Rapport du GIEC : Des solutions à appliquer « maintenant ou jamais »

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    Après avoir dressé un constat sombre et brutal des conséquences à venir du changement climatique (sécheresses, famines, migrations de masse, etc.) en mars dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), révèle dans le dernier volet de son rapport d’évaluation, publié le lundi 4 avril 2022, un éventail de solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Sortie impérative des énergies fossiles, accroissement des énergies renouvelables, développement de technologies de captage et stockage de CO2… Les mesures doivent être immédiates et prises dans tous les secteurs. Entretien avec Nadia Maïzi, chercheuse à Mines Paris-PSL et autrice principale d’un nouveau chapitre consacré aux évolutions des modes de vie .

    Dans quel cadre avez-vous travaillé sur le dernier volet de ce sixième rapport du GIEC ?

    J’ai collaboré à l’écriture de ce rapport dans le cadre d’un nouveau chapitre consacré aux solutions, sur les leviers potentiels de la demande des consommateurs (en énergie et en services), c’est-à-dire en lien avec nos comportements individuels, pour réduire les émissions à gaz à effet de serre. C’est un chapitre tout à fait nouveau car jusqu’à maintenant on se concentrait sur l’offre technologique ; il s’agissait avant tout de trouver les technologies qui permettent d’émettre moins, ou de stopper totalement les émissions. Mais désormais, dans ce chapitre, on met en avant qu’en modifiant nos comportements, nos modes de vie, nos usages, on peut avoir un impact et réduire nos émissions. Cette nouveauté est liée aux travaux scientifiques autour de la question du climat qui prennent en compte ce point de vue depuis une dizaine d’années.

    La mise en place de solutions revient souvent aux décideurs politiques, qui sont à même de les appliquer à grande échelle. Mais vous pointez ici l’impact des actions individuelles. Quelle est leur efficacité ?

    Ce levier de la demande (et non l’offre) est très intéressant. On a chiffré que le changement de nos modes de vie pourrait réduire de 40% à 60% le niveau des émissions, s’il est associé à des mesures politiques bien-sûr. Car en réalité, c’est un tout. S’il n’y a pas les conditions préalables à ces changements de comportements, comme des infrastructures,  il est très difficile pour les individus de modifier leurs usages. On a l’impression que ce sont des choses simples, et qu’en donnant la solution, l’individu va s’en emparer automatiquement. Ce n’est pas le cas.

    Une des recommandations par exemple est, dès que l’on peut, de privilégier des modes de transport doux, comme la marche et le vélo. Mais cela ne peut se faire que si l’on se trouve dans un environnement où l’on peut les pratiquer. Donc cela suppose une politique de la ville pour mettre en place les infrastructures qui conviennent. Rien qu’en se plaçant au niveau de la France, il y a de très grandes disparités entre les régions et les villes. Dans certains endroits, même si l’on souhaite se déplacer en vélo, il est déconseillé de le faire, l’espérance de vie pour les cyclistes étant très faible.

    « C’est aux décideurs politiques d’appréhender l’ensemble des solutions et de les mettre en musique »

    C’est pourquoi je pense qu’il est assez délicat de prendre une solution par une. Je dirais que ce rapport s’adresse avant tout aux gouvernements car c’est leur commande, afin que les scientifiques les éclairent avec les dernières connaissances sur le changement climatique. Et c’est à eux d’appréhender l’ensemble des solutions et de les mettre en musique.

    Quelles sont les grandes conclusions à tirer de ce dernier rapport selon vous ?

    Tout d’abord, il y a une très grande urgence (le pic des émissions doit être atteint au plus tard en 2025 pour limiter le réchauffement à 1,5 °C – objectif de l’Accord de Paris adopté en 2015 – avant une décrue dans tous les secteurs selon ce dernier rapport, ndlr). Ce n’est pas vraiment ce rapport qui le souligne, mais ce sont les deux volets précédents, qui ont confirmé que l’action de l’homme a un impact extrêmement négatif sur la planète. Dans ce dernier volet, on met en évidence une accélération des émissions, en raison de nos choix de modes de vie, de consommation, ou de développement économique (Après une baisse en 2020, les émissions de CO2 sont reparties à la hausse en 2021, ndlr). On a également souligné une très grande disparité entre les plus riches et les plus pauvres. C’est-à-dire que les 10% des habitants les plus riches sont responsables de 40% des émissions, tandis que les 50% des moins aisés n’y prennent part qu’à hauteur de 15%. Il s’agit du constat de base du rapport.

    Ensuite, on présente un bouquet de solutions assez complet, qui sont déjà de plus en plus accessibles, déjà en termes de coûts. On parle notamment des techniques de production d’électricité décarbonnée avec l’avènement des renouvelables (le rapport insiste sur les atouts de l’éolien et du solaire, ndlr) ; tout en mettant en garde sur la raréfaction des ressources dont on a besoin pour produire les batteries. Tous ces éléments-là sont détaillés, mais ce qui est intéressant c’est d’observer toute la diversité de solutions à laquelle on peut faire appel pour résoudre notre problème. C’est maintenant dans le camp des décideurs politiques. Il faudrait déjà qu’ils prennent la mesure de la situation et qu’ils orientent toutes les politiques vers notre objectif de réduction des émissions de GES. Or on sait bien qu’aujourd’hui que ce n’est pas leur objectif premier. Ni pour l’économie, ni pour les citoyens d’ailleurs.

