Bookcrossing : Un inconnu vous offre des livres

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    Libérer des livres pour faire du monde une bibliothèque : tel est le rêve des adeptes du bookcrossing. Ce phénomène, qui connaît de nombreuses déclinaisons, est aussi créateur de lien social.

    bookcrossing

    Au café parisien Le Petit Châtelet, chaque deuxième mardi du mois, des piles de livres envahissent la salle du sous-sol. Et une drôle de rumeur emplit l’espace : des femmes et des hommes de tous âges et de tous horizons professionnels parlent littérature en s’échangeant des ouvrages. Il est aussi question de « libération » et de « chasse », des termes qui semblent incongrus dans la bouche des membres d’un club de lecture… Il s’agit en réalité d’une rencontre de bookcrosseurs.

    Le bookcrossing (de book : livre et crossing : passage), système d’échange de livres, a été inventé par Ron Hornbaker, un Américain amoureux des livres et expert en sites Internet communautaires. En 2001, il a l’idée de concevoir une plate-forme Web sur laquelle il sera possible d’attribuer un numéro à un livre pour suivre son périple. Car, pour un bookcrosseur, un livre a bien mieux à faire que de prendre la poussière sur une étagère. Au contraire, les livres doivent avant tout voyager pour rencontrer le plus de lecteurs possibles. Ces derniers pourront ensuite partager leurs impressions sur le site et libérer à leur tour l’ouvrage qu’ils avaient attrapé. Aujourd’hui [novembre 2014], Bookcrossing.com possède une communauté de plus de 1,3 million de bookcrosseurs, et presque 10,6 millions de livres répertoriés sont en circulation dans le monde entier. Autant dire que le bookcrossing est loin d’être un club sélect !

    Une rencontre : du virtuel au réel

    Mariesg – c’est son pseudo – a découvert le bookcrossing il y a huit ans, à la faveur d’un article de presse. Pour cette professeure des écoles, l’amour des livres, ainsi qu’un certain attrait pour la dimension ludique de la chose, ont fait le reste : cela lui plaît de libérer des livres, d’en trouver d’autres, et de traquer leurs destinées. Elle s’est d’abord adonnée à ces fameuses « libérations sauvages », qui consistent à laisser des livres dans des lieux publics, dans un train, sur un banc… Mais, aujourd’hui, Mariesg préfère la convivialité bien réelle des réunions au Petit Châtelet. Elle y a trouvé de véritables amis, et les discussions ne se cantonnent pas à la littérature. Quand elle voyage dans une autre ville, elle ne manque jamais de contacter les bookcrosseurs autochtones. Pour continuer à faire de nouvelles rencontres, des Méga Bookcrossings – les « MBC » – sont organisés dans plusieurs villes, à Bordeaux, Lyon ou Saint-Malo. Là, des bookcrosseurs de la France entière se retrouvent pour libérer et traquer des livres, mais surtout pour se rencontrer et échanger !

    bookcrossing
    © Pascal Greboval

    Cependant, le bookcrossing peine à trouver son élan en France. L’Allemagne est souvent citée comme l’exemple idéal dans la communauté : elle compte quatre fois plus de bookcrosseurs que l’Hexagone, et c’est le deuxième pays où le phénomène est le plus fort après les États-Unis. Pour expliquer ce phénomène, les bookcrosseurs font l’hypothèse d’une certaine méfiance des Français vis-à-vis de la gratuité : nous oserions moins nous saisir de ce qui est offert. Par conséquent, les bookcrosseurs français sont souvent frustrés du peu de retours qu’ils ont sur le site communautaire : pour une centaine de livres libérés, huit ou neuf sont pistés et commentés, et il faudra parfois attendre des années pour en avoir des nouvelles.

    Des livres à plusieurs vies

    Mais cela n’entame pas la volonté des bookcrosseurs : « Ce qui compte, c’est le processus, pas le résultat », confie Dave Way. Canadien installé à Paris depuis quelques années, il a libéré des centaines de livres des deux côtés de l’Atlantique. Il pratique uniquement des libérations sauvages, devant le Palais de Tokyo ou encore place de la République. Sensible aux idées écologiques, Dave Way envisage le bookcrossing comme la possibilité d’une nouvelle vie pour les livres, un circuit leur permettant d’éviter le pilonnage. Certaines écoles parisiennes où il enseigne lui procurent les ouvrages dont elles veulent se débarrasser.

