Depuis mars 2014, les sans-abri et les personnes isolées ont un site Internet qui parle exclusivement d’eux. Les journalistes qui le composent – tous bénévoles – militent pour une société plus solidaire. Interview de Lauriane Clément, corédactrice en chef de Sans A_.
Kaizen : Comment est venue l’idée de média ?
Lauriane Clément : Le site Sans A_ a été créé par Martin Besson, un étudiant en journalisme, alors âgé de 19 ans. Il a toujours été sensible aux problématiques de la précarité sociale. Il a cherché une idée pour faire entendre les voix des sans-abri. Au départ, il avait imaginé la création d’un site Internet qui les localiserait et qui répertorierait toutes leurs compétences professionnelles. Finalement, il a trouvé l’idée de ce média, avec une photographe nommée Agy.
Au début, Sans A_, c’était à la fois un site Internet et une maraude. Agy et Martin allaient voir les personnes vivant dans la rue pour leur apporter du café. Puis ils recueillaient leur histoire. Afin d’être objectifs et d’avoir du recul, nous avons dû arrêter ces maraudes.
Quel est le but de Sans A_?
Notre slogan, c’est « rendre visibles les invisibles ». Nous parlons des Sans Amour, des Sans Argent, des Sans Abri, des Sans Attention, etc. Nous racontons les histoires de ces exclus, de ces laissés-pour-compte. Nous montrons ce qu’ils endurent.
Nous faisons comprendre que ces personnes font partie de la société, même si on ne les remarque plus ou pas. Notre envie, c’est de leur donner une voix.
Nous parlons de précarité sociale, économique, affective, etc. Cela concerne les anciens détenus, les sans-papiers, les Roms, les personnes handicapées qui ont des problèmes d’accessibilité et qui sont bloquées chez elles. Nous allons aussi aborder la prostitution. Tous ces sujets, il est vrai, sont assez durs.
Par notre travail, nous voulons que les internautes comprennent la vie de ces personnes. Nous espérons inspirer l’opinion publique et donner à chacun une idée pour créer un lien avec ces Sans A_. Nous avons la conviction que l’indifférence peut se transformer en autre chose.
La preuve en est avec le portrait de Brigitte, que nous avons mis en ligne fin juin 2015. En lisant son histoire, certains de nos internautes sont allés lui parler, ce qui lui a fait du bien.
Pouvez-vous donner d’autres exemples concrets de sujets médiatisés par vos soins ?
Nous avons diffusé un reportage vidéo sur le design défensif. C’est une forme d’architecture urbaine ayant pour but de repousser les SDF. Nous avons interrogé des sans-abri pour qu’ils s’expriment sur le sujet. L’un d’eux a dit : « Nous sommes des nuisibles pour les pouvoirs publics. Alors ils ont trouvé un remède pour ne plus nous voir. Mais cela réduit notre espace vital. »
Nous avons commencé un travail au long cours à Calais. Notre journaliste montre la vie de migrants dans une zone appelée « nouvelle jungle ». Environ mille personnes vivent sur une ancienne décharge municipale et construisent des abris de fortune ou des édifices religieux, le temps de rejoindre l’Angleterre par bateau.
Nous essayons aussi de parler d’initiatives positives, comme Une chorba pour tous. C’est une soupe populaire halal ouverte à tous. Nous avons aussi fait un article sur des jeunes d’une vingtaine d’années qui ont lancé une maraude avec leurs propres moyens, appelée Réchauffons corps et cœurs.
Les personnes dans la précarité ont-elles un message à faire passer ?
C’est un message individuel, pas collectif : ils racontent leur histoire, les galères qu’ils ont vécues. Par contre, ils disent souvent que l’indifférence des gens est difficile à supporter. Ces personnes ont besoin d’un lien, de parler, que nous fassions attention à eux.
Propos recueillis par Thomas Masson
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