Boire l’eau à la source, se baigner dans une rivière, manger ce que la nature produit et vivre de peu, en forêt… Pour beaucoup, cela reste un rêve, alimenté par des récits comme Walden (1) ou Into the wild (2). Pour quelques amoureux de la nature, soucieux de renouer avec elle et de la protéger, le rêve est devenu réalité. Rencontre en Corrèze avec ces hommes et femmes des bois.
Les rencontrer démarre par un jeu de piste : se garer au bord d’une petite route de campagne, traverser une noyeraie, longer un vaste pré, se frayer un chemin dans une haie… et découvrir l’oasis de François Fleury. Emprunter un sentier dans une bambouseraie, un petit pont qui enjambe un ruisseau et voilà la cabane du maître des lieux, où un carillon permet de s’annoncer. Mais il n’est pas là. On nous avait prévenus : ce n’est pas un homme d’intérieur… Il se trouve quelques pas plus loin, dans la cabaneatelier, où il tente de réparer une brouette artisanale : « J’ai acheté ce terrain il y a trente ans, raconte l’enfant du pays. Une prairie sans aucun arbre où j’ai souhaité faire naître une forêt. »
Un rêve d’enfant
Plusieurs raisons ont motivé l’achat des 13 000 mètres carrés, notamment « des traumatismes d’enfance », raconte François Fleury : « J’ai vu des rivières condamnées, des forêts rasées, mes terrains de jeux être recouverts de bitume… J’avais envie de sauver une partie de cette nature que l’on ravageait. » La soixantaine, le corps sec taillé de muscles fins, une chevelure sauvage et les yeux pétillants, François Fleury a gardé une âme d’enfant, qui veut rester le plus loin possible des horreurs du monde des adultes.
Sa forêt fait ainsi de la place à la rêverie et au jeu. Entre les arbres se cachent des objets inattendus : la dénommée Tarzouille, une corde suspendue à des branches au bout de laquelle se balancer, un attrape-rêves géant… et d’innombrables tyroliennes. « Petit, j’étais à l’école des Éclaireurs de France3, se souvient le bricoleur. J’y ai appris la laïcité, l’aventure sociale, la débrouillardise… Je trouvais toujours des originalités pour s’amuser, que je reproduis ici. »
Des jeux qu’il construit aussi pour la douzaine de personnes qui cohabitent avec lui dans la dizaine de cabanes construites avec les matériaux trouvés sur place : « J’ai toujours voulu me débrouiller avec peu, notamment mon vélo pour seul moyen de transport », confie celui qui garde en tête les souvenirs des chocs pétroliers. Des boutures de saule permettent d’élever la structure à laquelle s’ajoutent des bambous pour former le toit et embrocher les bottes de foin qui constituent les murs. Du foin et de la paille couvrent également le toit, étanchéifié par des bâches agricoles récupérées dans la pépinière limitrophe. Les fenêtres ont, elles aussi, eu plusieurs vies avant d’intégrer les murs.
« Il faut compter 1 000 euros pour chaque cabane, estime François Fleury, mais le budget dépend des éléments que l’on arrive à obtenir gratuitement », comme les panneaux solaires et les batteries par exemple, qui assurent l’autonomie électrique. Dans sa « tanière », l’homme des bois montre son poêle en terre, sur lequel il cuisine et est fier de concocter « même des gâteaux ! » Dans l’unique pièce est aménagée une alcôve pour le couchage, mais pas d’espace salle de bains. Pour se laver, il faut marcher quelques minutes, serviette sous le bras, jusqu’à une résurgence. Une vasque à l’eau turquoise où les habitants des cabanes se lavent, été comme hiver. Une vasque suffisamment profonde pour plonger, nager… s’amuser ! « La vie que j’ai choisie peut paraître spartiate, nous confie François Fleury après la baignade, mais je ne souffre pas d’un manque de confort. Chacun peut d’ailleurs adapter l’aménagement des cabanes en fonction de son niveau de tolérance. »
Concrètement, l’épicurien dit n’avoir besoin que d’une centaine d’euros par mois pour vivre : « J’apprends à ne rien dépenser. Je me nourris beaucoup des légumes et fruits du potager ainsi que de plantes sauvages. » Il affirme ne pas toucher d’aides sociales, mais vivre uniquement des économies liées à un héritage. François Fleury ne demande d’ailleurs pas de loyer aux habitants des cabanes qu’il considère comme ses « invités ».
