Le théâtre de la vie

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    Quoi de mieux qu’un peu de mise en scène contre les petits et grands soucis de l’existence ? Pour ne pas laisser ceux qui souffrent dans l’isolement, Théâtre forum les invite à monter sur les planches.

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    « Le Théâtre forum, c’est un peu un entraînement à la vie, offert à tous les participants », explique Clara Guenoun. Pendant quatre mois, cette comédienne de la compagnie Nous n’abandonnerons jamais l’espoir (Naje), fondée en 1998, a animé un atelier de Théâtre forum sur le thème de l’oppression, à Saint-Denis, banlieue nord de Paris. Dans le cadre de la Démarche quartier (spécificité locale de Saint-Denis consistant à relier les habitants des différents quartiers de la ville à des fins de démocratie participative et de chaleureuse citoyenneté), la mairie avait confié à la compagnie Naje le rôle de « transformateur » auprès des habitants d’un quartier sensible, celui de Pierre Sémard. Précisions d’Ouarda Boudene, éducatrice dans un club de prévention [1] : « On a cherché à faire naître des valeurs de citoyenneté et de solidarité dans ce quartier qui manquait de lien social. Montrer que l’on peut régler les problèmes sans violence, dialoguer avec les autorités, s’approprier la parole, refuser l’injustice. » C’est ainsi que tous les mardis soirs, de 18h30 à 20h, une dizaine de participants volontaires se retrouvent dans le gymnase d’une école du quartier, gratuitement mis à leur disposition – la compagnie de théâtre est payée par la mairie. Dans ce décor coloré, aux murs couverts de dessins et au sol jonché de jeux pour enfants, ils ont livré, puis mis en scène leurs histoires.

    Des scènes de vie

    « J’avais ce conflit avec ma sœur bloqué dans la tête. Je n’en avais parlé à personne. J’avais la rage. » Quand l’une des responsables de la Démarche quartier lui parle du Théâtre forum, Fatima, 18 ans, y entrevoit une chance de réparer sa vie. Intimidée dans les premiers temps, la jeune fille finit par raconter son histoire aux participants assis en cercle autour d’elle. Le silence se fait. Puis Clara Guénoun et Émy Levy, également comédienne et animatrice à la compagnie Naje, lui proposent de jouer le rôle de sa propre sœur de 21 ans. L’idée est alors de mettre en scène une violente dispute qui les a opposées la veille au soir et de se demander ensemble comment Fatima aurait réagi à la place de sa sœur. L’une des participantes jouera son rôle, une autre, celui de sa mère. Fatima accepte.

    Les hurlements résonnent, un couteau fictif sort d’un tiroir, une fenêtre imaginaire s’ouvre vers le vide… Émue, Fatima s’assied sur un banc d’écolier et cache son visage dans ses mains. Émy vient lui parler doucement. Peu à peu, au fil des mardis soirs où elle retravaille cette scène de vie, guidée par les animatrices de Naje et épaulée par les participants qui proposent tour à tour des solutions, Fatima prend du recul : «Je me suis rendue compte qu’il n’était pas normal que ma sœur m’empêche de sortir, m’insulte, me crie dessus, menace de me tuer. Ce n’est pas comme ça qu’on règle les conflits. Avant le Théâtre forum, elle me cherchait et elle me trouvait. Maintenant, je ne la calcule plus et elle me laisse vivre. »

    L’histoire de Sandy, 32 ans, est celle d’une mère de deux enfants de 9 et 2 ans. « Chez mes parents, explique-t-elle, il n’y a jamais eu de communication. Quand j’ai eu mon premier fils, je reproduisais sur lui les schémas éducatifs impitoyables de ma mère. Après coup, j’avais toujours le cœur gros. » À la crèche où est inscrit son enfant, Sandy repère l’annonce du Théâtre forum. C’est d’abord le mot théâtre qui l’attire. Mais dès le premier soir, comme elle le raconte, le mot forum prend le dessus. Grâce au Théâtre forum, Sandy dit avoir gagné en liberté de parole comme en qualité d’écoute avec son compagnon et ses enfants. « Heureusement, j’avais un beau modèle maternel : la mère de ma meilleure amie était une maman vraiment tendre. Le Théâtre forum m’a appris que moi aussi je pouvais élever mes enfants dans l’harmonie. »

    « Et pourtant, il y a de l’espoir »

