Réparer, emprunter, louer : les alternatives à la surconsommation

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    Les équipements de la maison représentent jusqu’à 25% de l’empreinte carbone individuelle des Français.e.s (due à la fabrication ou encore le transport des appareils). Pourtant, selon l’Insee, les ménages consomment un peu plus chaque année depuis 50 ans. Alors que les particuliers pensent posséder en moyenne 34 équipements électriques et électroniques par foyer, ils en possèdent en réalité 99 en moyenne… Et 6 d’entre eux ne sont pas utilisés, selon une étude d’IPSOS de 2016. Face à cette surconsommation, des alternatives émergent pour limiter nos achats, comme la réparation, via les Repair cafés par exemple, ou encore l’emprunt d’objets, qui se développe grâce à des applications, mais aussi dans des bibliothèques d’objets.

    « Vous avez rendez-vous ? », demande une bénévole à une visiteuse, en scrutant une liste de noms et de plages horaires devant elle. Au Repair café de l’Association Les Trois Maisons, dans un quartier près de Rennes, l’organisation est bien huilée. « Il y a un coin petit électroménager, un coin informatique, un coin horlogerie, un coin vélos… A chacun sa spécialité », explique à l’entrée Cécile Persehaie, la présidente de l’association créée en 1976, et qui a lancé son Repair café en 2015.

    Le principe est simple : une personne qui a besoin de réparer un objet vient y rencontrer un « bricoleur » bénévole qui lui vient en aide. Un concept né aux Pays-Bas en 2010, qui s’est transformé peu à peu en une fondation mondiale ; 2331 Repair cafés sont répertoriés sur leur site, dont un peu plus de 300 en France.

    Le Repair Café de l’association Les Trois Maisons se tient une fois par mois, le mardi après-midi, et sur rendez-vous depuis l’épidémie du Covid-19. ©Alicia Blancher

    Dans la salle de l’Association Les Trois Maisons, les binômes, installés face à face, sont alignés sur de grandes tables en bois. Des visiteurs, les bras encombrés de leur objet en panne, attendent leur tour. Machine à café, fer à lisser, télévision, table à repasser… Les possibilités semblent infinies. « On a souvent des réparations de petits objets, car elles ne sont pas prises en charge par les professionnels, le coût de la main d’œuvre étant supérieur au prix de l’objet seul », détaille la présidente.

    Alain, habitant du quartier, vient pour la deuxième fois pour régler un problème de logiciel sur son ordinateur. Il ne tarit pas d’éloges sur le lieu : « C’est une super démarche d’entraide, qui permet de rallonger la vie de nos appareils et de rencontrer des gens dévoués… » Marcello, bénévole depuis plusieurs années, le coupe : «… Et compétents ! », plaisante le réparateur, tout en pianotant sur son clavier d’ordinateur « qui a douze ans ». Ce retraité apprécie particulièrement le partage de connaissances et insiste pour que le visiteur « mette la main à la pâte ». « Il faut souvent lever un frein psychologique pour l’informatique. Ce n’est qu’une machine », souligne le bénévole avec son accent italien.

    « Je me demande lequel du visiteur ou du réparateur est le plus heureux quand l’objet est réparé »

    Après trois ans de visites au Repair café, Louis a en effet « appris à [se] faire confiance » pour réparer ses appareils. « J’ose davantage les démonter », confesse le retraité, qui a apporté ce mardi son nettoyeur à haute-pression, à la recherche d’un « diagnostic » pour une fuite d’eau. Après quelques manipulations, le bénévole Jackie a ajouté un joint en caoutchouc qui semblait manquer. Le tour est joué.

    Le bénévole répare un nettoyeur à haute-pression. ©Alicia Blancher

    Pour l’informatique, les vélos, ou encore la couture, les taux de réussite avoisinent les 100% selon le vice-organisateur Albert Dauleu, lui aussi bénévole. « Il n’y a que dans le domaine de l’électronique, où l’on ne parvient qu’à réparer 60% à 65% des appareils. On est moins bons », reconnaît avec un sourire en coin cet ancien radio-électromécanicien de la marine marchande. Ce dernier s’apprête à demander de l’aide à un collègue électronicien pour un fer à lisser qui lui donne du fil à retordre.

