Dans le cadre du forum des peuples racines du 11 et 12 mai à Strasbourg, l’association Ligne verte, terre de paix, organise une série de rencontres hors du communs avec des représentants de peuples autochtones du monde entier. L’occasion de susciter une réflexion sur l’évolution de notre société et de créer des ponts entre nos mondes. Reportage.
Atypique, inédit et cocasse. Cet après-midi là, au cœur d’une ancienne friche industrielle de Mulhouse, jeunes de quartiers populaires, entrepreneurs et représentants de peuples autochtones se sont donnés rendez-vous pour un temps d’échange orignal. Dans quel but ? « Parce que je suis convaincu de plusieurs choses, assure Marc Sarwatka, à l’initiative de la rencontre ; que lorsque l’on vient d’un quartier dit sensible on peut avancer sans avoir de préjugés ; que les peuples racines avec lesquels j’ai vécu deux mois, chez les Massaïs, peuvent beaucoup nous apprendre sur nous-mêmes, sur l’altérité et sur notre lien à la nature ; et qu’enfin le monde du travail à tout intérêt à s’inspirer de leur intelligence collective, car l’entreprise peut être une « tribu » comme une autre ».
Dans la salle, une cinquantaine de personnes écoute attentivement les enseignements venus d’ailleurs. Beauté, santé, générosité, ordre et harmonie, tels sont les maîtres mots pour décrire le terme « hozho», au cœur de la cosmologie de la culture des Dinés, « Le peuple », plus connu sous le nom des Navajos, vivant dans le sud des Etats-Unis. L’unité et l’équilibre du monde repose, selon eux, sur notre conscience : conscience du vivant, de nos pensées et de nos actes. Car « nous sommes Un, nous venons de la terre et nous retournerons à la terre. Nous sommes les mêmes. Si nous créons le déséquilibre dans cette réalité, nous créons des déséquilibres dans notre vie », explique John Yazzie, membre de la communauté Diné. « Cette relation d’interdépendance est importante, et c’est l’expérience qui permet d’offrir les leçons de vie afin de préserver cette harmonie », ajoute Lorenza Garcia, artiste initiée à la culture Diné depuis plus de vingt ans, et fondatrice de l’association Navajo France.
Dans un monde occidental en pleine transition et interrogation, les jeunes posent ici la question de notre rapport à la technologie. Awali, 19 ans, constate que celle-ci « a pris une place trop importante dans nos vies », Mohamed, 23 ans, souligne d’ailleurs « que les jeunes ne veulent plus aller en forêt pour courir, car la forêt est déjà dans la tablette ! ». Avec sagesse, John Yazzie prévient l’auditoire : « La technologie n’est qu’un outil, nous ne devons pas en dépendre. Car si nous l’utilisons pour notre ego et pour contrôler les autres, nous créons du négatif. »
« Savoir d’où l’on vient »
Pour Jim Harrison, artiste diné : « Dans nos enseignements, il est essentiel de faire comprendre aux enfants l’importance de savoir d’où ils viennent, pour savoir comment ils vont pouvoir participer à un meilleur devenir vis-à-vis d’eux-mêmes et de leur communauté. Savoir d’où l’on vient c’est savoir comment on peut continuer sa vie avec bienveillance et dans la relation d’interdépendance des uns avec les autres ». Awali a retenu la leçon, elle a décidé de se servir désormais d’internet pour faire des recherches sur ses racines, mieux connaître la culture de ses ancêtres sénégalais qu’elle connaît très peu.
Savoir d’où l’on vient, pour savoir qui on est et où on va. Donner un sens à sa vie. « Pas celui qui nous mène à des valeurs de surconsommation mercantile, mais découvrir aussi ce qui est plus grand que soi dans cette communauté », précise Marc Sarwatka qui dirige l’entreprise de conseil en ressources humaines, Pro-évolution. Par où commencer ? Par l’éducation insiste les représentants des peuples racines. Car « c’est la pièce maîtresse de la vie », relève Assossa, pygmée du Gabon. « Le respect forme les racines principales de l’éducation, pour que les petites racines poussent aux côtés des grandes racines de l’arbre-mère », poursuit avec métaphore l’homme qui vit au cœur de la forêt primaire en Afrique centrale.
Du sport à l’entreprise
Le respect des autres, de la vie et celui des règles de la communauté jouent un rôle structurant, assurent les conférenciers. Coach au sein de l’association L’Elan sportif, Nassim Amidali, se réjouit de la rencontre et complète : « Dans le sport aussi c’est important, car les règles apportent de la rigueur pour que les jeunes se surpassent, qu’ils aillent au-delà de leurs propres règles. Il faut leur expliquer, pas leur imposer, de manière à ce qu’ils ne se braquent pas. Leur faire comprendre que ce n’est pas un ordre, mais plutôt une bonne manière de vivre ensemble ».
Une analyse partagée du côté de l’entreprise, avec Thierry Geisen, dirigeant, qui tente dans sa vie professionnel de « faire appliquer les règles avec respect, en expliquant les choses, sans être autoritaire. Même si parfois l’autorité est nécessaire, elle n’est pas le seul levier ». S’il y a plusieurs années, l’homme n’aurait pas été sensible à de telles idées véhiculée par les peuples racines, les épreuves de la vie l’ont menée à porter un autre regard sur sa vie professionnelle et personnelle, en tentant aujourd’hui de « rester aligné entre le cœur, la tête et la terre ».
Pour réussir à créer des ponts entre les univers des uns et des autres, la connaissance de soi semble indispensable. C’est un point d’ancrage pour trouver sa place. « Le premier vecteur d’insertion sociale et professionnel pour un jeune, c’est avant tout de se sentir bien dans sa peau. Parce qu’avant de se confronter à l’apprentissage d’un métier, au contact des entreprises, le plus difficile est de trouver un sens à sa propre vie, à l’engagement qui va lui permettre d’aller vers ce qu’il veut réussir », estime quant à lui Jean Burger, fondateur de l’association Semaphore qui accompagne des jeunes dans l’agglomération de Mulhouse.
Changer de regard sur soi, les autres et le monde, avec « bienveillance » et en quête constante d’équilibre, tel est « le cycle de vie » dont nous parle John Yazzie. Des outils de sagesse que nos sociétés ont parfois oublié, mais que ces rencontres permettent de raviver. Lorenza Garcia, rappelle ainsi que « les Diné portent une vision sur sept générations à venir » où passé, présent et avenir sont reliés par l’éducation et la transmission. Une relation au temps incarnée jusque dans les paroles, qui aura marqué l’esprit du jeune Samir : « J’ai eu l’impression d’assister à un cours d’histoire en direct ! », conclut-il avec enthousiasme sous les rires d’une salle séduite par l’expérience.
Par Sabah Rahmani
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