Demain, je télétravaille dans un tiers lieu

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    Si le télétravail peut comporter des risques d’isolement pour le salarié, l’une des solutions pour y remédier, consiste à travailler dans un « tiers lieu », entre le bureau et la maison, pour ainsi retrouver un collectif de travail stimulant et créatif.

    télétravail

    Dans l’esprit de beaucoup de managers ou de syndicalistes, les préjugés sur le télétravail sont encore tenaces. Pour les premiers, il est synonyme de travail devant la télé (téléglandouille ou pyjama toute la journée). Pour les seconds, il est encore souvent assimilé à un travail à la tâche qui isolerait le salarié chez lui.

    Force est de reconnaître que se retrouver en télétravail tout seul chez soi comporte un certain nombre de risques, parmi lesquels la perte de contact avec ses collègues, ou la désorganisation qui pousse à trop travailler – ou pas assez.

    C’est ce qu’a vécu Sophie lorsqu’elle a proposé la solution du télétravail après une mutation, pour s’épargner 2 heures 30 de route par jour et un déménagement. Malheureusement son entreprise n’a manifesté aucune politique de télétravail et Sophie s’est retrouvée livrée à elle-même dans cette démarche. « Être chez soi, ce n’est pas mal, raconte-t-elle. J’étais demandeuse, j’aime mon travail et je suis contente de ne pas avoir à me déplacer. Mais mon isolement engendre de la désorganisation. Je n’ai pas de liens avec mes collègues et je ressens très fortement la solitude. » Ce déséquilibre se traduit par des difficultés à gérer ses rythmes de travail : « Je travaille beaucoup plus, et souvent je ne m’arrête pas quand je suis lancée dans une tâche. Parfois, j’ai même du mal à m’arrêter pour les repas. Cette désorganisation atteint un tel point que je finis par haïr mon ordinateur. »

    Recréer une ambiance de travail

    Heureusement, les télétravailleurs se retrouvant dans une telle situation sont minoritaires et il existe des solutions pour éviter ces risques. La première consiste à bien gérer le passage des salariés au télétravail. La seconde est simple : ne pas rester seul et profiter de collectifs de travail comme ceux développés dans des télécentres ou des espaces de coworking (travail partagé).

    Dans ces « tiers lieux » entre le bureau et le domicile, on peut venir travailler régulièrement ou ponctuellement et retrouver d’autres télétravailleurs pour recréer une ambiance et des repères de travail. Une centaine de tels lieux existent en France et devant le succès rencontré, leur nombre devrait bientôt doubler. Un service très précieux en milieu rural où ils se font plus rares.

    Face à ce constat, le département de l’Orne, en Normandie, s’est lancé dans la création de 10 télécentres à l’initiative de Zevillage.net.

    La commune de Boitron a ainsi créé, en septembre 2010, le premier télécentre du réseau ornais. Une école « classe unique » a été réhabilitée pour s’adapter à ce nouvel usage : on y a créé deux bureaux privatifs ainsi qu’une grande pièce utilisée pour du coworking, des réunions ou des formations. Un investissement à la mesure d’une petite commune rurale de 360 habitants : 15 000 euros de la commune et 5 500 euros du conseil général ont été affectés à la réhabilitation, auxquels le conseil régional a ajouté 50 000 euros pour le raccordement en très haut débit (20 Mo symétriques de débit).

    La commune a confié gracieusement la gestion du lieu à une association, « Boitron à Très haut débit », qui facture l’utilisation, généralement au mois (30 à 50 euros selon l’usage) et prend en charge les frais de connexion à l’Internet. Les douze membres peuvent utiliser le lieu selon leurs besoins, ponctuellement ou régulièrement, 24h/24. Ils organisent également entre eux des événements, des formations bénévoles et des moments de convivialité autour de repas partagés – en France, c’est bien connu, le lien se crée autour de la table…

    Améliorer la productivité

    Dans la limite des usages professionnels, la commune organise aussi dans cet espace des formations grand public, des sensibilisations à l’informatique ou à l’Internet pour les jeunes ou les anciens, dispensées par des bénévoles. Cet aspect « multiservices » est important pour amortir l’investissement des travaux mais aussi pour croiser les publics et créer du lien social. Une dynamique qui fait connaître le lieu, ses usages et permet de recruter des membres professionnels.

    Jean-Luc, chef d’entreprise et utilisateur du télécentre, n’y voit que des avantages : il y fait étape pour ne pas perdre de temps entre des rendez-vous. Ce système lui a aussi permis de mettre en place le télétravail dans son entreprise en puisant des compétences hors département. Le directeur des ressources humaines de Steria, société de services en ingénierie informatique, a confirmé lors du tour du France du télétravail en décembre 2012 que cette organisation avait aussi des vertus pour les grands groupes, améliorant le bien-être et la qualité de vie des salariés et induisant par là une meilleure productivité. Enfin pour les entreprises en quête d’espace, une telle solution peut être avantageuse.

