Vivons-nous en démocratie ?

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    Texte : Cyril Dion

    Démocratie, du grec « démos » le peuple, « kratos » pouvoir, désigne pour le Petit Robert : « Une doctrine politique d’après laquelle la souveraineté (l’autorité suprême) doit appartenir à l’ensemble des citoyens ».

    Qu’en est-il réellement en France ? Voyage en démocratie…

    Les choix de la révolution française

    Les fondements de notre démocratie remontent à la Révolution Française qui en édicta les principes. A ce moment, nous apprend le site gouvernemental vie publique, les partisans d’une démocratie représentative et d’une démocratie directe se sont affrontés. Et les premiers l’ont emporté. Parmi lesquels un certain abbé Sieyès (l’un des principaux artisans de la Révolution) qui déclarait dans son discours du 7 septembre 1789 : « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet Etat représentatif ; ce serait un Etat démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants [1]. »

    Parmi les perdants, un certain Rousseau, partisan de la démocratie directe, disait quant à lui du régime parlementaire anglais : « Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien [2]. »

    Rousseau et Sieyès exagéraient-il ? Sommes-nous privés de tout pouvoir entre deux votes et une fois dotés de représentants ? Etudions plus attentivement les mécanismes de notre Vème République.

    Les pleins pouvoirs aux élus

    Tous les cinq ans, nous élisons au suffrage universel direct notre président de la République et nos députés. Tous les six ans nos maires, à échéances variables ans nos conseillers généraux et régionaux.

    Durant leurs mandats, que peuvent faire les citoyens si :

    a) leurs élus ne respectent pas la volonté populaire

    b) ils outrepassent leurs décisions (comme ce fut le cas lors du referendum de 2005 sur la Constitution européenne)

    c) ils se rendent coupables de délits divers et variés ?

    Pour être destitué, un président doit faire l’objet d’une procédure impliquant les deux chambres : Sénat et Assemblée Nationale [3]. Dans la mesure où la proximité d’un président avec les parlementaires de sa majorité est souvent grande (particulièrement depuis la mise en place du quinquennat où Assemblée Nationale et président de la République sont élus en même temps, pour la même durée, supprimant toute possibilité d’alternance et de cohabitation, sauf en cas de dissolution), il est assez improbable que cela se produise, même dans le cas où ledit président se serait rendu coupable de délits d’une certaine gravité. Le pouvoir des citoyens sur l’exécutif se fait donc par l’intermédiaire du législatif.

    Hic, du côté des parlementaires, les citoyens n’ont pas de pouvoir non plus. Ils n’élisent pas directement les sénateurs et ne peuvent destituer un député. Comme il est clairement expliqué sur vie publique : « Les parlementaires ne sont pas tenus par un mandat impératif de leurs électeurs. Ainsi, même si les élus ne respectent pas leurs engagements de campagne, leurs électeurs ne peuvent écourter leur mandat. Cette règle permet de préserver la liberté d’opinion des parlementaires, notamment dans leur appréciation de l’intérêt général. »

    Le pouvoir sur le législatif est en réalité du côté de… l’exécutif ! Le président peut dissoudre l’Assemblée et provoquer de nouvelles élections législatives.

    Ces deux pouvoirs sont eux-mêmes contrôlés par le judiciaire (dans une certaine limite pour l’exécutif qui bénéficie d’un statut pénal particulier). Les citoyens ont-ils alors le pouvoir d’élire les magistrats, garants de l’intégrité des autres pouvoirs (comme aux Etats-Unis) ? Non. Les juges sont nommés par le Garde des Sceaux. Est-il élu par les citoyens ? Pas plus. Il est nommé par le Premier ministre, lui même nommé par le président de la République.

    Les pouvoirs du citoyen

    Alors quel pouvoir reste-t-il aux citoyens souverains que nous sommes entre deux votes si l’une des situations a, b ou c se produit sans être résolue ?

    La Constitution de 1958 stipule que « La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Très bien. Il nous reste donc, outre le vote, le référendum, seule voie permettant aux citoyens de participer directement à l’élaboration de la loi (fait possible, mais extrêmement rare, qui se produisit trois fois dans la Vème République). Seulement voilà, le référendum ne peut être organisé qu’à l’initiative… d’élus. Généralement du président de la République.

    Autre problème, les élus sont en mesure de contourner le vote populaire par référendum comme ce fut le cas avec celui organisé sur la Constitution européenne de 2005. 55% des Français ont voté non à sa ratification. Quatre ans plus tard, le texte fut ratifié par le Parlement sous une autre forme (un traité), mais avec le même contenu, sans nouvelle consultation [4].

    Bref, les pouvoirs sont minces pour ne pas dire nuls. Et nous pouvons raisonnablement nous demander comme Danielle Mitterrand « Est-ce la démocratie quand après avoir voté, nous n’avons pas la possibilité d’avoir de l’influence sur les élus ? »

    Décrochage

    Alors, que faire lorsque nos représentants n’apportent pas de réponses à des problèmes aussi cruciaux que le chômage de masse, le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources, la disparition accélérée des espèces vivantes, la faim dans le monde… ?

    Et qu’à chaque nouvelle élection, les mécaniques des grands partis poussent à une alternance entre deux formations qui ne proposent rien de nouveau ? Et qu’à chaque nouvelle élection nous sommes confrontés à la douloureuse sensation de choisir par défaut, en nous demandant parfois si ce geste, acquis de haute lutte, sert encore à quelque chose d’autre qu’éviter la montée au pouvoir des extrêmes ?

    Et ailleurs ?

    Dans d’autres pays d’Europe et du monde, nombre de mécanismes institutionnels permettant aux citoyens de participer activement aux orientations politiques, pourraient constituer un début de réponse.

    En Suisse, l’initiative populaire permet aux citoyens de proposer des modifications constitutionnelles ou des textes de lois (récemment l’interdiction des parachutes dorés).

    Aux Etats-Unis, les habitants de Nouvelle-Angleterre se réunissent en assemblées – New England town meetings – pour décider des lois et des budgets de leurs villes. Les citoyens de nombreux états peuvent révoquer des élus par la procédure dite de recall (utilisée pour destituer le gouverneur de Californie en 2003), édicter des lois et modifier leur constitution.

    En Equateur ou au Venezuela, sont également inscrits dans la constitution des référendums révocatoires à destination des élus qui ne remplissent pas leur mission. Dans l’Union européenne l’ICE (Initiative Citoyenne Européenne) permet à un million de citoyens venus de sept pays de soumettre une loi au Parlement.

    Tout ceci contribuerait grandement à faire coopérer élus et citoyen, à créer de féconds rapport de force, susceptibles d’enclencher de véritables transformations sociétales. En n’oubliant pas qu’une vraie démocratie est avant tout une histoire de conscience et de responsabilité de chacun d’entre nous. Comme l’écrit Rousseau dans Du Contrat social : « S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un régime si parfait ne convient à des hommes. »


    [1] Archives parlementaires de 1787 à 1860, Librairie administrative de Paul Dupont, 1875

    [2] J.J. Rousseau, Contrat social, livre III, chapitre XV

    [3] Réunis en Haute cour : modification constitutionnelle de 2007

    [4] Une révision de la Constitution française, effectuée par la voie du Congrès le 4 février 2008 au Château de Versailles a permis la ratification du traité lui-même par la voie parlementaire le 8 février

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