Repenser le corps pour changer de société 

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    Quelle place donner au corps dans notre vie ? Comment renouer avec l’écoute de soi et de l’autre ? L’association l’Odyssée du sensible, mouvement collectif qui place le corps comme vecteur de changement, s’était donné rendez-vous le 20 janvier dernier à Paris pour expérimenter quelques pistes. Reportage.

    Plongée dans l’univers de la nuit, j’avance pas à pas, les yeux fermés au milieu de la foule. Hésitante, puis rassurée, mes gestes se font de plus en plus amples, je cherche le contact avec l’espace vide, le sol, l’air, j’explore le dehors comme un espace intime, jusqu’à ce que ma main rencontre l’autre. Je le tâte, je ris, puis m’éloigne, dansant entre les silhouettes invisibles pour « se risquer à créer ensemble le présent par le mouvement ». Un défi proposé par la danseuse Claire Filmon, à l’occasion d’un atelier pour la journée intitulée « Corps et humanité : ouvrir de nouveaux possibles », organisée par le collectif L’Odyssée du sensible le 20 janvier dernier à Paris.

    ©Maëlys Vésir

    Actif, sensible et créatif, notre corps est doué d’une intelligence intuitive sous-estimée au quotidien. Foyer de notre source vitale, il offre un espace d’exploration subtil, infime, presque infini. Psychomotricienne, Eve Berger nous invitait ainsi dès l’ouverture de la journée à « renouer avec la grâce et la puissance de notre corps, à l’incarner pleinement ». « Aujourd’hui on arrive à un tel niveau de virtualité en Occident, que la dimension de l’incarné, de l’intelligence et des ressources qui sont propres au corps sont sous exploitées. Or il ne faut pas oublier que le corps est notre matière première, notre premier écosystème. On dit souvent qu’on utilise que 10 % du cerveau, mais je pense que pour le corps c’est la même chose », rappelle quant à elle, Sophie Bouquerel, coordinatrice de la journée, spécialisée en pédagogie et qui travaille sur la sagesse du corps, ses liens avec la pensée.

    ©Maëlys Vésir

    Eveiller l’âme du corps

    Pour faire vivre le corps en soi et en relation à l’autre, le collectif proposait une série d’ateliers expérienciels : danse, méditation, art martial sensoriel, pédagogie perceptive, sculpture, etc. Pour « éveiller l’âme du corps », le wutao nous invitait à accueillir l’ondulation intérieure : à partir de petits mouvements du bassin relâché, imperceptibles à l’œil nu au départ, la colonne se met peu à peu à ondoyer au rythme du souffle. Au fil des ondulations de plus en plus larges, on remonte vers la poitrine, le cou et la tête, les bras portés par la vague. « Le wutao est un art corporel et un cheminement qui cherche à recréer la globalité entre l’âme, le corps et les émotions à partir de l’ondulation primordiale de la colonne vertébrale, qui va pouvoir nourrir certaines parties : le bassin, siège des pulsions et de l’affirmation, la poitrine, siège des émotions, d’ouverture et de recueillement, et la tête, lieu de la pensée. L’idée est de trouver un équilibre des trois. Chaque personne va alors se rencontrer à partir du moment où elle accepte de s’explorer », explique Olivier Milano, professeur de wutao.

    ©Maëlys Vésir

    Dans ce voyage sensoriel, l’écoute perceptive intérieure semble nous ouvrir davantage au monde extérieur. Première étape toutefois : s’assurer que l’on est bien ancré. Pieds au sol, largeur du bassin, Martine de Nardi, professeure en art martial sensoriel, nous invite à sonder l’axe de notre ancrage. Trop en avant, trop en arrière, penché à droite, à gauche ? Si le corps s’éloigne du fil vertical de la gravité terrestre, il génère des tensions et s’éloigne des lois du vivant, selon l’animatrice de l’atelier. « L’ancrage est la base car sans lui, on risque aussi de se perdre dans la relation à l’autre, de se soumettre, de créer des rapports de force ou de générer des conflits. Le centrage apprend à se situer dans soi. Ainsi, plus on va en profondeur dans notre corps, moins on se disperse et on s’épuise, moins on se stresse, et plus on a de ressources. On peut donc rayonner large en étant de plus en plus ancré sans être fermé. Et une fois que l’on a pleinement incarné notre corps, on a accès à tout ! A la dimension psychique, émotionnelle et spirituelle de notre être », assure Martine De Nardi.

    ©Maëlys Vésir

    Invités à se mettre par deux, dos à dos, les participants expérimentent ensuite le contact avec l’autre, cherchant au fil des mouvements la fluidité réciproque pour « transformer les conflits à partir du corps ». Grâce à l’écoute perceptive, le corps devient alors un outil de conscience de soi et de son environnement, en quête d’harmonie intérieure et extérieure. Mais « écouter son corps vivant ne suffit pas. Après, qu’est-ce qu’on en fait ? interroge Eve Berger. Le corps vivant est une expérience qui nous dit des choses, c’est aussi un appel à l’action, aux mouvements et à la création ». Au fil de la journée et des ateliers, les échanges s’accordent en effet à rappeler que le corps est aussi un vecteur de changement social. « Car on agit avec le corps et pas avec notre pensée ! », conclut Martine de Nardi.

    Par Sabah Rahmani

     

     

     

     

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