains, on peut craindre une cassure de cet élan. J’y vois même une contradiction avec notre projet. » Pierrick approuve : « Ce serait un autre projet. Nous avons commencé à dix personnes. Aujourd’hui, nous sommes environ 120 bénévoles, pas tous impliqués de la même façon. Chacun choisit son degré d’implication. Mais cela fonctionne ! On fait le pari que cela peut marcher sans salarié ; nous voulons aller au bout de cette idée. »
[1] Source : Compas étude no 2, août 2012
Par Virginie Pincet. Article extrait de Kaizen numéro 15.
Lire aussi : Association Rejoué, acteur d’une « économie réparatrice »
Lire aussi : Le théâtre de la vie
Bjr, je suis bénévole à l’Elan sportif et le festival Vita’rue a repris pour la saison 2015. Serait-il envisageable de mettre l’adresse du site http://www.vitarue.com/ ?
Merci à vous et chapeau à l’équipe du magazine !
Bien cordialement
Anne