Le congé menstruel est un dispositif mis en place pour la première fois en France, début 2021, pour le bien-être des femmes menstruées. Cette initiative salariale fait son chemin dans le monde du travail. Un débat de société. Modifié le 20 octobre 2022 par Dimitri Mouflard.
30% des femmes ont déjà manqué le travail à cause de leurs règles, selon le baromètre 2022 réalisé par Opinion Way pour l’association Règles Élémentaires le 28 mai, à l’occasion de la journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Ces absences mensuelles révèlent une inégalité salariale : « Aujourd’hui, lorsqu’une femme est en incapacité de travailler à cause de ses règles, soit elle est en arrêt maladie mais dans ce cas elle perd un à trois jours de carence par mois, soit elle utilise ses congés qu’elle n’aura plus ensuite pour se reposer. C’est inacceptable ! », dénonce Gaëlle Baldassari, fondatrice de Kiffe ton cycle.
Cette observation au sein d’entreprises a initié un mouvement en France, en proposant un congé menstruel, pour le bien-être des salariées. Ce congé consiste à donner la possibilité aux femmes menstruées, souffrant de leurs règles au point d’être en incapacité de travailler (douleurs, inconfort, bouffés de chaleur, fatigue, vertige…), de prendre un congé payé par mois si elles en ressentent le besoin et sans avoir à se justifier. Pionnière en France, la Scop montpelliéraine La Collective a accordé ce premier congé menstruel début 2021, suivie par la filiale française de la marque Intimina en mai de la même année. La start-up Louis, à Labège (Haute-Garonne), relance aujourd’hui le mouvement en proposant le congé menstruel depuis le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes.
Lucie Rouet, responsable communication, est à l’origine de ce dispositif dans cette entreprise : « Je me suis rendue compte qu’une des ébénistes était régulièrement absente, environ une fois par mois. J’ai vite fait le rapprochement avec ses menstruations. Lorsque l’on en a discuté, elle m’a dit qu’il était très difficile pour elle d’assumer sa journée de travail lors de ses règles. Parce qu’elle avait des vertiges et des vomissements au travail, elle rentrait chez elle en posant une journée de congé payé ». L’entreprise d’élevage de coquillages, Marédoc, à Frontignan (Hérault), s’est elle aussi lancée le premier avril et d’autres sociétés sont intéressées pour suivre cette initiative. Aujourd’hui moins d’une dizaine d’entreprises répondent à ce sujet de société. 66 % des femmes sont favorables à la mise en place d’un congé menstruel, selon un sondage Ifop réalisé en septembre 2022 pour Eve and co, une entreprise de vente de protection menstruelles.
Lever le tabou des règles
68% des femmes estiment que les règles sont un sujet tabou en entreprise, selon une autre étude d’Opinion Way, réalisée en mai 2021 pour l’association Règles Élémentaires. Le congé menstruel a permis de lever le tabou au sein de l’entreprise Louis : « On peut parler de règles sans problème, s’exprimer librement sur nos douleurs et nos difficultés à travailler parfois. On ne s’en cache plus du tout », explique Lucie Rouet. Sur les dix salariées que compte l’entreprise Marédoc, Meriem Katal est la seule à avoir utilisé le congé menstruel depuis qu’il a été mis en place. Il lui est déjà arrivé de manquer le travail lors de ses menstruations. Aujourd’hui, la mise en place de ce congé est un soulagement pour elle : « J’ai parfois des règles douloureuses mais avant je n’en parlais pas au travail, ce n’était pas un sujet sur lequel on pouvait s’exprimer. Quand je m’absentais, je disais que j’avais mal au ventre. Maintenant, je n’ai plus peur d’aborder la question et je sais que je peux prendre ce congé en cas de règles douloureuses. Si je m’absente une après-midi ou la journée, le lendemain je reviens sereine ».
Si certaines femmes sont à l’aise pour en parler, d’autres appréhendent le sujet : « Une de mes collègues m’a dit qu’elle n’oserait pas prendre ce congé menstruel, parce qu’elle aurait peur d’être jugée », raconte Flora-May Lalonde, référente de l’entreprise pour le congé menstruel. Cette peur de stigmatisations est une réalité dans les pays d’Asie, où le congé menstruel est mis en place depuis longtemps. Le Japon est le premier pays à avoir porté ce dispositif, en 1947. Ce congé est peu remboursé par les entreprises. Selon une étude du ministère japonais du Travail, réalisée en 2020, 30 % des 6 000 entreprises interrogées proposent de rembourser entièrement ou partiellement ces congés périodiques et seulement 0,9 % des employées éligibles au congé menstruel déclarent l’avoir pris.