    Est-ce que vous vous êtes inspiré d’expériences qui ont eu lieu dans certains pays pour proposer ces solutions ?

    C’est une question intéressante car il faut reconnaître que la matière scientifique a un tropisme très orienté vers le Nord. C’est-à-dire que nous avons moins de publications sur les régions du Sud. Et c’est assez compliqué, car on aimerait bien qu’il y ait des expériences menées en dehors des sujets bien connus, tels que le déploiement du renouvelable sur le réseau européen. Une question que l’on pourrait approfondir, c’est par exemple comment substituer les économies fondées sur les ressources fossiles à d’autres types de revenus, de sorte que les économies continuent à être viables dans certaines régions sans les énergies fossiles.

    « Le réchauffement climatique est un problème mondial, et on ne pourra pas faire un transfert de solutions sans savoir si elles sont bien adaptées à d’autres régions, cela n’aurait pas de sens »

    Et c’est justement le rôle de ce rapport que de faire l’évaluation des connaissances dont nous disposons. On met en lumière ainsi les domaines et les régions que la recherche doit investir. Car le réchauffement climatique est un problème mondial, et on ne pourra pas faire un transfert de solutions sans savoir si elles sont bien adaptées à d’autres régions, cela n’aurait pas de sens.

    On sait aujourd’hui que les pays les plus riches polluent le plus, tandis que les pays les moins développés polluent moins et sont plus vulnérables au changement climatique. Comment prenez-vous en compte cette problématique dans ce dernier rapport consacré aux solutions ?

    En effet les pays les plus fragiles sont souvent les moins émetteurs. Se pose aussi la question des pays émergents qui émettent énormément et qui veulent atteindre le même niveau de développement que les pays du Nord, mais là on rentre dans des sujets qui sont abordés dans le cadre des négociations pour le climat, autour des conférences internationales comme les Conférences des Parties (COP). Ce n’est pas le rôle des scientifiques du GIEC, car on ne doit pas être prescripteurs de solutions, mais simplement évaluer la pertinence de ces dernières. Et les mesures de répartition des efforts en font partie. Il y a un chapitre exclusivement consacré à la finance, qui évalue justement l’aide aux investissements nécessaires pour pouvoir soutenir cet effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de la planète.

    Dans ce rapport, vous mettez en avant la volonté d’enclencher une « transition juste », en prenant en compte les conséquences socio-économiques de certaines mesures. En tant que scientifiques, comment menez-vous ce travail qui laisse place à des analyses sociales ?

    On avait pour notre chapitre des auteurs spécialisés dans des disciplines telles que la psychologie, la sociologie, les sciences sociales au sens large. Et pas seulement des sciences « dures » comme on dit dans le jargon, et dont je suis issue (Nadai Maïzi est Directrice du Centre de Mathématiques Appliquées de MINES ParisTech, ndlr). On avait par exemple une collègue canadienne qui était très au fait des questions des populations autochtones qui ont cette préoccupation autour de l’usage des sols ; car ces dernières sont souvent dépossédées des terres qu’elles cultivent, afin de reforester ces endroits par exemple.

    Cette pluridisciplinarité, nouvelle dans les rapports du GIEC, est très intéressante. Car cette question de la transition vers un monde décarbonné appelle à tous les champs d’étude et à toutes les compétences. Cela peut être un grand projet de société, car on a besoin de tous les points de vue. Autant au départ on avait vraiment besoin de physiciens, de spécialistes qui modélisent le climat pour comprendre ce qui était en train de se passer, autant il est nécessaire aujourd’hui d’appréhender les solutions et de considérer l’homme au centre de la boucle.

    Quand on développe des politiques, il faut que toutes les parties prenantes soient impliquées, parce que le changement auquel on doit s’atteler, est un changement qui va perturber, donc il y aura forcément des externalités négatives : des secteurs professionnels qui vont devoir complètement se transformer pour s’orienter vers d’autres métiers, des populations qui vont être plus perturbées que d’autres, des classes sociales qui pourraient être plus vulnérables que d’autres, etc. Et c’est important d’anticiper ces bouleversements a priori, et non a posteriori pour que la justice soit établie. C’est pour cela que l’on parle de « transition juste », d’équité et de répartition des efforts.

    Le GIEC souligne fréquemment dans ses rapports le manque de volonté politique pour lutter contre le changement climatique, ce volet consacré aux solutions a-t-il plus de chances de faire écho au niveau des décideurs selon vous ?

    C’est ce que j’espère. On leur donne via ce rapport des éléments tangibles de ce dans quoi on peut piocher pour réaliser une réelle planification pour freiner le réchauffement climatique. Le deuxième rapport est important car il est consacré aux adaptations. Mais je crois que ce troisième volet est un véritable outil pour les décideurs, et qui doit répondre à l’injonction de l’urgence. Car ce qu’on leur dit c’est : « Maintenant ou jamais ». Il faut arrêter de tergiverser. Et je pense que nous avons une occasion au niveau national, avec un calage de calendrier assez intéressant. A voir ce que notre futur élu fera de cette question climatique.

     

    Pour aller plus loin :

    -Voir le rapport (en anglais)
    -Comprendre le GIEC : https://www.ecologie.gouv.fr/comprendre-giec


     

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