3 questions à… Lionel Astruc, journaliste et auteur attaché aux thèmes de l’écologie et de l’économie solidaire. Il a écrit une dizaine d’ouvrages dont Vandana Shiva. Pour une désobéissance créatrice.
Le samedi 6 décembre 2014, La Villette et Actes Sud organisaient une rencontre entre Vandana Shiva et Pierre Rabhi sur le thème de la défense de l’agroécologie. Lionel Astruc en était l’animateur.
Vous avez été le témoin privilégié de la rencontre entre Vandana Shiva et Pierre Rabhi. Pensez-vous que le changement de paradigme passera par des rencontres et des collaborations entre ce type de personnalités ? Ou, dit autrement, les intellectuels du monde entier qui prônent ce changement doivent-ils coopérer ?
Durant la préparation de cette conférence, j’ai pu observer que la priorité de Vandana Shiva et de Pierre Rabhi était de mieux se connaître et que, plus généralement, les réseaux se rencontrent. Pour Vandana Shiva – que je connais mieux que Pierre Rabhi, et c’est pourquoi je la prends en exemple –, le problème de l’écologie, c’est que, parmi les gens qui s’intéressent aux OGM, beaucoup ne se sentent pas concernés par les problèmes du nucléaire ou à la question du réchauffement ; par ailleurs, ceux qui s’intéressent à l’Asie ont du mal à être curieux de se qui se passe aux États-Unis, etc. Bien sûr, il faut que chacun s’investisse d’abord localement. Mais en se cantonnant à la sphère locale, on perd de vue certains enjeux mondiaux. Il est intéressant de comprendre ce qui se passe ailleurs. Notamment, on voit actuellement que les OGM arrivent en Afrique, avec une attitude assez offensive des entreprises. Il faut regarder comment s’organise l’opposition aux OGM ailleurs pour comprendre comment on peut se défendre en Afrique. Donc, oui, la coopération des intellectuels et leurs échanges doivent servir d’exemple et il faut montrer aux mouvements l’importance de se rencontrer et de coopérer.
Dans tous les combats que Vandana Shiva a contribué à faire gagner, c’est le regroupement de réseaux qui a permis de triompher. Dans chacune des actions qu’elle a menées, on observe qu’il y a toujours de la transversalité, et c’est ce qui fait sa force. Lors des stages qu’elle organise à Navdanya, les formateurs sont issus à la fois de disciplines très variées, mais aussi de religions et de contrées différentes.
Comment ces intellectuels peuvent-ils faire passer leur message au plus grand nombre, pour pousser la population, voire les dirigeants, à agir ?
Après avoir travaillé sur cette rencontre entre Pierre et Vandana, j’ai réalisé que leur plus gros point commun, c’est qu’ils incarnent cette citation de Gandhi : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde. [1] » Le meilleur moyen de convaincre les gens, c’est d’incarner le message que l’on veut transmettre, et je pense qu’aujourd’hui, si ces deux personnes ont un tel succès, c’est qu’elles ont mis en pratique ce qu’elles prônent en reprenant des terres et en les cultivant elles-mêmes. Elles ont montré que l’on peut fertiliser un environnement aride ou régénérer un sol épuisé. Aujourd’hui encore, Pierre Rabhi et Vandana Shiva vivent pleinement leur engagement. On voit bien qu’ils vivent dans la simplicité et dans la sobriété, et c’est pourquoi on les écoute. Chacun peut prendre exemple sur eux – même les personnes jeunes et urbaines –, sans se rattacher à tout prix à un mouvement. Chacun est une entité autonome qui peut se prendre en main et agir, sans forcément appartenir (se soumettre ?) à une grande organisation. Il faut bannir cette logique qui dit « nous ne pourrons agir ensemble que si tu brandis le même étendard que moi ». Agissons et pratiquons la coopération de manière plus autonome, libre et ouverte.
Ne risquons-nous pas de créer de nouvelles idoles attendues comme des sauveuses, alors que leur message est « soyez le changement » ?
Même si chacun de nous doit se prendre en main, nous avons quand même besoin d’emblèmes qui nous stimulent. Par ailleurs, quand ces personnalités se déplacent, elles entraînent avec elles leur réseau, elles représentent des centaines ou des milliers de personnes. Cette popularité, et donc la médiatisation qui en découle, permettent de toucher des personnes qui sont en dehors du réseau, mais qui peuvent y entrer très facilement. Malgré leur notoriété, Vandana Shiva ou Pierre Rabhi restent disponibles et à l’écoute. C’est à chacun de nous de prendre la décision de ne pas les idolâtrer individuellement.
[1] « Be the change that you wish to see in the world », en version originale.
Propos recueillis par Pascal Greboval et Diane Routex
Pour aller plus loin, lire Vandana Shiva. Pour une désobéissance créatrice.
bonjour,
la vidéo de cette intéressante rencontre est-elle disponible sur internet ? et si oui, où ?
Merci
Cordialement