Fin janvier 2016, l’Assemblée nationale discutait un projet de loi pour une République numérique. Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres et ex-ministre de l’environnement, en a profité pour présenter un amendement sur le revenu de base, élément essentiel dans la transformation du travail par le numérique, qui a fait disparaître un grand nombre d’emplois. En voie d’expérimentation en Finlande, il n’est encore qu’au stade de discussion en France.
Patrick lazic
Patrick lazic
Quel était votre objectif en présentant cet amendement ?
J’avais dans l’intention de faire avancer l’idée du revenu de base universel et inconditionnel au sein de la représentation nationale. Car ce débat progresse dans la société, pour des raisons écologiques, d’épuisement des ressources ou de bouleversements du travail liés au numérique. La complexité infinie des systèmes d’aides sociales et de lutte contre la pauvreté fait qu’ils n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs. Il est indispensable que les élus et l’Assemblée nationale se mettent au travail sur ce sujet dont la société s’est déjà emparée.
Qu’est-ce qui a déclenché cette idée ?
Je m’intéresse au revenu de base depuis quelque temps maintenant ; ce qui a été un élément nouveau, c’est que le Conseil national du numérique, dans son rapport du 6 janvier 2016 sur la question des mutations du travail à l’heure du numérique, a pris position pour qu’il y ait une étude de faisabilité macroéconomique et un bilan des expériences étrangères. Le Conseil national du numérique a même proposé une méthode précise pour conduire ces recherches. Pour tous ceux qui s’intéressent au revenu de base, cette prise de position du Conseil est aussi un point d’appui pour poser la question dans le débat sur la république numérique qui était le projet de loi qu’on examinait à l’Assemblé nationale depuis le 19 janvier.
Peut-on qualifier le revenu de base de nouvelle forme de solidarité ?
Oui, il s’agit de refonder ce qui est et ce que doit être la république sociale. On a une multitude de systèmes qui se sont ajoutés les uns aux autres, mais surtout qui sont fondés sur le modèle des Trente glorieuses. Je considère qu’on est aujourd’hui dans une situation radicalement différente, avec des mutations extrêmement rapides, une forme d’accélération même, qui nous imposent de reconsidérer l’ensemble de notre modèle économique, de développement et de civilisation et donc aussi notre modèle d’assurances sociales, même si, selon moi, le revenu de base n’a pas vocation à se substituer à l’assurance chômage ou à l’assurance maladie. Il simplifie un certain nombre d’aides. Je ne conçois pas le revenu de base comme une espèce de béquille, une sorte de précarité pour tous dont la complémentarité serait un revenu de base. Je le conçois plus comme le fait que la nation assure à chacun, du berceau au tombeau, une dignité qui n’enlève pas la nécessité de travailler.
Quel est l’avenir de cet amendement ?
Il a été rejeté de peu de voix. Cela a été pour moi une bonne surprise. Beaucoup plus de députés que ce que j’imaginais au départ l’ont voté. Il a fallu que la présidente recompte. C’est la deuxième fois qu’il y avait un débat à l’Assemblé nationale sur ce sujet, mais la première fois qu’il était aussi long et que la proposition était portée par des députés de différents groupes, de la majorité et de l’opposition. L’idée du revenu base est extrêmement simple, mais dans la mise en pratique des scénarios possibles, c’est plus compliqué. La proposition du Conseil national du numérique de présenter une méthode de travail me paraît intelligente. Maintenant, on peut entrer dans le vif du sujet. Je pense que c’est une idée d’avenir qui est en train de faire son chemin, bien au-delà de nos frontières, et c’est pour ça que ça me paraîtrait important que la France soit dans le peloton de tête des nations qui s’engagent dans cette voie. Un des objets du travail engagé est de faire le point et le bilan de toutes les expérimentations qui sont en cours, de toutes les conceptions différentes qu’il peut y avoir du revenu de base. J’aimerais que des délégations puissent se rendre à l’international échanger avec ceux qui pilotent les expérimentations.
Par quels arguments pouvez-vous convaincre les plus sceptiques ?
Il y en a des dizaines. Moi, comme députée, je suis tous les jours confrontée à la maltraitance administrative que vivent les citoyens, de par la bureaucratie et la complexité de tout un système d’allocations qui ne fonctionne plus. Regardez ce qu’il se passe avec le RSA : beaucoup de personnes qui y auraient droit ne le touchent pas. Si l’on veut sortir de cette forme d’impuissance, ce n’est pas par des petites réformes qu’on y arrivera : c’est en refondant le système. Et, dans un moment où, en plus, le pays s’interroge sur ce qu’est l’appartenance à la nation, refonder le sentiment d’appartenance à une république sociale qui donne à tous une reconnaissance et une dignité me paraît être quelque chose de fort. C’est une réforme extrêmement ambitieuse, qui engage un véritable changement de système. Ce qui m’inquiète, c’est que, si cette réflexion ne s’engage pas vite, les bouleversements qui sont en cours vont être beaucoup plus rapides que la capacité d’adaptation des organisations. La question est de savoir si l’on veut subir ou alors anticiper et réfléchir à ce qu’est le nouveau monde du xxie siècle et à la façon dont on veut qu’il soit.
Propos recueillis par Isaline Bernard
© Kaizen, construire un autre monde… pas à pas
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Belle initiative, courage à Delphine Batho (et à chacun d’entre nous) dans cette voie !
Que le numérique détruise des emplois, c’est un fait indéniable, mais c’est bel bien pour amener plus de productivité et de profits entre les mains de ceux qui possèdent déjà beaucoup; le débat reste encore et toujours la question des inégalités économiques et sociales; la question du partage de la richesse et du travail….. Et quand bien cela serait une bonne idée, ce qui n’est pas à nier, est ce que ceux qui accumulent sont près à contribuer à ce revenu par le biais de la répartition.