Des refuges pour refaire le monde
Parmi eux, Jonathan Attias et Caroline Perez occupent une cabane en lisière de forêt, où ils se sont installés avec leurs filles de 6 et 2 ans : Lia et Mani. Originaires de région parisienne, ils ont trouvé dans le lieu de François « le mode d’emploi de leurs rêves », dixit celle qui, dix ans auparavant, travaillait dans l’hôtellerie de luxe : « Je roulais en Bentley, je gagnais très bien ma vie sur Paris… et j’ai tout plaqué ! », se souvient-elle. Abreuvé d’informations sur l’effondrement prochain de notre monde, le couple passe par une phase de « désespoir », suivie du besoin de convaincre leur entourage de « faire autrement ».
« Mais on s’est dit que si on voulait être pris au sérieux, il fallait qu’on incarne notre discours, explique le couple. Certains écologistes sont en désaccord avec notre démarche, car ils pensent qu’en nous installant en pleine nature, nous détruisons le peu qu’il en reste, mais c’est une vision très négative de l’impact de l’Homme. Celui-ci peut être positif, comme le prouve le ré-ensauvagement réalisé par François ici. »
À quatre, leurs besoins quotidiens en eau n’excèdent pas 20 litres, quand la moyenne nationale est de 148 litres par habitant. Des économies permises grâce aux toilettes sèches, mais aussi à l’absence de douche, ainsi qu’à une prise de conscience : « L’eau de notre robinet provient d’une source du terrain, détaille Jonathan Attias. Un jour, elle s’est arrêtée de couler. Au-delà de la sensation d’angoisse que cela procure, il nous a fallu chercher l’eau avec des bidons à une source plus lointaine. La vie détachée de la nature ne permet pas cette prise de conscience, qui amène à plus de respect de l’environnement. C’est pourquoi nous pensons que l’écologie depuis la ville est une illusion. »
Le couple reconnaît qu’il faudra certainement du temps avant de se défaire du confort urbain acquis au siècle dernier « mais si nous, Parisiens, y sommes arrivés, preuve est qu’on peut tous le faire ! », affirme Carole Pérez, qui dit s’être renforcée grâce à cette vie : « Transporter les courses à la brouette, scier du bois pour se chauffer, marcher pour se laver dans l’eau froide… cela rend le corps et le mental plus puissants. J’avais peur que l’émerveillement pour ce lieu disparaisse au fil des jours, mais la vue sur la nature au réveil, le chant des oiseaux, le bruit de l’eau qui coule… je ne m’en lasse pas ! »
Un mode de vie dont le statut juridique est toutefois bancal [lire encadré], et source de conflit avec la mairie : « Peut-être que je serai obligé de démonter certaines cabanes, regrette François Fleury. Je ne suis pas pour la cabanisation mais pour une permission d’habiter la nature sobrement. »
Ensauvagement et vie moderne
Le soleil se couche doucement sur les collines corréziennes et Lia et Mani veulent se laver. Dans un coin de la cabane, une cabine de douche a été aménagée spécialement pour elles. Un bidon d’eau surélevé pour mélanger eau chaude et eau froide, et voilà un mitigeur bricolé ! « Notre limite, c’est la sécurité de nos filles, précise la mère de famille. Elles sont habituées à cette vie, mais on fait attention à ce qu’elles ne manquent pas de confort et à ce qu’elles ne se sentent pas en décalage avec les enfants de leur âge.
