Le square Saint-Laurent, à Paris, était abandonné, squatté et dégradé. Grâce à la mobilisation de riverains et de l’association Emmaüs, il est devenu une oasis. Les sans-abri y trouvent un refuge et y cultivent un jardin partagé de 350 m².
8 juillet 2015, c’est la deuxième fête annuelle du jardin Saint-Laurent, organisée par Emmaüs. Les SDF prennent tour à tour le micro. Avec plus ou moins de talent, ils entonnent un large répertoire de chansons dont L’Hymne de nos campagnes et My Way. Derbouka, guitare sèche et ukulélé accompagnent ces chanteurs et chanteuses d’un après-midi. Les applaudissements fusent et les rires éclatent. Les notes, amplifiées par des enceintes, s’envolent et arrêtent quelques passants, intrigués par le spectacle.
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Après avoir improvisé une chanson de reggae, Michael, un SDF de 31 ans, se confie : « Je viens tous les mardis après-midi. Je passe du temps avec l’équipe d’Emmaüs et certains résidents du quartier. »
Mélisse citronnelle
La musique vibre, même à travers des parcelles où poussent en silence tomates, pommes de terre, topinambours, cornichons, haricots verts, choux, roquette, plantes aromatiques – thym, mélisse citronnelle, sarriette –, courgettes, potirons, radis, tournesols et roses trémières. Toutes sont le fruit du labeur des sans-abri, des riverains et de l’équipe d’Emmaüs. Cela fait trois ans qu’ils œuvrent collectivement au plantage des graines, à l’arrosage des plants et à l’entretien de ce jardin partagé. Séverine Robic, une habitante du quartier, impliquée depuis le début dans le projet, témoigne : « Quand on jardine ici, on provoque des réactions. Les passants viennent nous voir. Ils sont étonnés de trouver un potager à cet endroit. »
Pour la récolte, c’est une autre paire de manches. Ce parc étant public, les quidams peuvent cueillir ce qu’ils veulent. Les tomates, dès qu’elles sont rouges, sont particulièrement prisées et donc rapidement récupérées, aux dépens des sans domicile fixe. Mais l’objectif final est ailleurs : « L’essentiel, pour nous, c’est de créer du lien social, d’accueillir les personnes qui vivent dans la rue, de parler d’autre chose que des difficultés de leur vie, de les occuper et de faire en sorte que ce lieu soit beau », affirme Johan Legrand-Murat, animateur socio-éducatif chez Emmaüs.
Constructions
Depuis qu’il est arrivé en septembre 2013, Johan est chargé du bricolage, du jardin et d’impulser l’énergie de ce lieu. Lui et son équipe sont présents tous les mardis et mercredis après-midi et les vendredis matin.
Dans ce square, les SDF peuvent laisser parler leur imagination. En ce jour de fête annuelle, certains font de la peinture sur coquillages, afin de décorer le jardin. D’autres ont fait des tableaux qui sont accrochés aux grilles à l’entrée du parc. Mais leur esprit créatif s’exprime aussi tout au long de l’année. Ils récupèrent régulièrement des palettes de bois et créent des installations : abris, jardinières, sculptures, etc.
Reis, un sans-abri âgé de 71 ans, très impliqué dans la vie de ce jardin, se livre : « Ce parc est important pour moi. J’y suis dès qu’il est ouvert. Cela m’occupe de l’entretenir et de créer des œuvres. »
Le responsable du site, Johan, est ébahi par le talent de ces personnes de la rue. « Les gens qui vivent dans la rue ont parfois plusieurs vies. Certains ont de l’or dans les mains : ils savent faire de la construction, ils savent peindre, ils ont des connaissances dans le jardinage… J’apprends énormément d’eux », déclare-t-il, admiratif.
Entente
Fernand Péna, musicien, est un voisin qui habite en face de la gare de l’Est. Il vient trois fois par semaine pour épauler Emmaüs depuis que le dispositif a été mis en place. « Venir ici, être au contact de ces personnes, leur parler et leur serrer la main, c’est la seule chose que je peux faire pour les aider. »
Pendant que la fête bat son plein, les SDF continuent de jouer de la musique, de chanter et de faire de la peinture. Certains boivent une bière, fument, se recueillent ou discutent entre eux. Une dame s’amuse toute seule avec un jeu à bascule sur ressorts. D’autres se servent du café et de la salade de pâtes offerte par Emmaüs.
Casimir, un vendeur de crêpes sans-abri, a pris quant à lui des photos de la fête. Dans la foulée, il a fait développer ces clichés et les distribue à qui de droit. Fernand Péna lui rend hommage, ainsi qu’aux autres SDF : « Malgré leur détresse énorme, ils sont extrêmement généreux. Personnellement, je gagne énormément à leurs côtés. »
Une retraitée qui habite depuis 1966 dans le quartier, Madame Verdier, trouve le parc « très joli » et l’événement « communicatif ». Elle insiste sur le fait que cela la change de la télévision. Elle regrette une chose, « que les sans domicile fixe ne viennent pas [lui] parler ».
À entendre les habitués de ce lieu, aucun trouble notable n’est à signaler. Bien au contraire, pour Johan Legrand-Murat : « La cohabitation est bonne. Les retours des touristes, passants et voisins sont positifs. Ils sont agréablement surpris de voir comment ce lieu vit. C’est très valorisant pour nous tous. »
Par Thomas Masson
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