Réchauffement climatique : « La France aura des difficultés assez inimaginables »

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    Quel sera le climat de demain ? Comment gérer et anticiper le réchauffement climatique ? Depuis le 1erfévrier 2021, le rapport DRIAS sur le futur climatique français, rendu publique, rend compte des dernières projections, basées sur des études scientifiques. Décryptage avec Jean-Michel Soubeyroux, à la direction de la climatologie pour Météo France et coordinateur scientifique du rapport.

     

    Comment avez-vous mené cette étude ?

    Il est important de dire que c’est la communauté du climat en France et non pas seulement Météo France qui a mené l’étude. C’est la meilleure proposition qu’il était possible de faire en 2020 sur les projections climatiques en France. Il faut mettre à disposition les meilleures projections possibles pour agir. Le rapport DRIAS est une synthèse de la création d’un jeu de données publiées en automne 2020 soutenu par le ministère de l’écologie et des laboratoires climatiques[i]. Notre souci a été de sélectionner les simulations climatiques qui apportaient le plus d’information sur l’évolution du climat en France, qui étaient le plus pertinent. Et donc, d’avoir un sous ensemble qui représentait bien toutes les simulations avec des scénarios du pire, au moindre impact.

     

    Quels sont les différents scénarios du futur climatique français qui en ressortent ?

    Dans le rapport produit, les projections considèrent trois scénarios climatiques d’émission de gaz à effet de serre publiés par le GIEC à l’échelle européenne que nous avons réduit à l’échelle française. Parmi ces scénarios, Il y en a un qui correspond aux poursuites des hautes concentrations de gaz à effets de serre (RCP 8.5) entrainant une hausse des températures qui en 2100 atteindront plus quatre à plus six degrés Celsius. Un scénario qui correspond à une maitrise et stabilisation de nos gaz à effets de serre en milieu de siècle (RCP 4.5) aux conséquences climatiques modérées. Et puis il y a un autre scénario ou dès la décennie 2020-2030 on arrive à maitriser les émissions de gaz à effet de serre et même à avoir une forte diminution en fin de siècle (RCP 2.6) entrainant quasiment aucun changement climatique.

     

    Dans le pire des scénarios, quelles seraient les conséquences à l’échelle nationale et mondiale ?

    Avec des vagues de chaleurs qui durent des mois, avec des températures qui s’approcheraient des 50 degrés, honnêtement, les éléments du climat sont tellement forts que je ne suis pas sûr de pouvoir évaluer quelles seraient les conséquences. Tout ce que l’on voit c’est qu’il y a un climat qui a totalement changé par rapport à ce que l’on connait aujourd’hui. Et je ne suis pas du tout convaincu que dans ce climat-là on ait identifié toutes les conséquences pour les citoyens, les activités économiques, les écosystèmes…

    Déjà, avec 46 degrés dans le Languedoc en 2019, les spécialistes en agronomie ont vu des choses assez terribles sur certain nombre de cultures. Cela ne ressemblera pas au désert du Sahara mais à des températures qu’on rencontre dans le sud de l’Espagne ou dans le nord du Maghreb.

    Il ne faut pas voir le changement climatique par le bout de sa lorgnette et dans son jardin. Il faut le voir dans un contexte mondial et effectivement, la France ne serait pas le pays dans la situation la plus dramatique. Il y a sûrement d’autres problèmes que l’on n’imaginerait même pas. En inde il y a des études qui viennent d’être publiées pour dire qu’il y a certains humains ne pourraient pas survivre sans équipement parce qu’ils seraient en situation de surchauffe. Cela concerne quelques dizaines et centaines de millions d’habitants.

    La France aurait des difficultés assez inimaginables mais surement rien à côté d’autres pays.

     

    Comment éviter le pire ?

     Le rapport spécial GIEC 1.5 a expliqué les trajectoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il fallait entreprendre. Au niveau national on a une loi sur la stratégie bas carbone qui a été votée par la représentation nationale, avec un objectif de neutralité carbone d’ici 2050 en Europe. Pour moi les objectifs sont clairs. Après, quant aux moyens pour les atteindre, c’est peut-être là-dessus qu’il faut s’assurer que ces moyens soient à la hauteur de ces objectifs. Le problème est que pour éviter le pire des scénarios, il faut que la planète entière applique des moyens nécessaires. Le futur climatique français dépend des autres nations et pas seulement d’elle.

     

    Comment avez-vous procédé ?

     Dans le rapport DRIAS on a analysé les 15 premières années de l’évolution qui commencent en 2006, jusqu’en 2020. On a vu que pour les températures, en particulier sur la France, les modèles se sont comportés de manière tout à fait correcte par rapport à ce qu’il s’est passé les 15 dernières années, et ça, c’est un premier élément de confiance. Les incertitudes se basent principalement sur la concentration de gaz à effet de serre. On est peut-être tous à titre individuel en partie responsable du scénario qui va être observé au cours des prochaines années. Donc de ce point de vue la vérité on ne la connait pas, c’est pourquoi plusieurs scénarios existent.

    Entre 20 et 30 modèles de climats différents sont recensés, ils sont tous très proches au niveau de la température mais au niveau des phénomènes météorologiques comme les précipitations ils peuvent nous dire des choses différentes.

     

    Quel est votre objectif ?

     Ce dont on a besoin aujourd’hui c’est d’avoir une référence scientifique qui soit incontestable pour qu’ensuite on puisse s’en appuyer pour le débat et l’action politique. Le rôle des scientifiques et de météo France c’est d’apporter les faits, le constat pour que les politiques et les associations s’en emparent. Tout ce que l’on a produit est public et à destination de tous gratuitement, pour en faire l’usage qui juge bon d’en faire. Tout citoyen, toute structure peut le télécharger et en faire l’analyse pour passer à l’action.

    C’est un jeu de données pour l’action, l’action pour l’adaptation, l’action pour l’atténuation. Il nous semblait que pour que ces données soient directement utilisables il faut qu’elles soient bien accompagnées, qu’on décrive bien comment elles ont été conçues et qu’on encourage les utilisations avec une première analyse. On est dans une démarche de faciliter l’utilisation des données en apportant toutes les informations utiles pour éclairer le jeu de données et qu’elles soient utilisées.

     

    Êtes-vous malgré tout optimiste ?

     Le scientifique reste attentif et doit en permanence apporter l’information. Nous notre mission est vraiment d’observer et de rapporter en toute objectivité où on en est aujourd’hui. Et le « où on en est aujourd’hui » est inquiétant. Donc aujourd’hui je n’ai pas spécialement de raisons d’être optimiste sur ce que l’on a vu sur cette dernière décennie. Le climat se réchauffe en France de manière plus forte que ce que l’on n’avait jamais vu précédemment. On n’est pas aujourd’hui sur une inflexion du changement climatique…

    [i] Pour créer une projection climatique les scientifiques utilisent les équations de la thermodynamique. Ils intègrent l’ensemble du système climatique terrestre, ils représentent donc les océans, les fleuves, la banquise, la végétation. Ce sont des systèmes globaux qu’on appelle système terre. Ils ajoutent la variante du forçage radiatif : la différence entre l’énergie radiative reçue et l’énergie radiative émise.

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