Pour Gaëlle Baldassari, ce chiffre est révélateur d’une peur de discriminations au travail : « Peut-être qu’en France les femmes oseraient prendre ce congé si elles souffrent de leurs règles parce que le climat culturel est différent du Japon. En cas de généralisation du congé menstruel à la charge de l’entreprise, ce dispositif desservirait les femmes par des difficultés d’évolution de carrière et des discriminations à l’embauche, puisque les femmes disposeraient de deux fois plus de congés payés. Ces conséquences s’observent déjà avec le congé maternité ».
Diverses solutions
Pour Maud Leblon, directrice de l’association Règles élémentaires, il y a une réelle réflexion à mener sur les règles au travail : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour les femmes qui souffrent de leurs règles ? Le congé menstruel est une solution mais sûrement pas la seule. Il faudrait réfléchir à ce qui est possible de mettre en place dans les entreprises sans que cela ne desserve les femmes par de la discrimination à l’embauche ».
Flora-May Lalonde, responsable communication chez Marédoc, souhaite quant à elle que le congé menstruel soit généralisé : « C’est bien que certaines entreprises prennent des initiatives mais à terme il faudrait l’étendre au niveau national ». Lucie Rouet, responsable communication chez Louis, espère que d’autres entreprises suivront le mouvement de leur initiative : « Je pense qu’il faudrait laisser le choix aux entreprises de proposer ce congé menstruel, pour éviter les discriminations à l’embauche ». Elle estime que chaque entreprise peut mettre en place le congé menstruel à sa manière : « Il faut le co-construire entre employeurs et collaborateurs, trouver des solutions adaptées pour chaque entreprise. Je pense qu’il faut ouvrir le débat sur les règles au travail, en discuter et mettre en place des dispositifs pour améliorer le confort de chaque salariée ». C’est déjà le cas avec l’entreprise Marédoc. Elle a adapté ce congé en proposant un forfait de 8 heures, plus flexible et aménageable dans le domaine de la marée.
Gaëlle Baldassari propose une autre solution : « La souplesse des horaires de travail pourrait aider, si on ne se sent pas en capacité de travailler lors de ses menstruations, on se repose et on rattrape ses heures plus tard ». Pour autant elle dénonce aussi un système de santé défaillant : « C’est super qu’individuellement des entreprises veulent pallier ce manque de solutions pour les femmes menstruées. Mais, pour moi c’est un problème de santé publique, c’est à la sécurité sociale de prendre en charge le coût de ce congé et non aux entreprises ».
C’est ce que prévoit l’Espagne avec un projet de loi présenté par la ministre de l’égalité, Irene Montero, pour appliquer le congé menstruel au niveau national. Le conseil des ministres a approuvé cette mesure le 17 mai dernier. Si le Parlement approuve cette mesure, les salariées espagnoles souffrant de règles « invalidantes » pourront bénéficier d’un arrêt maladie sans durée limitée et rémunéré par la sécurité sociale, en présentant un certificat médical. Comme l’Espagne, l’Italie avait tenté de mettre en place le congé menstruel en 2017, mais la proposition de loi a été abandonnée par le Parlement.
Lucie Rouet explique pourquoi l’entreprise Louis a choisi la confiance entre les salariés employeurs : « Un avis médical pour justifier ce congé menstruel aurait été contraignant pour les salariées. Elles auraient dû se rendre chaque mois chez le médecin alors que c’est un phénomène naturel ». Flora-May Lalonde remet en question la nécessité d’un certificat médical : « Est-ce qu’un examen médical peut mesurer les douleurs qu’une femme peut avoir ? En plus la sensibilité à la douleur est différente d’une femme à l’autre. Pour l’endométriose, des examens médicaux peuvent attester de cette maladie » mais « il y a encore une errance de diagnostic de 7 ans pour l’endométriose qui touche une femme sur dix. Les médecins sont très mal formés au mécanisme de la douleur des menstruations », ajoute Gaëlle Baldassari.
Normaliser la douleur des règles
45% des moins de 50 ans pensent qu’il est normal d’avoir mal pendant ses règles, selon le baromètre 2022 de Règles Élémentaires. Ces douleurs ne sont pourtant pas normales, elles ont une explication et peuvent être soulagées. Elles indiquent parfois une maladie liée au cycle menstruel (l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), un fibrome, des troubles dysphoriques prémenstruels…). Gaëlle Baldassari craint que le congé menstruel normalise les douleurs des règles : « Quand on donne un congé menstruel, on ne permet pas aux femmes qui souffrent lors de leurs menstruations de comprendre leur douleur pour les soigner. Il y a des choses à faire pour rééquilibrer et améliorer le vécu, au niveau de l’alimentation, du stress, du mode de vie…. Le congé menstruel pallie un problème sur le moment mais pas à long terme ».
Le congé menstruel soulève donc une vraie question de société : comment les femmes vivent leur période menstruelle au travail ? Il permet ainsi de prendre conscience des difficultés qu’elles peuvent rencontrer et endurer au travail, comme dans leur quotidien.
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