Collecter, trier, réparer et revendre… En donnant une seconde vie au matériel de sport, La Recyclerie Sportive, réseau associatif de ressourceries spécialisées, tend non seulement vers un « sport responsable et zéro déchet », mais favorise aussi « l’accès au sport pour tous ». Reportage à Massy.
Au sol, une centaine de vélos, des haltères, des tatamis, des clubs de golf, des poteaux de volley, des paniers de basket, des planches de surf, une table de ping-pong dépecée… L’entrepôt de stockage de La Recyclerie Sportive de Massy, en région parisienne, regorge de matériel de sport usagé. Dans ce parking souterrain situé dans le quartier prioritaire de la ville, Clément débarque au volant de son camion. « Allez, c’est parti ! » Le responsable de la logistique de la recyclerie motive les deux jeunes bénévoles qui l’aident à décharger. « Nous avons encore collecté pas mal d’articles de sport auprès du magasin Décathlon. Ce sont essentiellement des invendus et du matériel défectueux. » Des centaines de kilos qui seraient autrement partis à la poubelle. « Ces tournées de ramassage, que ce soit en camion ou vélo, c’est le quotidien de l’association », livre son fondateur, Marc Bultez. « Ce sont 60 tonnes de déchets collectés cette année par nos deux recycleries de Massy et Paris ; 20 tonnes en 2016, lors des débuts. » Des chiffres en croissance constante.
Surconsommation et impact environnemental
« Au vu des flux concernés, ce n’est pas un hasard si les premières ressourceries spécialisées concernent le secteur du sport », souligne Julie Sauvêtre, chargée de projet Zéro déchet pour l’ONG Zero Waste France. Selon une étude de l’ADEME de 2019 1, le sport représente le troisième marché de biens de consommation en France, avec une dépense moyenne de 253 euros par an et par personne. Des secteurs comme le vélo, le running, la randonnée ou le fitness ne cessent de proposer des produits toujours plus innovants. Entre le textile – deuxième industrie la plus polluante – et les consommables – balles de tennis, de ping-pong, volants de badminton…–, cela représente un gouffre en termes de quantités jetées 2. Parce que la compétition exige d’utiliser du neuf… Derrière le matériel électronique employé dans les équipements de sport (montres connectées, appareils de salles de gym), « ce sont des terres rares extraites et transportées pour leur fabrication très impactantes pour l’environnement avec un effet domino désastreux. Pour quelques centaines de grammes de cuivre, ce sont des centaines de kilos de matières utilisées, puis gâchées lorsqu’un tapis de course sera jeté par exemple », déplore Julie Sauvêtre.
Dans ce contexte, les ressourceries sportives sont-elles la solution ? Il en existe seulement cinq en France, trop peu pour répondre au défi des déchets dans le sport, mais leur essor ne devrait pas tarder. À La Ressourcerie Sportive, Massy fut la pionnière, ouverte en 2016, suivie de sa petite sœur parisienne, dans le 17e arrondissement, puis cette année, de Mérignac, à côté de Bordeaux. On trouve deux autres ressourceries sportives : le Hangar du sport à Ustaritz, au Pays basque, et SupporTerre à Nantes. Selon Marc Bultez, « on estime que seulement 2,5 % des objets mis sur le marché sont réemployés en l’état, dont 0,5 % par les ressourceries. Le réemploi n’est pas encore assez commun, c’est un vrai gâchis. On est un peu des chiffonniers dans ce bateau, on essaie de faire en sorte de reprendre ces objets, de les réemployer, de trouver des solutions. » La Recyclerie Sportive de Massy est née de la rencontre de Bérénice Dinet et de Marc Bultez. Le couple, complice, officie en tandem. « Je travaillais dans le sport, Bérénice dans la gestion de déchets. Nos deux univers se rejoignaient dans la volonté de transformer les déchets en ressources et d’ouvrir le sport au plus grand nombre », raconte Marc, tout en changeant la couche de sa fille Garance. Leur association, aujourd’hui forte de quatre ans d’existence, douze salariés et une trentaine de bénévoles actifs, qui partagent leur philosophie. « On essaie de construire un réseau avec les différentes recycleries et le sport circulaire, explique Bérénice. On échange les bonnes idées, il est important d’être plus forts ensemble, car pour l’instant nous ne sommes pas assez nombreux. »
Preuve que le besoin est réel, La Recyclerie Sportive de Massy vient de s’agrandir et déménager sur le site de l’ancienne gare SNCF, à deux pas de la gare RER. « Un lieu de passage et de mixité, selon Marc. On l’a conçu comme un écolieu rassemblant au rez-de-chaussée le magasin, un café-restauration, un atelier de réparation de vélos et, à l’étage, des espaces de coworking ouverts à l’ESS, le Vélo Club de Massy, une salle de slow sport, un accueil d’accès au droit pour les 18-33 ans… »
Ce travail en commun commence par la collecte auprès de la grande distribution sportive, pour la majeure partie, mais aussi auprès des acteurs du réemploi, tels Emmaüs et les ressourceries qui n’écoulent pas leurs produits de sport, enfin les fédérations et clubs de sport. Marc tient à ce travail de longue haleine mené sur son terrain, celui de la région parisienne et de Massy, ville de cinquante mille habitants très sportive. Il enfourche quotidiennement son vélo pour ramasser, mais aussi faire le lien avec les sportifs, les convaincre de coopérer. Et ça prend : « Nous avons mis en place des Ecobox disposées sur des événements sportifs et dans les clubs ; nous avons construit un arbre pour récupérer raquettes et volants de badminton et des vélo-smoothies utilisés lors des compétitions. »
Collecter, réparer, transformer, etc.
