On éteint la lumière !

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    Observer les étoiles, protéger la faune nocturne et la santé humaine, économiser l’énergie : éteignons les lumières et ouvrons l’œil sur la nuit…

     

    Si la nuit est poétique, c’est parce qu’elle est obscure. Si la nuit est vivante, bruissante d’insectes, de crapauds et d’étoiles, c’est parce qu’elle n’est pas polluée par des taches de lumière artificielle. En dix ans, le nombre de points lumineux (lampadaires, vitrines et monuments éclairés) a augmenté de 30 % en France. Pourtant il existe encore quelques endroits protégés comme les Causses du Quercy, surnommés par la revue Ciel et Espace le Triangle Noir du Quercy en 2002. « On évalue la pollution lumineuse en comptant les étoiles dans un secteur déterminé. L’été à Paris, on observe quinze étoiles à l’œil nu, contre deux mille dans notre triangle », estime Philippe Canceil, le président du club d’astronomie de Gigouzac, dans le Lot. Ce sont les astronomes qui ont lancé l’alerte les premiers, inquiets de voir de moins en moins d’étoiles dans un ciel de plus en plus luminescent. Depuis, de nombreux scientifiques se sont emparés de la question.

     

    Question santé, les mammifères ont besoin du noir absolu la nuit pour fabriquer la mélatonine, une hormone produite dans le cerveau, qui agit comme un antioxydant, stimule nos défenses immunitaires et régule notre cycle de sommeil. « C’est notre hormone anti-cancer, plaide Henri Longdot, délégué de l’ANPCEN (association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne). Deux agences de l’Institut américain de la Santé ont publié en 2005 une étude montrant que les femmes qui travaillent la nuit ont un taux de cancer du sein plus élevé.

     

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    La lumière artificielle, une vraie pollution

     

    Les effets de la pollution lumineuse nocturne sont aussi flagrants sur la biodiversité. Agathe Khünel est chargée de mission Environnement au Parc Naturel Régional des Causses du Quercy. Elle explique que les chauves-souris sont extrêmement sensibles à la lumière, au point (pour certaines) de ne pas pouvoir s’approcher d’un point lumineux ni le survoler. La lumière perturbe la carte de migration des oiseaux nocturnes et oblige les batraciens à réduire leurs déplacements et leurs actes de reproduction pour ne pas être repérés par leurs prédateurs. Quant aux rapaces diurnes, ils profitent de la lumière artificielle pour chasser de nuit, ce qui perturbe la chaîne alimentaire globale. « Toutes ces modifications du comportement fragilisent les espèces et diminuent leurs chances de survie », s’inquiète Agathe. Cette pollution atteint bien sûr les insectes, très sensibles à la lumière : « Ils utilisent l’éclairage artificiel comme point de mire, comme ils le font pour se repérer avec la Lune, explique Philippe Canceil, qui se passionne aussi pour l’entomologie. Mais quand ils se rapprochent du point lumineux, ils tournent en spirale pour garder un angle constant avec lui. Ainsi piégés, 150 à 200 papillons meurent chaque nuit d’été par lampadaire. » C’est particulièrement grave pour les insectes qui ne vivent qu’une nuit et doivent se reproduire rapidement. Cette hécatombe a bien sûr un impact sur la pollinisation, déjà mise à mal le jour par l’extinction des abeilles.

     

    Forte de ces observations, l’ANPCEN propose une charte pour la protection de l’environnement nocturne. Le Parc naturel régional des Causses du Quercy est devenu partenaire en l’adaptant à la spécificité locale : des communes très rurales aux faibles capacités d’investissement. On y donne priorité à l’extinction des feux plutôt qu’à la rénovation des éclairages.

     

    Depuis 2010, sept communes du territoire ont signé la charte (bientôt neuf) et éteint les lampadaires entre minuit et 6 heures du matin (sauf une). Quatre communes ont rénové tout ou partie de leur éclairage.

     

    Et la sécurité?

     

    À Limogne-en-Quercy, le maire Francis Mercadier et son adjoint Alex Morfoise ont inscrit ce projet dans une démarche environnementale globale, mais peinent à convaincre les autres élus. Selon Henri Longdot, de l’ANPCEN, les élus locaux sont trop souvent réticents et craignent de heurter leurs électeurs. « Quand nous animons des réunions d’information, la question qui revient c’est : « Et l’insécurité ? » Or, les méfaits sont généralement commis entre 17 heures et 19 heures, explique-t-il, et lorsque les lampadaires sont éteints, les malfaiteurs n’agissent plus car ils seraient vite repérés par leur lampe de poche. » Ce que confirme Jacques Mione, premier adjoint au maire de Ballancourt (Essonne) où les lampadaires sont éteints de minuit à 5 heures depuis avril 2012 : « Lors de notre réunion publique en octobre dernier, le colonel de gendarmerie a indiqué que les vols et cambriolages avaient stagné, voire un peu baissé, depuis l’extinction, et aucune agression dans la rue n’a été signalée. De plus, les nuisances sonores ont disparu. Au début le sentiment d’insécurité a été très fort dans la population, une pétition pour rallumer les lampadaires a même été lancée, mais aujourd’hui dans les réunions de quartiers, plus personne ne soulève cette question. »

     

    Certaines villes tentent des expérimentations intéressantes pour allier sécurité et extinction des feux : à Lyon, les luminaires de certains quartiers sont éteints après minuit mais équipés de détecteurs de présence ; à Dörentrup en Allemagne, ils sont éteints après 21 heures dans des rues peu fréquentées mais les passants peuvent les rallumer durant quinze minutes grâce à leur téléphone portable.

