Le patrimoine financier des 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que celui de près de 50% de la population française. Dans une étude publiée ce 23 février, Oxfam et Greenpeace France mettent en lumière les inégalités climatiques et préconisent un Impôt sur la fortune (ISF) climatique.
Jets privés, yachts, avions… Le mode de vie des milliardaires est souvent pointé du doigt pour ses fortes émissions carbone, et relayé dans diverses études. Mais dans un rapport publié ce 23 février, Oxfam France et Greenpeace France ont révélé l’angle mort de l’empreinte carbone des grandes fortunes françaises : leur patrimoine financier. Selon les deux ONG, les actifs des milliardaires, via leur participation dans des entreprises polluantes, est le poste le plus important de leur bilan carbone total.
Et pour cause, le patrimoine financier des 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que celui de 49,4 % de la population française : au moins 152 millions de tonnes équivalent CO2 en une année. C’est plus que les émissions territoriales du Danemark, de la Finlande et de la Suède réunis. En entrant dans le détail, on découvre que trois milliardaires émettent plus de CO2 qu’un quart des ménages français via leurs actifs financiers. Dans ce haut de classement, on retrouve Rodolphe Saadé, patron du groupe CMA CGM, leader dans le transport maritime, Emmanuel Besnier, propriétaire de Lactalis (agro-alimentaire) ou encore Gérard Mulliez, à la tête du groupe d’Auchan. Ce dernier et sa famille émettent autant que 11 % des ménages français, soit plus que tous les habitants d’une région comme la Nouvelle-Aquitaine. Sans surprise, ces milliardaires travaillent dans des secteurs particulièrement polluants.
Pour cette analyse de l’empreinte carbone, Oxfam et Greenpeace se sont appuyés sur les actifs financiers que ces grandes fortunes possèdent dans leur « principale entreprise ». C’est-à-dire que les ONG ont attribué à chaque milliardaire une partie de l’empreinte carbone de l’entreprise dans laquelle il détient le plus de parts, dite « entreprise principale ». Etant donné que les milliardaires français possèdent des actifs dans d’autres compagnies, cette empreinte carbone demeure partielle, et donc largement sous-évaluée.
Pour un ISF climatique
Ces chiffres colossaux sont d’autant plus atterrants quand on sait que la fiscalité carbone pèse proportionnellement plus sur les ménages les plus modestes que sur les ménages les plus aisés. Comme le souligne ce rapport, la fiscalité carbone pèse quatre fois plus lourd sur les 20 % de ménages les plus modestes (en proportion de leurs revenus), par comparaison avec les 20 % de ménages les plus aisés (source : Gouvernement 2021).
« Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale »
Oxfam et Greenpeace préconisent ainsi d’instaurer un Impôt sur la fortune (ISF) climatique dès 2022 pour engager un partage de l’effort plus juste dans la transition écologique à accomplir. « Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale », peut-on lire dans le rapport, en référence à la mobilisation des Gilets Jaunes contre la hausse des prix du carburant il y a trois ans. On retrouve cette proposition d’ISF climatique dans les programmes de plusieurs candidats aux Présidentielles.
Cet impôt prendrait en compte deux variables : d’une part le niveau de patrimoine (la taille de la fortune), d’autre part l’empreinte carbone du patrimoine financier (actions, obligations, assurances-vie, etc.). Selon une estimation théorique, l’ISF climatique rapporterait au moins 6,8 milliards d’euros aux finances publiques françaises.
Les deux ONG encouragent également la mise en place d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) contraignants pour les grandes entreprises ; ainsi qu’une taxe supplémentaire sur les dividendes pour les entreprises qui ne respectent pas l’Accord de Paris.
Décarboner les outils de production
Comme l’expliquent les auteurs de ce rapport, ces mesures fiscales contraignantes pourraient inciter les catégories les plus aisées à orienter leurs investissements vers des secteurs plus « verts ». Un levier décisif pour financer la transition écologique. De plus, ces milliardaires possèdent une part importante de l’appareil de production.
« Pour garantir une transition écologique socialement juste, le changement de logiciel est simple : le poids de la transition écologique doit être transféré des consommateurs les plus précaires, qui polluent le moins, aux producteurs les plus riches, qui polluent le plus et ont les moyens de transformer ces outils de production », affirme Alexandre Poidatz, chargé de plaidoyer Finance et Climat chez Oxfam France, cité dans le rapport. En effet, ces milliardaires, de par leurs forts investissements financiers, sont en capacité de peser dans les décisions de ces entreprises qu’ils financent et peuvent mener un virage écologique dans certaines activités.
Il y a quelques semaines, une autre étude d’Oxfam, avait déjà fait grincer des dents, en mettant en évidence l’enrichissement historique des milliardaires français pendant la pandémie du Covid-19. Alors que la crise sanitaire a dans le même temps fragilisé les ménages les plus modestes.
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