    « C’est toujours émouvant de voir des gens qui se décarcassent pour les autres », témoigne Cécile Persehaie. Pour Albert Dauleu, c’est avant tout le plaisir de « rendre service ». Mais aussi de « trouver la solution au problème, à la panne », confie-t-il. « Parfois je me demande lequel du visiteur ou du réparateur est le plus heureux », se réjouit la présidente de l’association.

    Ce mardi 12 avril, 24 réparateurs bénévoles étaient présents, pour une soixantaine de rendez-vous. Parmi eux, Albert Dauleu, vice-président de l’association, qui tente de réparer ici un fer à lisser. ©Alicia Blancher

    Près d’un Français sur deux a déjà réparé lui-même un appareil électroménager

    Selon une étude de l’ADEME réalisée en 2017, plus de 50% des Français ont déjà autoréparé un appareil électroménager. Principalement pour des raisons économiques, mais aussi pour agir de manière responsable et écologique. Pour rappel, l’impact environnemental de la fabrication, du transport ou encore de la distribution des biens que l’on achète représenterait 25% de notre empreinte carbone individuelle.

    Pour réparer ses propres objets, le plus difficile semble finalement de se lancer. Car si 2/3 des Français.e.s estiment que leurs appareils électroménagers ne sont pas facilement réparables, 92% des citoyen.ne.s à l’inverse sont satisfait.e.s de leur réparation et 80% de celles et ceux qui ont essayé de réparer sont prêts à renouveler l’expérience, selon l’étude de l’ADEME citée plus haut. Parmi les freins psychologiques : le manque d’informations de la part de fabricants[1], le besoin d’outils d’aides au diagnostic de la panne, ce à quoi peut répondre les Repair cafés, et la disponibilité des pièces détâchées. Par rapport à cette dernière problématique, des entreprises se sont lancées dans l’approvisionnement de pièces détachées, comme SOS Accessoires.

    Pour les moins bricoleurs, le réseau ENVIE, spécialisé dans le reconditionnement des appareils et l’insertion par l’activité économique, a développé depuis 2016 un service de réparation. Présent dans la cinquantaine de magasins du réseau, ce service privilégie les pièces détachées d’occasion. Pour une heure de main d’œuvre, il faut compter 39 euros. Si l’objet n’est pas réparable, la somme est reversée sous forme de bon d’achat applicable dans les magasins ENVIE. Engagée dans le réemploi, la fédération a aussi créé un écolieu à Paris, Le Labo, où des ateliers de réparation et de sensibilisation, pour apprendre notamment à prendre soin de ses appareils, se tiennent régulièrement.

    Au service de réparation d’Envie à Saint-Herblain. ©Margot L’Hermite

    Lire aussi : Envie Le Labo : un nouvel écolieu d’insertion sociale à Paris

    Remise en cause de la « sacro-sainte propriété »

    Si réparer apparaît comme une des premières solutions face à la surconsommation, ne pas acheter en constitue bien une autre. Les Français.e.s possèdent en moyenne 99 équipements électriques et électroniques par foyer. Et 6 d’entre eux ne sont pas utilisés, selon une étude d’IPSOS de 2016. En effet, certains outils ne sont pas indispensables au quotidien, et sont seulement employés à certaines périodes de l’année. Au point que quelques enseignes ont mis en place des services de location, comme Boulanger. Cela peut permettre de savoir si la dépense est justifiée ou si l’usage de l’objet correspond à nos attentes.

    Mais la location de certains biens peut aussi se faire entre particuliers. C’est en partant de ce constat, et avec la volonté de changer nos manières de consommer, qu’Edouard Dumortier a fondé en 2013 « Allo Voisins ». Cette plateforme sert d’intermédiaire entre des personnes à la recherche d’un appareil de manière ponctuelle et des propriétaires d’objets, désireux de prêter ou de louer certains de leurs biens. « C’est une brèche dans la sacro-sainte propriété », assure le créateur de ce réseau (aussi application), qui compte aujourd’hui 4 millions de membres en France. Si l’utilisation est gratuite pour les personnes qui déposent des demandes d’emprunt ou de location, les usagers qui offrent des biens ou leurs services ont quatre annonces gratuites par mois, et doivent s’abonner à dix euros par mois s’ils souhaitent en poster plus.