     

    Mais la nuit noire, c’est aussi un enjeu de plaisir et de partage. Philippe Canceil garde un souvenir enthousiaste du Jour de la Nuit à Beauregard l’an dernier : « Au début, les personnes âgées trouvaient que l’éclairage, c’était plus moderne, mais très vite elles ont raconté les nuits de leur jeunesse à regarder les étoiles, à rire, à chanter… Et les jeunes ont découvert ces plaisirs oubliés… »

     

    Combien ça coûte ?

     

    À Limogne-en-Quercy (800 habitants), chef-lieu de canton, les 255 lampadaires (des cubes d’un blanc opaque vieux de 30 ans) éclairent autant la voûte étoilée que le sol… Un vrai non-sens écologique. Dans un premier temps, ils vont être équipés de programmateurs (coût total 12 000 €) pour éteindre automatiquement l’éclairage la nuit. « Cela évitera de devoir éteindre manuellement les vingt transformateurs de la commune et les rallumer le lendemain ! », expliquent le maire de Limogne Francis Mercadier et son adjoint chargé du dossier, Alex Morfoise. Ils ont prévu de changer les lampadaires par tranches dans les dix prochaines années, un budget colossal puisque chacun coûte 1 500 € (soit près de 400 000 € au total). Mais cet investissement peut être rentabilisé dans les dix à quinze ans, car il permet de réduire les dépenses d’électricité : 6 500 € d’économies sont attendues par an, sur une facture de 30 000 €. Ces économies sont d’ailleurs le principal argument auquel les administrés sont sensibles.

     

    La mutualisation, c’est possible

     

    Dans le village voisin de Beauregard (240 habitants), la rénovation de l’éclairage couronne une série de gros travaux. L’enfouissement des réseaux et l’installation de trente luminaires neufs ont coûté 55 000 € à la commune. Particularité : Beauregard a choisi la mutualisation. C’est la fédération départementale d’énergies du Lot (la FDEL), propriétaire des réseaux de distribution de l’électricité, qui a porté le projet, et qui maintenant s’occupe de l’entretien. En échange d’une cotisation de la commune (de 20 à 47 € par an et par point lumineux selon leur qualité), ce syndicat intercommunal apporte une aide technique, administrative et financière pour l’enfouissement des réseaux et plus récemment pour l’éclairage public (75 communes lui ont transféré cette compétence). Pour la rénovation de l’éclairage public, la FDEL prend en charge 35 % du montant de l’investissement, sachant que la dépose des anciens luminaires et la fourniture et pose des neufs coûte 700 € l’unité pour les moins chers, 7 000 € et même plus pour les modèles sur-mesure. « On peut gagner 40 % dans le cas d’un groupement de commandes », assure le directeur adjoint de la FDEL Cyrille Ségalard. En revanche, il n’existe plus de subvention publique pour rénover l’éclairage public…

     

    Le label Villes et Villages étoilés

     

    Depuis cinq ans, ce prix décerné par l’ANPCEN récompense les efforts de communes de toutes tailles dans la lutte contre la pollution lumineuse. Beauregard a obtenu 4 étoiles en 2012. Selon le maire Jacques Mercadier, ce label participe au rayonnement touristique de la commune.

    www.villes-et-villages-etoiles.fr

     

    Qu’est-ce qu’un bon éclairage ?

     

    On pourrait répondre par boutade qu’un bon éclairage est un éclairage éteint ! En fait, selon l’ANPCEN, c’est un luminaire dirigé vers le sol, muni par conséquent d’une vitre plate empêchant les émissions lumineuses verticales et latérales, avec une ampoule n’excédant pas 300 à 400 watts. Pour la FDEL, tout dépend de la qualité du réflecteur (qui va rabattre le flux lumineux vers le sol) et de la composition (les sources iodium et chlorure sont réputées efficaces).

     

    La loi impose l’extinction

     

    Le 1er juillet 2013 une loi sur l’extinction des lumières la nuit est entrée en vigueur, dans la lignée des idées défendues lors du Grenelle de l’environnement de 2007. Destinée à lutter contre la pollution lumineuse et le gaspillage énergétique, elle préconise d’éteindre les éclairages des bâtiments non résidentiels entre 1 heure et 7 heures du matin. Le ministère de l’Écologie, qui a toutefois dressé une longue liste de dérogations officielles, espère une économie équivalente à la consommation d’électricité de 750 000 ménages, soit 200 millions d’euros.

     

    Par Carole Testa

     

    Article extrait de Kaizen numéro 10 (septembre-octobre 2013).

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