Les clients, qui doivent adhérer à l’association, apportent également directement leurs dons au magasin. Ce jour-là, une jeune femme d’une vingtaine d’années, habituée des lieux, dépose trois grands sacs débordants : au total, près de 40 kilos de coupes, le butin de son grand-père, remporté lors de compétitions de vélo. Un geste évident pour cette génération. Ce que confirme Marie-Maguette, bénévole, qui vient au magasin. Aujourd’hui, elle est à la caisse. « C’est très important, j’achète mes articles de sport ici, je ne me pose même pas la question, j’ai du temps et je viens toutes les semaines. » Les clients et bénévoles participent également à la valorisation des articles de sport. Une fois le tri effectué, trois options s’ouvrent : recycler, réparer, transformer le produit. « Au total, 70 % du matériel récupéré est réemployé, c’est un bon taux », assure Marc Bultez, tout en vérifiant l’état d’un vélo exposé dans le magasin. L’atelier de réparation de vélos est niché derrière le rideau noir de la boutique. Quatre jeunes hommes s’y activent, tournevis et clés en main. « On préfère que les gens repartent avec leur vélo réparé plutôt qu’ils nous le laissent et en rachètent un neuf. Le monde dans lequel on vit est fou. Réparer un vélo peut coûter 150 euros, un vélo neuf moins cher ! Il faut lutter contre ça », insiste Marc. Parfois, lorsqu’il ne peut être remis en boutique en l’état ni réparé, l’outil de sport est transformé via des ateliers Do It Yourself. « Hier, c’était construction de bracelets à base de pneus de vélo, avec la partie handisport de la Fédération franbçaise de tennis. »
Dernière option, la redistribution, en magasin. Hélène Cozzi, toute jeune responsable du site de Massy est « une passionnée de sport qui a rejoint l’équipe par envie de travailler dans une petite structure et de développer les secondes vies. » Elle nous montre « le mobilier provenant d’un ancien magasin, les planches de skate repeintes qui font office d’enseignes, les crosses de hockey réutilisées en portants de vêtements. » Dans le magasin, on rencontre deux types de clientèle : les gens qui viennent par nécessité et ceux qui viennent par conviction « Pour les articles d’occasion, on pratique la moyenne basse du Bon Coin ; quand c’est neuf, on revend trois fois moins cher ; on va vendre aussi sur Internet », détaille Hélène. Massy et Paris comptabilisent deux mille adhérents ; environ vingt mille objets ont été vendus en 2019.
Cependant ces chiffres ne masquent pas le problème initial, une prise de conscience qui tarde devant l’urgence environnementale. Les gérants de la recyclerie de Massy, conscients des enjeux devant la masse d’objets qu’ils récupèrent, affirment que, dans l’idéal, les recycleries ne devraient pas exister. Pour Bérénice Dinet, « le robinet de la consommation est ouvert et on met juste un seau en dessous. L’idéal serait de fermer le robinet. » À leur échelle, ils mènent deux cents actions de sensibilisation à l’année, que ce soit à travers les ateliers de réparation, les Do It Yourself, leur travail étroit avec les clubs sportifs et fédérations, l’incitation à une pratique du sport responsable envers les citoyens. « Pour nous, la recyclerie est avant tout un outil de changement des comportements. »
Changer les comportements
À Nantes, la toute nouvelle recyclerie sportive, Supporterre, va dans le même sens. Ouverte depuis le mois d’août 2019, 3 tonnes de déchets sportifs y ont été récoltés. Un début. L’association SupporTerre agit depuis 2017 pour le sport et le développement durable sur la région Pays-de-Loire. Julie Chalaux en est la présidente. « Avant d’ouvrir, on a beaucoup testé en bord de terrain, étudié les réactions des sportifs. On travaille beaucoup avec les clubs locaux, amateurs et professionnels. Le foot, le cycle, le roller derby… tous les sports sont représentés. On pense que c’est en agissant sur notre échelle, sur notre territoire, que l’économie circulaire prend son sens. Notre but éducatif et de sensibilisation est de changer les choses dans le sport, pas qu’en disant, mais en faisant. » Les événements sportifs sont également le terrain de sensibilisation privilégié par les recycleries. SupporTerre a mis à disposition une boîte de collecte, construite en palettes de récupération, à la buvette du club de football Metallo Sport Chantenay Nantes Football, réfléchit sur l’utilisation de gourdes à la place de bouteilles en plastique, même pour les clubs invités, et offre des vêtements de sport de seconde main aux mineurs isolés qui n’en disposent pas. Des exemples concrets qui vont au-delà du simple réemploi des déchets sportifs, et tendent vers le double objectif du changement des comportements face à l’environnement et de l’insertion sociale par le sport. Sport et développement durable, deux domainesque la surconsommation a rendus antinomiques et qui sont pourtant, par nature, liés. Comme Bérénice et Marc.
- Source étude à préciser en SR2
- Entre 400 000 et 450 000 tubes de volants de badminton (soit entre 24 et 27 tonnes) sont consommés et pour la plupart incinérés, selon Compo’plume, une entreprise de l’ESS spécialisée dans le recyclage des volants.
Pour aller plus loin
www.hangar-du-sport.com