    Le cas de Boitron n’est pas isolé, le télétravail se développe rapidement en France : 16,7 % de la population active y a recours, dont 14,2 % pour les seuls salariés du privé et du public. Il préfigure de nouvelles organisations professionnelles qu’il est nécessaire d’accompagner par une conduite du changement mais aussi par l’éclosion de tiers lieux publics et privés.


    Comment réussir le tiers lieu

    Malgré la jeunesse des tiers lieux professionnels, on peut dégager quelques règles de succès :

    • Small is beautiful : pas de projet surdimensionné
    • Mutualiser le lieu pour croiser les publics et amortir les investissements
    • Du très haut débit pour accéder aux usages professionnels actuels
    • Bâtir un réseau humain autour du tiers lieu
    • Créer un lieu qui donne envie de s’y rendre (esthétique, pratique, accessible)
    • Favoriser le coworking, on cherche à relier des personnes
    • Penser aux animations pour dynamiser l’endroit

     


    Le télétravail côté employeur

    Le télétravail se prépare, c’est même le secret de sa réussite. D’autant plus que l’employeur est tenu de respecter un certain nombre d’obligations fixées par l’Accord national interprofessionnel de 2005 et la loi du 29 février 2012.

    Tout d’abord, le télétravail ne peut se mettre en place que sur la base du volontariat ; le refus d’accepter un poste en télétravail n’est pas un motif de rupture du contrat de travail. Ensuite, la nouvelle organisation de travail à distance doit être contractualisée (accord collectif et/ou avenant au contrat de travail). Enfin, les deux parties ont la possibilité de demander à mettre un terme à ce système si elles le souhaitent.

    Les textes insistent sur le fait qu’un télétravailleur est un salarié comme un autre. Il conserve donc tous ses droits – à la retraite, à la formation, aux congés, etc. Certaines entreprises poussent même la logique jusqu’à attribuer des chèques restaurant à leurs télétravailleurs.

    L’employeur doit veiller à préserver des retours suffisamment fréquents du télétravailleur dans l’entreprise pour éviter l’isolement et la coupure avec le collectif de travail. Sauf exceptions, on estime que 3 jours en télétravail par semaine sont un maximum.

    En outre, même s’il faut concentrer les efforts du projet télétravail sur les personnes elles-mêmes (formation au télétravail et au management à distance, création d’un climat de confiance…), les aspects techniques ne doivent pas être négligés. L’employeur veillera a ce que le télétravailleur soit bien équipé à son domicile (ordinateur, connexion à l’Internet), dispose d’un service d’assistance à distance et soit défrayé pour l’électricité et le chauffage. Beaucoup d’employeurs optent d’ailleurs pour une indemnité forfaitaire.

     

    Le télétravail côté salarié

    (Valable aussi pour les non-salariés qui travaillent à domicile)

    teletravail

    Pour éviter de tomber dans une mauvaise gestion de son temps, le télétravailleur doit apprendre à s’organiser. Il évitera ainsi de squatter son canapé à longueur de temps ou, au contraire, de rester rivé 18 heures par jour à son ordinateur.

    Il doit recréer chez lui un rythme de travail de bureau, d’autant plus important que l’accord passé avec l’employeur aura fixé les heures auxquelles le salarié peut être joint chez lui. Apprenez à gérer l’articulation entre votre vie privée et votre vie professionnelle, à prévenir vos proches que ce mode de travail ne signifie pas une disponibilité pour les tâches domestiques pendant la journée.

    Un cadre horaire rigoureux permettra de mieux s’en affranchir si besoin, pour emmener les enfants à l’école, pour se rendre chez le dentiste ou pour une petite sieste par exemple (prévenez toutefois votre employeur ou vos clients si vous devez vous absenter).

    Il préférable, pour respecter cette bonne organisation, d’aménager un bureau à domicile – ou du moins un espace réservé au travail. L’imagerie du télétravail montrant des mamans connectées à leur ordinateur avec un enfant sur les genoux est séduisante mais complètement irréaliste.

    Pensez aussi à l’ergonomie de votre poste de travail : hauteur du bureau, orientation de l’écran d’ordinateur pour ne pas être ébloui, confort et réglage de votre siège.

     

    Par Xavier de Mazenod

     


    Extrait de la rubrique Et si on le faisait de Kaizen 6.

     

    3 Commentaires

    1. Très intéressant, les tiers-lieu c’est l’avenir de tout façon ! Mais je me demande comment est rentabilisé l’investissement du point de l’organisation fondatrice du lieu à chaque fois qu’ils sont créés ? J’imagine qu’il faut forcément accueillir des travailleurs indépendants et réguliers parmi les télé-travailleurs, les entreprises ne vont pas payer pour que les salariés puissent accéder à un tiers-lieu plutôt que d’être chez eux…

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