Cultivons les graines dans les bibliothèques

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    Banque de semences, prêt de vélo, cours de tricot : deux femmes réinventent le rôle de la bibliothèque municipale contemporaine.

    La bibliothèque municipale de Fairfield dans le Connecticut ressemble à s’y méprendre à ses consœurs. Mais entre les œuvres de fiction, les magazines et les ordinateurs, un écriteau indique « bibliothèque de graines ». Dans les tiroirs, des semences de fruits et légumes. Le principe, simple, est calqué sur le prêt de livres : un catalogue de semences répertorie les centaines de graines « empruntables ». Des oignons de Southport, qui faisaient la fierté de la ville il y a cent ans, aux dizaines de variété de haricots, de choux et de tomates, on trouve de tout dans les rayons. Chacun peut utiliser autant de plants qu’il le souhaite, manger sain tout l’été, faire sécher quelques graines et restituer son emprunt dès la génération suivante.

    Lynda Quinn2 web

    Ce samedi, Kate Carroll est venue rapporter des graines de tomates. « On peut obtenir 20 graines avec une seule tomate. C’est incroyable, j’ai pu rendre tout ce que j’avais emprunté avec un seul fruit ! » Kate est une habituée du jardinage, mais cette sexagénaire n’avait pas conservé de graines depuis son enfance. « Désormais je me sens davantage connectée avec mes plantes. Et comme les semences sont gratuites, je fais plus d’expérimentations, s’enthousiasme-t-elle. Je me demande bien ce que vont donner mes tomates cerises noires cette année… ».

    L’idée de la banque de semence a germé dans l’esprit des bibliothécaires Nancy Coriarty et Mary A. Coe il y a trois ans. Ferventes partisanes du manger sain, bio et local, convaincues que le jardinage est un savoir ayant toute sa place dans une bibliothèque, elles ont visé juste. Fairfield dénombre 60 000 habitants mais sa bibliothèque est la plus active de toute la Nouvelle-Angleterre, région comprenant six Etats du Nord-Est du pays.

    Un système autosuffisant

    « J’ai emprunté des graines dès la première année avec mon fils de 13 ans et ma fille de 9 ans, se rappelle Lynda Quinn. L’an dernier on a récolté des graines de tomates qu’on a pu retourner à la bibliothèque, en revanche nos graines de laitue et d’épinards ont moisi… ». Les échecs des jardiniers en herbe sont compensés par les retours des plus avertis, ainsi le nombre de graines reste stable. Les utilisateurs sont incités à rendre des semences, mais aucune pénalité n’est prévue dans le cas contraire ; le système repose sur la confiance. Et ça marche. Tommy, le fils aîné de Lynda, a maintenant 16 ans. Il se rend seul à la bibliothèque et y consulte des livres de recettes pour savoir quoi planter. Cette expérience lui a donné envie de devenir chef cuisinier !

    Les quelques paquets de graines de départ ont été donnés à Nancy et Mary par Baker Greek Heirloom Seeds, l’entreprise détenant le plus important catalogue de semences de variétés anciennes aux Etats-Unis. Des graines garanties sans OGM, bio et non brevetées : l’entreprise autorise la reproduction des semences, ce qui devient de plus en plus rare au pays de Monsanto. Deux subventions leur ont permis d’acheter les quelques tiroirs nécessaires et l’ordinateur portable dédié au catalogage de graines. Aujourd’hui, la banque est autosuffisante.

    La bibliothèque du XXIe siècle

    A gauche Nancy Coriary et a` droite Mary A. Coe2 web

    Les utilisateurs passent littéralement des heures à consulter le catalogue et à recopier les instructions pour l’arrosage et l’ensoleillement. Pas de rush comme dans les magasins. « Les trois quarts des usagers jardinent déjà, ils viennent ici pour essayer de nouvelles cultures, remarque Nancy. Et parce que tout est gratuit, ajoute-t-elle en souriant. Notre défi maintenant est d’initier des débutants. » Un défi qu’elles sont en passe de relever avec l’aide d’Eric Frisk, un volontaire du jardin communautaire situé à quelques pas de la bibliothèque. Depuis qu’il enseigne le b.a.-ba du jardinage au sous-sol, des novices s’essayent à faire pousser quelques légumes et à récolter leurs graines.

    A l’inverse, certains viennent à la bibliothèque pour la première fois parce qu’ils ont entendu parler de la banque de semences. Puis ils empruntent des livres de jardinage, des DVD, des œuvres de fiction… et deviennent des utilisateurs réguliers. « Le rôle d’une bibliothèque ne se limite plus au prêt de livres, estime Mary. Nous devons nous réinventer et aller à la rencontre des gens. » Une expression qu’elle suit à la lettre, Fairfield étant la seule bibliothèque des Etats-Unis où l’on peut « emprunter » un bibliothécaire pour présenter une animation, dans une classe ou une maison de retraite par exemple.

    Nancy et Mary s’inspirent de visionnaires comme Andrew Carnegie, qui estimait au siècle dernier qu’on devrait pouvoir emprunter des instruments de musique ou des peintures en bibliothèque. A Fairfield, toute personne dotée d’un savoir à apporter peut y organiser une conférence ou constituer un groupe. Une ancienne professeur d’histoire initie les habitants à la peinture du XVIIIe ou aux conquêtes napoléoniennes ; le sous-sol accueille des cours de couture, de raccommodage et d’échecs. Depuis que la police municipale leur a fait don de quatre bicyclettes, les bibliothécaires envisagent même de se lancer dans le prêt de vélo.

    « Tout ce que nous proposons est gratuit », précise Nancy. Il n’y a pas même besoin de carte de bibliothèque pour utiliser la banque de semences ou prendre part aux activités proposées. La bibliothèque, entourée d’une école primaire et secondaire, d’un jardin communautaire, d’une maison de retraite, d’une église et d’une synagogue, a su fédérer les bonnes volontés. De nombreux autres établissements leur demandent aujourd’hui conseil, une trentaine de banques de semences ont déjà essaimé sur le territoire américain.

     

    Texte et photos : Christelle Gerand

     

    Extrait de la rubrique Yes They Can de Kaizen 9

    Commander Kaizen 9

     

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