    Depuis, d’autres plateformes ont émergé pour favoriser ces échanges entre personnes vivant à proximité : Mytroc, Pretik ou encore Smile. Cette dernière est un réseau social entre voisins créé il y a sept ans qui promeut un « système de vie collaboratif », via notamment les achats groupés ou la location d’objets. Financée par des partenariats avec des collectivités locales et des bailleurs sociaux qui font appel à ses services, la plateforme est gratuite pour les usagers. Pour David Rouxel, le fondateur, il s’agit avant tout d’un « Facebook sécurisé et local » : « le voisin virtuel est un voisin réel », assure le créateur, qui tient à souligner que les identités sont bien vérifiées. Bien-sûr le « le risque 0 n’existe pas » ; certains biens empruntés ou loués peuvent être détériorés. Pour prévenir ces mauvaises expériences, des plateformes s’appuient sur le système des évaluations, comme Allo Voisins. Le réseau Smile a quant à lui noué un partenariat avec un assureur pour protéger les propriétaires de biens d’une plus grande valeur.

    Capture d’écran de l’application Smile.

    La bibliothèque d’objets : mutualisation des outils

    Depuis quelques années, un autre espace, et cette fois pas en ligne, se développe pour favoriser l’emprunt ou la location de biens. Il s’agit des bibliothèques d’objets. Le concept, né au Royaume-Uni, prend son essor, petit à petit, dans l’hexagone. On en retrouve à Toulouse, à Montreuil ou encore à Arles. Souvent sous forme d’associations, ces bibliothèques mettent en relation les adhérents pour un service de prêt de matériel à moindre coût. « L’idée est de mutualiser les outils pour qu’ils servent au plus grand nombre et ne restent pas au fond d’un placard toute une partie de l’année », explique Amandine Robin, coordinatrice à L’Etabli, bibliothèque d’objets née à Angers en 2015.

    Tous les biens disponibles dans cette bibliothèque (340 au total) appartiennent aux adhérents (L’adhésion coûte vingt euros à l’année, et dix euros pour les étudiants, ndlr) et sont partagés dans un pot commun. « C’est un modèle que l’on aimerait poursuivre », précise la salariée de l’association ; car il arrive que certaines bibliothèques d’objets proposent des objets achetés ou récupérés dans des entreprises.

    Les besoins d’outils et d’appareils sont souvent liés aux rénovations, comme avec la décolleuse de papier peint, ou à la saison (broyeur, motoculteur, etc. ). ©Amandine Robin

    A l’Etabli, le prix de la location varie en fonction du type d’outil et de la durée : « Cela va de un euro pour une carlette sur une journée, à dix euros pour nos outils les plus précieux, comme un broyeur végétal. » Avec cet argent, l’association entretient et répare les objets détériorés, pour lesquels aucune caution n’est versée. Non sans difficulté, en raison du « manque de compétences » au sein de l’association. Pour répondre à cette limite, l’Etabli tente de créer des partenariats avec des réparateurs, et soutient de manière générale le développement des Repair cafés dans la région. Autre projet en cours : la création de synergies avec d’autres bibliothèques d’objets sur le territoire. « L’échange de savoir-faire, c’est primordial pour avancer », conclut la coordinatrice de l’Etabli.

    [1]. Depuis janvier 2021, et l’entrée en vigueur de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire du 10 février 2020, l’indice de réparabilité est obligatoire pour certains appareils, comme les smartphones ou les machines à laver. Seul bémol : les notes sont données par les fabricants eux-mêmes.

    Capture d’écran de l’étude de l’ADEME « La face cachée des objets : vers une consommation responsable » publiée en 2018. Parmi les préconisations de cette agence pour limiter notre surconsommation : l’entretien et la réparation de nos objets.

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