Tribune de Paul Degryse :
    Quand être devient plénitude et sentiment

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    Ecrivain, initié depuis plus de 30 ans au chamanisme, Paul Degryse se définit comme un « chamane éclaireur ». A travers ses écrits et ses formations, il invite chacun d’entre nous à une réflexion sur la nature et la psyché humaine. Une forme de sagesse pour (r)éveiller les consciences. 

    Un jour Don Juan emmena Carlos[1] au sommet d’une montagne dans le centre du Mexique où ils avaient l’habitude d’errer pendant des journées entières au cours desquelles Carlos recevait toujours une leçon aussi impressionnante que surprenante.

    Après des heures de marche, ils firent une pause, contemplant un paysage dont l’horizon découvrait des crêtes rougeâtres à des dizaines de kilomètres de là.

    Un spectacle à couper le souffle de beauté. Absorbés et comme hypnotisés par l’immense majesté de la situation, aucun des deux ne semblait pouvoir prononcer un mot.

    Au bout d’un long moment, Don Juan se tourna lentement vers Carlos et, hochant doucement la tête comme s’il approuvait ce long silence, il montra le paysage d’un geste large du bras et lui dit : «  Regarde bien… tout cela est à toi… »

    Carlos, habitué à ses plaisanteries, lui sourit doucement d’un air entendu sans un mot.

    Don Juan fit un petit signe de dénégation et répondit d’un air grave : « Je ne plaisante pas… tout cela est vraiment à toi … »

    Interloqué cette fois par son air sérieux, Carlos lui dit : «  Oui, d’accord… C’est une façon de parler… Vous voulez dire qu’il faut que j’en profite parce que c’est exceptionnellement beau … ! »

    « Non.. ! Je ne plaisante pas … tout cela est vraiment à toi… souviens-toi : l’anneau de pouvoir…[2] ce sentiment que je vois sur ton visage, ce sentiment qui t’a rendu muet pendant près de vingt minutes, chose qui ne t’est pas habituelle, ce sentiment-là est gravé pour l’éternité dans cet endroit, ce sentiment-là que tu t’es permis d’avoir par ta présence ici… c’est la quintessence de ton être… »

    Puis après un petit silence, il ajouta :  « C’est ici que tu viendras mourir et que ton âme se connectera à l’éternité quand ton temps sera venu de partir…. » Carlos sentit un long frisson parcourir sa colonne vertébrale… Il ne savait pas si c’était l’évocation de sa mort ou la nature exceptionnelle de cet instant, puis il se tourna à nouveau vers le paysage.

    Et là, il comprit ce que Don Juan avait voulu dire… Il ressentit que le paysage et lui ne faisaient qu’un… Il n’existait plus en tant que « Carlos », il était seulement une conscience de plénitude comme il n’en avait jamais connu. Ce paysage était plus qu’à lui, il était lui…. rien ne comptait plus qu’être là… il ne voulait plus jamais en partir….

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    Quand on s’intéresse au chamanisme, on se demande fréquemment : « Qu’est-ce qui, après tout, différencie le chamane des autres hommes ? »

    La réponse la plus opérationnelle est la suivante : « Les chamanes pratiquent le sentiment d’être »

    En réalité, ils sont, ils sont vraiment, ils sont pleinement. Mais il faut comprendre le mot « être » non pas comme une abstraction verbale qui vient du fait qu’on l’emploie à tout bout de champ comme un verbe auxiliaire, mais comme la quintessence du sentiment d’exister, comme le sentiment d’une douce intensité qui, en les reliant à tout sans les dissoudre, leur apporte trois choses essentielles : la liberté, l’équilibre et la jubilation. Une joie discrète de vivre chaque instant de leur vie, ce qui, par ailleurs les ouvre à quelques pouvoirs tout à fait naturels mais simplement enfouis dans l’inconscient de l’homme moderne qui, le plus souvent vit trop exclusivement dans « l’avoir », le « faire », la peur de ne pas avoir, de ne pas assez faire et surtout en sacrifiant sa vie au système.

    En un mot, l’homme moderne n’est plus connecté avec son âme.

    C’est l’intensité variable du sentiment d’être qui conditionne toutes nos capacités de nous harmoniser avec le déroulement des situations qui constituent notre vie, et, par là, notre capacité d’être heureux.

    La vraie spiritualité n’est pas religieuse. Elle est le développement libre de notre « ETRE » qui n’est pas qu’une vague sensation d’exister, mais un champ d’expériences dont la maîtrise progressive est infiniment plus importante que notre « paraître », notre « avoir », notre « faire », et surtout infiniment plus importante que notre dialogue intérieur, ce perpétuel remue-ménage de pensées qui n’arrête pas de tourbillonner dans notre tête et avec lequel nous nous décrivons à nous-mêmes nos craintes, nos regrets, nos opinions, nos croyances, nos justifications, nos jugements, etc.

    Alors, qu’est-ce qui nous empêche d’ETRE, comme le sont les chamanes et éclaireurs ?

    C’est précisément ce dialogue intérieur permanent, qui est reconnu par tous les maîtres spirituels des grands courants religieux de notre planète comme la plaie la plus tenace du genre humain.

    Nourri par le formatage socialitaire, la surabondance informationnelle, l’anxiété du faire et de l’avoir, le dialogue intérieur est une véritable addiction du mental qui caractérise l’humanité.

    A cause de lui, le sentiment d’être dont la source est dans notre corps lumineux a perdu la plus grande partie de sa force et il fait défaut à l’homme moderne pour maîtriser les moments négatifs de sa vie car, déconnectée de ce corps lumineux, la conscience ordinaire a perdu ses repères magiques qui devraient la guider pour que nous devenions des êtres équilibrés, forts, confiants et heureux. Nous subissons alors notre vie au lieu de la diriger.

    Mais le sentiment d’être n’est jamais entièrement effacé de notre conscience. S’il n’affleure pas dans notre quotidien, ses racines sont toujours présentes quelque part au fond de nous – notre mal-être ou nos maladies sont en fait le signal positif qui exprime son désir de renaître. A nous d’écouter ce signal pour ce qu’il est : l’invitation à faire revivre notre sentiment d’ ETRE, la chose la plus importante de notre existence.

    PAUL DEGRYSE- www.chamanisme-ecologie.com – wambli.cd@live.fr

    [1] Carlos Castaneda est un anthropologue argentin qui reçut de la part d’un chamane yaqui du Mexique un enseignement de 24 ans à la suite duquel il devint lui-même chamane.

    [2] L’anneau de pouvoir est la prise de conscience que nous créons notre réalité à chaque instant.

     

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