    Le Theatre

    Quatre mois après la première répétition, les apprentis comédiens sont prêts pour une représentation publique au pied d’une cité de Seine-Saint-Denis. Les trois coups du début retentissent… C’est parti ! À la fin de chaque saynète, un meneur de jeu invite les spect’acteurs à monter sur scène pour prendre la place d’un personnage. Ryad a été l’un d’entre eux : « Je suis intervenu parce que l’histoire qui était jouée a fait résonance en moi. J’ai souffert, moi aussi, d’avoir été battu pendant mon enfance. Avec mes mots et mon vécu, j’espère avoir aidé cette femme et, qui sait, d’autres personnes dans le public. Je voulais leur dire que c’est vital d’oser demander de l’aide. Parce qu’à force de porter seul cette violence sur les épaules, on risque de s’écrouler. Je vais m’inscrire à un atelier. Je kiffe trop ça ! »

    Le Théâtre forum permet ainsi à ceux qui sont éloignés de la culture de s’accaparer cette forme d’expression. Pour Clara, d’ailleurs, l’aspect théâtral est primordial : « Nous ne sommes pas en groupe thérapeutique mais bien dans une compagnie de théâtre. Ça remue de jouer ses histoires, mais c’est le fondement d’un spectacle. Et pour que le public soit solidaire, il faut prendre du plaisir à jouer et être le plus juste possible. L’histoire de Fatima doit pouvoir devenir celle de nombreux jeunes de Seine-Saint-Denis. » Diamant, autre spect’actrice, est également conquise : « Tous les fléaux de la société sont concentrés sur scène : inceste, violence, toutes formes d’abus… Et pourtant, il y a de l’espoir. C’est comme si les participants étaient devenus des solutions. »

    La Mécanique de l’instant

    Dans le studio de l’Albatros, à Montreuil (banlieue est de Paris), quatre comédiens professionnels de la compagnie La Mécanique de l’Instant, créée en 2011, testent une scène : un bénévole d’une résidence pour personnes âgées a apporté de l’alcool à une pensionnaire. Lorsque sa fille arrive, elle découvre sa mère en état d’ébriété. Un aide-soignant cherche à la calmer, en vain. Lyès Mussati et Cindy Girard, responsables artistiques de cette compagnie spécialisée dans la prévention et la santé, filment la répétition… Coupez ! « Vous avez apporté pas mal d’idées intéressantes que nous allons pouvoir jouer, analysent-ils. Il faudrait par exemple creuser la piste du bénévole qui fait part de ses problèmes de couple à la pensionnaire. Ou celle du bien-être technique, médical, qui s’oppose aux petits plaisirs de la vie. » C’est à la demande de la Fondation Anne-Marie Rivière, en charge d’améliorer le cadre de vie des personnes âgées, que La Mécanique de l’Instant planche sur ces scènes. Un moyen pour la fondation de nourrir sa réflexion sur la formation des bénévoles. Ces épisodes, tirés de moments vécus, vont ainsi être joués devant eux afin qu’ils y prennent part et s’interrogent sur leur « rôle ».

    La Mécanique de l’Instant compte plusieurs pièces de théâtre à son répertoire. Explications de Cindy Girard : « Nous nous appuyons sur les écrits contemporains de Lorette Cordrie qui, avec sa compagnie du Théâtre de Jade, pratiquait le Théâtre forum autour des thématiques de la violence scolaire, la nutrition ou encore des addictions, et ce à partir de situations vécues. Nous nous appuyons aussi sur des classiques, comme Antigone pour aborder la problématique de la citoyenneté ou Les Caprices de Marianne pour questionner les relations femmes – hommes. » Autant de pièces jouées par les comédiens de la troupe dans des collèges et lycées, en prison ou encore à la demande d’une collectivité territoriale. Et qui sont suivies d’un débat, puis d’improvisations. « On essaye d’être le moins possible dans le jugement, remarque Cindy Girard. Il n’y a pas de mauvaise ou de bonne réponse. On pose des questions afin que le public prenne conscience des conséquences d’un acte : Pourquoi a-t-on franchi la limite ? Pourquoi le désir l’a-t-il emporté sur la raison ? On détisse ainsi une situation donnée afin de comprendre ce qui a conduit à tel comportement. » Mais, rappelle Lyès Mussati, il s’agit avant tout de théâtre : « Ce qu’on apporte en plus, c’est un certain ressenti. Quand un spectateur monte sur scène pour essayer une possibilité, il dépasse le simple conseil : il incarne une solution. Grâce au comédien professionnel, qui le pousse dans ses retranchements, il se rend compte des failles de son raisonnement. C’est ça, la puissance théâtrale. Sauf qu’au Théâtre forum, au lieu de nous regarder le nombril (comme souvent dans le monde du spectacle), on va chercher le nombril de la société ! »

     

    Par Aude Raux

     

    [1] Équipe d’intervenants qui propose aux jeunes et à leurs familles une action éducative, individuelle ou de groupe, dite de « prévention spécialisée » (voir le site).


     

    Extrait de la rubrique Créateurs de culture de Kaizen 13.

     


     

    Lire aussi : Le recyclage se donne en spectacle

     

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