    Grâce au bookcrossing, les livres colonisent l’espace public ; ils s’offrent aux passants, y compris à ceux qui n’oseraient pas entrer dans une librairie ou dans une bibliothèque. Entièrement gratuit, il crée une relation sociale qui n’est pas d’ordre marchand. D’autres opérations s’inspirent directement du bookcrossing, pour associer promotion de la lecture et lien social, notamment dans les quartiers défavorisés. Créé en 2004 par un conseil de quartier de la capitale, Circul’Livre met à la disposition de chacun toutes sortes d’ouvrages dans onze arrondissements de Paris. Chaque deuxième samedi du mois, le conseil de quartier Belleville Saint-Maur, dans le 11e arrondissement, installe son Circul’Livre sur une petite place. Sur des tréteaux, les livres sont rangés par genre, et les gens du quartier ou les passants sont invités à s’en saisir. Il y a aussi les habitués, qui viennent donner des livres ou rendre ceux qu’ils avaient empruntés. La lecture n’est pas systématiquement au cœur des échanges, mais on prend des nouvelles des uns et des autres et on s’inquiétera toujours d’un absent.

    Démocratiser le livre

    Le directeur de la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne (Rhône), Gérard Picot, nourrit cette ambition : rendre la lecture accessible à tous. Depuis 2013, il organise les Journées internationales du livre voyageur en invitant des responsables de bibliothèques, de librairies et de maisons d’édition, dans le monde entier, à libérer leurs livres. Les prochaines Journées auront lieu les 20 et 21 mars 2015 dans une vingtaine de pays. En 2014, plus de 10 000 livres ont été semés dans la nature à l’occasion de cet événement. À Villeurbanne et à Lyon, on a retrouvé des livres dans le panier des vélos en libre-service. L’équipe de Gérard Picot se transforme parfois également en « commando littéraire » quand elle prend d’assaut les écoles et lance des livres par-dessus les grilles ! Quels que soient le mode de libération et le public visé, Gérard Picot est toujours attentif aux livres qu’il donne à lire : il explique que la promotion de la lecture ne peut se départir d’une certaine exigence vis-à-vis de la qualité des livres libérés. Gratuité n’est pas synonyme de médiocrité.

    En 2013, Jeff Bezos, PDG d’Amazon, promettait un système de livraison ultra-rapide par drone : de la commande à la réception du livre, un délai de seulement 30 minutes pendant lesquelles le consommateur n’aura eu à parler à personne. Aux antipodes de ce système, les bookcrosseurs assument avec assurance leur réputation de « doux rêveurs » : ils laissent le hasard d’une rencontre guider leurs lectures, ils donnent à lire ce qu’ils ont aimé et ils s’empressent de partager leurs impressions. Ces bookcrosseurs pourraient presque passer pour des résistants. Des résistants discrets, mais présents.

     


    Comment devenir un bookcrosseur ?

    Le bookcrossing est un club de lecture très accueillant. On peut devenir bookcrosseur solitaire, en libérant et en chassant des livres dans la nature ou, si l’on préfère, rejoindre un meet-up, c’est-à-dire une réunion de bookcrosseurs. On peut aussi installer une boîte à livres sur son lieu de travail, dans laquelle chacun sera invité à déposer et à prendre des ouvrages. Quoi qu’il en soit, le site communautaire Bookcrossing.com est la base de l’activité de tout bookcrosseur qui se respecte. En premier lieu, il permet d’enregistrer ses livres en leur attribuant un numéro d’identifiant. Si vous voulez faire voyager vos livres, vous y trouverez également des étiquettes à coller sur les ouvrages. Sur le forum du site, on échange énormément sur ses lectures ou on renseigne sur le lieu de libération d’un livre. Le site mentionne tous les lieux de rendez-vous habituels des bookcrosseurs. À cet égard, les OBCZ, zones « officielles » de bookcrossing, sont très souvent installées dans des cafés, ravis d’accueillir cette activité conviviale.


     

     

    Claire Teysserre-Orion

    © Article publié à l’origine dans Kaizen 18

     

     


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