Yves Marignac « Le plan de sobriété du gouvernement est une solution d’urgence, pas encore une réponse structurelle »

    0
    97

    Le gouvernement a présenté le 6 octobre son Plan de sobriété énergétique. Ce sont 40 mesures qui visent à réduire la consommation énergétique en France . Yves Marignac porte-parole de l’association négaWatt réagit.

    Comment analysez-vous le plan sobriété dévoilé hier, le 6 octobre 2022, par le gouvernement ?

    Le positif l’emporte assez largement sur le négatif. C’est une excellente nouvelle parce que le gouvernement a pris en compte l’importance de la sobriété, au lieu de la moquer en la renvoyant au modèle amish. Le travail a été fait, même s’il faut nuancer selon les secteurs, en particulier l’industrie. Mais chez Négawatt on se retrouve assez bien pour l’essentiel. Donc on ne peut que saluer ce plan, même si on déplore que ça n’intervienne qu’une fois au pied du mur. Il est regrettable que ce gouvernement et les précédents n’aient pas compris plutôt la nécessite de réfléchir à un plan de sobriété. Les facteurs qui constituent la crise étaient présents et appelaient évidemment une action par anticipation.  Nous vivions dans une forme de politique d’ébriété énergétique. On vivait au-dessus de nos moyens. Le fait d’en prendre brutalement conscience met à notre disposition un très grand potentiel d’action.

    Pensez-vous qu’avec ce plan il est possible d’atteindre les 10 % d’économies d’énergie escomptées ?

    C’est la partie négative de notre analyse du plan. Il manque trois points.

    Premièrement, il manque des signes tangibles sur l’effectivité, c’est-à-dire sur les moyens que le gouvernement va allouer pour sa mise en œuvre opérationnelle. Chez Négawatt, on a calculé que pour atteindre l’objectif de 10 % dans le résidentiel et le tertiaire, il faut qu’un tiers des occupants des logements et de bâtiments tertiaires appliquent pleinement ces recommandations. Ce n’est pas rien. C’est difficile d’embarquer autant de monde dans la mise en œuvre concrète de ces gestes sur la base d’une seule et unique campagne de sensibilisation.

    Le deuxième point, est en lien avec ce premier. C’est l’évaluation et le suivi, c’est-à-dire un vrai chiffrage que l’objectif visé par chacune de ces mesures, soit atteint, et décider si on renforce les moyens dédiés à cette mise en œuvre elle-même. Et là, il y a assez peu de choses.

    Enfin, le troisième sujet, c’est la question de l’équité sociale dans la mise en œuvre de ces actions. On le sait, le public est très sensible au fait que les efforts soient justement répartis. Cela se traduit par le fait que le gouvernement envoie quelques signaux à ce sujet. Que la sobriété ne soit pas, de nouvelles contraintes mais au contraire des mesures particulières pour protéger les plus précaires. Qu’il s’agisse évidemment des ménages et des entreprises, les plus fragiles. A l’inverse le gouvernement aurait pu s’attaquer à un certain nombre de symboliques, comme la question du recours au jet privé.

    Cela veut-il dire que vous êtes partisan de plus de contraintes ?

    C’est difficile. D’une manière générale, la ligne de communication à trouver s’articule autour d’un caractère positif et mobilisateur. Il ne s’agit pas de stigmatiser certaines catégories de la population en laissant croire que c’est à elle de faire tous les efforts et que du coup, les autres n’auraient rien n’a changer. On voit bien cette tendance. À chaque fois la réponse des uns et des autres à dire « oui, mais en fait, il y a d’autres pays, d’autres voisins, untel a le potentiel de réduire beaucoup plus que moi sa consommation, etc., », ça ne fonctionne pas. Donc il ne s’agit pas de stigmatiser, même si sur certains sujets, comme la limitation de vitesse sur l’autoroute, on pense que le gouvernement n’est pas allé assez loin en imposant un passage à 110 Km/h.

    Vous parlez de symboles, prenons en un. Les panneaux publicitaires dans les gares et dans les aéroports ne sont pas remis en cause, est-ce raisonnable ?