Lia virevolte joyeusement dans sa robe de princesse Reine des Neiges. Elle aime aller à l’école et est presque déçue d’apprendre que le troisième confinement annonce des vacances prématurées : « À vous maintenant ! », invite-t-elle, enthousiaste, à se balancer au bout de la Tarzouille. « J’aime bien tous les jeux dans la forêt et vivre avec plein de personnes. C’est rigolo de mettre les mains dans la boue pour construire les cabanes et c’est trop bien d’y dormir ! », raconte la petite fille qui insiste pour aider Jonathan à scier un arbre obstruant le chemin… Un jeu d’enfant !
Même si le couple ne souffre pas de ce mode de vie, ils cherchent un compromis « moins rustique » : « On est contents d’être passés par ce moment de dépouillement et d’ensauvagement, mais entre le travail et les deux filles, c’est compliqué de couper tout notre bois de chauffage à la main par exemple. Investir dans une tronçonneuse nous paraît raisonnable. Sans pour autant construire une vraie maison, on pense qu’il est possible d’améliorer notre confort en continuant d’avoir un impact positif sur l’environnement. »
Alors que la famille s’apprête à dîner, François Fleury scie encore des planches sur le chantier d’une future cabane : « J’entends qu’ils ont besoin de plus de confort, mais, personnellement, j’ai réalisé que chaque achat de produit manufacturé correspond à un espace de nature qui disparaît, voilà pourquoi je tiens à cet ascétisme. Ce qui me fait vibrer, c’est cette énergie des arbres, de la terre vers le ciel, le bruit du vent dans les feuillages, les odeurs qui se mélangent, croiser des animaux sauvages… cette harmonie placide qui sait vivre ensemble et cette synergie de croissance dont je me réjouis tous les jours. »
Trouver la faille dans le millefeuille juridique
La forêt ne faisant pas partie des zones constructibles, y bâtir une maison à titre de résidence principale est quasi impossible. Ce qui est compréhensible pour éviter la bétonisation, mais qui l’est moins selon la philosophie de la désobéissance fertile qui considère qu’habiter sobrement permet de protéger l’environnement. Il faut donc bien connaître la loi (et surtout les exceptions !) pour arriver à y installer son habitation principale.
Certaines installations insolites échappent ainsi au code de l’urbanisme, comme les « habitats perchés », mais la construction doit être effectuée sur du bois vivant, sans aucune emprise au sol. Les autres constructions n’y dérogeant pas, le plus simple est d’envisager des habitats légers ou réversibles (yourtes, cabanes, tipis, tiny houses…) dont le cadre juridique est fixé par la loi Alur depuis 2014. Pour ces derniers, une déclaration préalable en mairie est souvent suffisante, mais elle est soumise à l’approbation du maire ou de la préfecture. « Dans le doute, mieux vaut ne rien déclarer ! », disent les instigateurs de la désobéissance fertile. Sans dénonciation, il se peut que la loi n’exige jamais le démontage de votre résidence, d’autant qu’en cas d’infraction aux règles d’urbanisme, le délai de prescription est de six ans : au-delà, les poursuites pénales ne peuvent plus être engagées (Articles L480-4 et L610-1 du code de l’urbanisme).
D’autres failles permettent de faire valoir votre démarche, mais puisque la réglementation est complexe et change régulièrement, l’association Halem (Habitants de logements éphémères ou mobiles) aide ceux qui ont besoin d’aide à s’y retrouver dans ce dédale juridique.
- Henri David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, 1854.
- Jon Krakauer, Into the wild. Voyage au bout de la solitude, 1996. Adapté au cinéma par Sean Penn en 2007
- Scoutisme laïque : eedf.fr
POUR ALLER PLUS LOIN
- Jonathan Attias, La Désobéissance Pour une écologie offensive, Payot, 2021
- reseau-relier.org
- halemfrance.org
Bonjour, j’adore ce lieux j’aimerais bien y passer avec ma famille. Nous sommes 3 et voyageons en van nous aimerions nous arrêter c’est tellement beau mercii Rémy