Martina Widmer est l’une des trois réalisatrices du documentaire Semences buissonnières, sorti en DVD en septembre 2015. Dans ce film, elle promeut l’utilisation de semences naturelles, libres, reproductibles et transmissibles. Une source de lien social et de retour aux traditions paysannes.
Qu’est-ce qui vous a poussée à réaliser un documentaire pédagogique sur les semences naturelles ?
Dans notre ferme de Longo Maï (Limans, 04), avec l’aide de l’association Kokopelli, nous avons appris à faire nos propres semences. Nous nous sommes rendu compte que nous récoltions bien plus de graines que ce dont nous avions besoin. Mais nous ne pouvions pas les vendre. Alors, nous les avons distribuées gratuitement sur les marchés. En plus de ces dons, nous nous sommes dit qu’il serait préférable que les gens réapprennent à faire leurs propres semences, que cela redevienne une pratique courante.
Nous avons organisé des stages pour former les personnes à cette technique. Mais, le problème, avec ces formations, c’est que nous ne pouvons pas montrer toute l’étendue de l’évolution des plantes, c’est-à-dire comment elles passent de graine à graine.
Cela nous a poussés à développer un support vidéo qui explique les gestes paysans, toutes les étapes de la vie d’une plante et qui transmette des astuces. Ce travail a été effectué pour 32 espèces de fruits et légumes.
Nous avons mis trois ans pour réaliser ce film. Il a été essentiellement tourné à la ferme de Longo Maï. Mais, dans le but de montrer d’autres climats et d’autres sols, notre équipe s’est rendue près de Nice et en Bourgogne, chez des producteurs professionnels de semences ; ainsi que dans le Jura et en Ardèche, à plus de 1 000 mètres d’attitude, et près d’Arles aussi.
Quelles sont les différences entre une graine « naturelle » et une graine « industrialisée » ?
Une semence naturelle est appelée graine à pollinisation ouverte. Avec elle, la variété d’une espèce reste la même d’une génération à l’autre. Bien sûr, elle va se transformer petit à petit afin de s’adapter aux influences du sol et du climat. Mais ses propriétés resteront stables. Avec le temps et en l’observant attentivement, le paysan peut valoriser certaines caractéristiques de la plante. Ce qui est gage de diversité, de qualité et de goût.
Avec les semences hybrides, on ne sait pas ce que l’on va récolter. Elles sont issues d’un croisement et, du coup, elles ne sont pas stables d’une génération à l’autre. Les graines hybrides sont essentiellement sélectionnées afin de favoriser une agriculture mécanisée, mais aussi d’être stockées et de résister lors des transports.
Comment fonctionne aujourd’hui le marché des semences ?
Dans les pays industrialisés, la diffusion et donc la sélection des plantes a complètement changé. Elles sont mises sur le marché par des semenciers en situation de monopole. Et ce, depuis le siècle dernier. Surtout, il y a eu un basculement avec la vente, de plus en plus fréquente, de semences hybrides. J’estime qu’elles représentent 80 % des semences commercialisées. Il existe un droit de propriété sur ces semences, c’est-à-dire qu’il faut payer pour les utiliser. Et, comme je l’ai dit, elles ne peuvent pas être multipliées. Ce marché est donc très rentable pour les semenciers industriels, car les agriculteurs doivent acheter tous les ans de nouvelles semences.
Il y a encore quelques décennies, dans le Catalogue officiel des espèces et variétés végétales, bon nombre de semences n’étaient pas hybrides. Vous pouviez à l’époque prendre une variété et la multiplier vous-même dans votre jardin. Aujourd’hui, ce n’est pratiquement plus possible. Le prix pour inscrire une semence à ce Catalogue, donc dans le cadre légal, est très élevé. Cela exclut un nombre conséquent de personnes morales ou physiques. Tout cela nuit à l’accès à une grande diversité de graines.
Bien entendu, il existe des associations, même au niveau européen, qui continuent de vendre des semences à pollinisation ouverte, sur lesquelles il n’existe pas de droit de propriété. Elles essayent de faire comprendre aux autorités européennes l’importance, pour la biodiversité, de maintenir de nombreuses variétés de semences qu’on peut multiplier. C’est par exemple le cas de la coalition No patents on seeds.
Sur qui pouvez-vous vous appuyer afin de réussir dans cette démarche de promotion de l’agriculture citoyenne ?
L’association Kokopelli est emblématique. Il existe aussi le réseau Semences paysannes.
Les lycées agricoles commencent à adapter leurs formations à la biodynamie. Je pense notamment à celui de Lons-le-Saunier (39) et à celui d’Obernai (67).
Lorsque je suis allée en Grèce, j’ai découvert un festival annuel de libre partage de semences. C’était une initiative de l’association Peliti, très active dans le maintien des semences naturelles. Cette action est essentielle dans ce pays touché par la crise économique. Cela permet aux habitants de se nourrir et de retrouver une autonomie alimentaire.
Pourquoi promouvez-vous l’usage de semences libres, reproductibles et transmissibles ?
Cela encourage l’agriculture paysanne, basée sur un équilibre, une harmonie, une biodiversité et le respect d’un sol vivant. Par ailleurs, cela contribue à préserver le savoir énorme des agriculteurs sur l’équilibre des sols, l’influence des insectes et des plantes, etc.
Aussi, quand vous utilisez des semences à pollinisation ouverte, vous récoltez beaucoup de graines. Pour exemples : une seule salade fait des milliers de graines ; une tomate en produit cinquante ; un plant de haricots vous en donnera une centaine. Cela vous donne l’occasion d’en donner à vos voisins, de faire des échanges. C’est vraiment à la portée de tous.
Savoir faire ses propres semences est le cœur du métier de paysan et ce savoir doit de nouveau être partagé. Cela peut consister tout simplement à aller sur le marché près de chez soi, et à discuter avec les agriculteurs présents ; à visiter leur exploitation pour comprendre comment ils travaillent… Cela est déjà un premier pas pour renouer avec ce monde paysan.
Propos recueillis par Thomas Masson
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