    Les décisions en matière de curseur de sobriété doivent résulter de processus démocratiques. Prenons l’exemple des piscines découvertes qui fonctionnent tout l’hiver. Cela pose question du service que l’on maintient : Comment on les aménage ? Quelle est leur implication dans leur fonction d’apprentissage de la natation ?

    Il faut donc que les acteurs économiques s’approprient cet enjeu, cette question, quel usage on peut conserver et quel usage on est prêt à réduire, voire abandonner ? En étant coercitif on peut être contre productif et générer des oppositions. Ce qui viendrait altérer la mise en œuvre de ce plan. Mais notre sentiment, c’est que l’opinion publique est plus avancée que le gouvernement, dans la prise de conscience de la nécessité de cette sobriété. Pour preuve, le résultat de la Convention citoyenne sur le climat   Après une période de filtre intense, de six mois, par le président de la République[1], il y a quand même un certain nombre de mesures de ce plan qui peuvent ressembler à des recommandations de cette convention citoyenne.

     En France la consommation d’électricité est majoritairement réalisée par les entreprises : 67% contre 37% pour les particuliers. Or avec les annonces du plan (écowatt, télétravail) les particuliers sont-ils mis plus à contribution que les entreprises ?

    Il faut bien lire ce plan comme une réponse à l’urgence. Il vise pour l’essentiel une sobriété qu’on pourrait appeler conjoncturelle. On attendra d’ailleurs de pied ferme le gouvernement dans la suite, ayant passé l’hiver, sur le fait de changer de modèle et l’inscrire structurellement dans nos politiques. Mais l’enjeu immédiat, c’est vraiment d’aller chercher tous les gaspillages. De ce point de vue, il est assez logique de faire porter l’effort pour l’essentiel, sur les consommations d’énergie associées aux usages que nous faisons de nos différents équipements, plutôt qu’une consommation associée aux activités productives elles-mêmes, pour préserver la capacité des collectivités à maintenir les services publics et la capacité des entreprises à maintenir une activité productive. C’est essentiel à court terme pour éviter une spirale de récession. Cale n’enlève rien à la nécessité d’interroger les consommations d’énergie associées.

    C’est-à-dire ?

    Ce plan est un plan de réduction des gaspillages des usages dans une recherche de mobilisation de sobriété conjoncturelle, puisque c’est cela l’enjeu à court terme. Mais ce plan ne va que très partiellement toucher des leviers de sobriété structurelle. La question du télétravail, par exemple. Elle relève quand même pour une bonne part de leviers organisationnels. Ce n’est pas juste un changement d’usage. C’est d’une autre nature qu’un changement de température ou de chauffage des bâtiments. C’est une question structurelle directement reliée aux questions d’équité sociale. La mise en place du télétravail n’est pas possible dans les mêmes conditions pour tout le monde. Il y a une inégalité liée au fait que certains métiers sont plus “télétravaillables“ que d’autres, qui ne le sont parfois pas du tout. De plus, les particuliers sont à leur domicile dans des conditions extrêmement variables.

    Sur ce point, le gouvernement va très peu chercher ce type de leviers.

    Le gouvernement envoie des signaux contradictoires de ce point de vue-là. Puisque à la fois il a beaucoup insisté sur la nécessité de cette sobriété structurelle et sur un changement, assez profond, dans les modes de vie et les modes de consommation. Mais dans le même temps, le gouvernement et le président de la République envoient des signaux sur la nécessité de continuer à produire autant. Il y a une forme de déconnexion, de Schizophrénie presque, entre une vision portée par les enjeux énergétiques et climatiques qui conduit à consommer moins, et une vision liée à un logiciel économique, conditionnant le maintien du modèle social, orienté vers la poursuite d’une augmentation de la production au sens matériel du terme.

    La France a-t-elle assez de ressources énergétiques pour passer l’hiver ?

    Je ne suis pas très confiant. Nous sommes sans réserve de capacités nucléaires, sans réserve de capacités de gaz, sans réserve de capacité hydroélectrique. Donc, il va vraiment falloir que le gouvernement donne corps à ce plan. Car la sobriété est de nature à redonner des marges très importantes.

    [1] E Macron avait déclarait qu’il appliquerait sans filtre les recommandations de La convention citoyenne pour le climat

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici