La permaculture recouvre deux dimensions distinctes : l’une, plutôt philosophique, décrit un nouveau modèle de vie – ou paradigme – en harmonie avec la nature et entre humains. La seconde, plus conceptuelle, désigne un outil de création de lieux de vie durables, d’entreprises agricoles et/ou régénératives ou de communautés.
D’origine anglaise, le mot est formé sur la contraction de permanent agriculture. Les précurseurs en la matière sont l’Américain J. Russell Smith, auteur de Tree Crops : A permanent agriculture (1929), l’Australien P.A. Yeomans (Water for every farm, 1964), le Japonais Masanobu Fukuoka (La Révolution d’un seul brin de paille, 1975). Les Australiens David Holmgren et Bill Mollison, auteurs de Permaculture 1 (1978), sont les deux co-fondateurs du concept tel qu’il existe aujourd’hui, et qui recouvre des préoccupations bien plus larges que le seul volet agricole.
Les objectifs sont simples : diminuer l’effort pour l’être humain, améliorer l’utilisation de l’énergie sous toutes ses formes (les déchets devenant des ressources), travailler en coopération avec la nature et non contre elle. La permaculture s’appuie sur la durabilité d’un système, sa non-dangerosité ainsi que sa robustesse face aux aléas de la vie (climat, maladies, etc.) et sa capacité de résilience (adaptation au changement). Le principe fondateur est l’observation de la nature et de ses modèles : elle fédère les savoirs traditionnels des anciens et les découvertes scientifiques récentes. La permaculture traite par conséquent d’un large éventail de sujets : habitat, agriculture, communautés, gestion des énergies, etc. Elle exprime ainsi une notion de « culture de la permanence ».
Selon Richard Wallner, accompagnateur de projet permaculturels, elle est avant tout une vision qui s’articule sur un quadruple principe :
- Un postulat : tout est lié ;
- Un objectif commun : que chacun développe, là où il vit, là où il travaille, à la mesure de ses moyens, des solutions qui lui permettent de vivre sainement, ici et maintenant ;
- Une équation à résoudre : l’harmonie de l’être humain avec la totalité de l’existence ;
- Une éthique :
Donner du sens à nos actions quotidiennes en faisant en sorte :
qu’elles prennent soin de la Terre,
qu’elles prennent soin des êtres humains,
qu’elles participent à une gestion équitable des richesses de base et des surplus.
La permaculture, à la recherche de soi
Si le but de la permaculture est de protéger la nature et de respecter le vivant, elle nous impose de clarifier nos besoins personnels. Elle interroge profondément nos motivations : comment combler nos besoins, avant de nous jeter tête baissée dans des projets collectifs et écologiques, aussi louables soient-ils ? Rencontre avec quatre pionniers.
Patrick Whitefield est enseignant, expert en permaculture en Europe. Il est l’auteur de livres traduits en plusieurs langues, dont le remarquable Créer un jardin forêt. Il est reconnu pour son savoir approfondi sur la permaculture ainsi que pour la qualité de son enseignement. Cathy Whitefield est thérapeute en développement personnel depuis de nombreuses années et apporte aux stages de permaculture ses compétences en gestion des groupes.
Comment définir la permaculture ?
Patrick : Je dirais que cela consiste à suivre le modèle de la nature pour organiser l’aménagement de fermes, de villages, de jardins. C’est un système où la nature nous apprend à répondre à nos propres besoins.
Cathy : La permaculture s’applique aussi bien à l’extérieur, dans nos jardins ou nos maisons, qu’à l’intérieur de nous, dans notre propre spiritualité. Elle ne concerne pas seulement la terre ou la conceptualisation d’espaces naturels : c’est aussi une façon d’organiser et de gérer les relations humaines.
Comment ce système peut-il être bénéfique pour les individus et la société ?
Patrick : La permaculture procure un cadre qui permet d’englober toute la biodiversité, depuis les lieux jusqu’aux personnes. Elle traite aussi de compassion et nous invite à anticiper la façon dont nous pourrons vivre émotionnellement les changements que notre société va devoir affronter, à appréhender les sentiments de peur, de perte, de deuil, à sentir de quelles ressources internes nous disposons pour faire face à un futur menaçant et inquiétant.
Cathy : C’est exactement ça. Elle permet d’associer l’aspect spirituel, émotionnel de l’humain à la notion écologique du respect de la Terre. Nos sociétés veulent séparer l’écologie et le spirituel mais en réalité tout est relié.
Pensez-vous que les actions menées en permaculture peuvent changer quelque-chose dans le monde et comment ?
Patrick : (rires) Oui ! Sinon nous ne le ferions pas ! Il est vrai qu’il y a trente ans, nous pouvions encore transformer nos sociétés en un monde plus durable pour les générations futures ; il est manifeste que c’est aujourd’hui devenu impossible. Nous avons dépassé un point de non-retour sur le plan écologique. Nous devons maintenant nous focaliser sur la façon d’organiser nos communautés, nos sociétés et la vie des individus d’une façon qui soit plus pratique, pour anticiper et vivre sereinement les déséquilibres qui vont s’installer. C’est un gros défi, mais c’est notre but.
Cathy : En effet, la donne a changé, nous devons donc changer nous-mêmes. Nous pouvons faire évoluer nos manières d’agir, nous adapter à l’avenir. La permaculture apporte des ressources et des outils pour affronter un monde plus difficile à gérer émotionnellement et matériellement.
Vous enseignez la permaculture depuis vingt ans, qu’est-ce qui a changé selon vous durant ces années ?
Patrick : Les personnes qui viennent suivre nos stages sont de plus en plus souvent issues du modèle conventionnel de la société alors qu’au début nous touchions seulement le milieu « alternatif ». Nous avons aussi remarqué que les gens ont davantage besoin de réaliser des actions concrètes.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent se lancer en permaculture ?
Patrick : Il y a plusieurs réponses possibles selon qu’on habite en ville ou à la campagne. Mais il me semble que le premier pas consiste à mesurer les conséquences économiques et sociales de nos actes d’achat. Ensuite je suggèrerais à chacun de faire pousser quelque chose, même sur un petit balcon : cet acte peut changer votre vision des choses.
Cathy : Pour commencer, je conseillerais des choses simples : lire des ouvrages sur ce sujet, suivre un stage, rencontrer des personnes impliquées dans la permaculture. Être plusieurs, pouvoir s’encourager, ça fait une grande différence. Partagez vos connaissances, vos ressentis ; créez des communautés pour faire ensemble des choses plaisantes : planter des arbres, organiser des jardins… Cultivez l’esprit joyeux !
Du côté de chez Franck
Franck Nathié est chercheur et animateur de l’association La Forêt nourricière, dont le but est de promouvoir la permaculture. Fort des recherches et expérimentations qu’il mène sur ce sujet depuis dix ans, il est l’auteur de Permaculture en climat tempéré, un ouvrage traitant des stratégies du vivant qu’il a pu observer sur son parcours.
C’est en traversant une période de quête intime et existentielle que Franck s’est dirigé vers la permaculture. Il était déjà très inspiré par les cultures des peuples chasseurs-cueilleurs qu’il étudiait depuis de nombreuses années. Leurs principes de vie, sobres, à l’opposé de ceux de nos sociétés, représentaient pour lui un potentiel d’ouverture pouvant renouveler nos manières de penser et d’agir. Il a aussi été longtemps adepte de la décroissance, qui incite à limiter notre course à la consommation. Quand il découvre la permaculture, il est tout de suite séduit par cette philosophie globale :
« La permaculture se réduit pas à un processus agricole qui nous couperait de nos ressentis, explique-t-il. La lecture de la nature m’apprend beaucoup sur les stratégies que nous pourrions mettre en place pour mieux vivre et agir ensemble. Les phénomènes d’interdépendance qu’on y observe et la recherche constante dans le monde végétal d’une homéostasie, c’est à dire d’un équilibre interne dans son fonctionnement, sont une source dont je m’inspire pour transmettre des outils aux personnes qui s’engagent dans des projets collectifs. »
Franck aime citer l’exemple du simple haricot de Lima, qui peut donner bien des leçons d’équilibre et de savoir-vivre naturel : ce légume produit habituellement un latex toxique pour résister aux chenilles qui l’attaquent. Mais lorsqu’il se trouve confronté à une espèce plus résistante qui s’accommode parfaitement de son poison, il cesse de dégager ce latex et émet un miellat très parfumé qui attire les fourmis. Celles-ci, c’est bien connu, sont peu prêteuses et très belliqueuses : elles s’occuperont de repousser les chenilles. Dès que l’envahisseur est évacué, le végétal cesse de produire le miellat devenu inutile et poursuit tranquillement son existence de haricot. Des dizaines d’exemples comme celui-ci pourraient s’adapter aux rapports humains.
Aujourd’hui Franck propose une méthodologie aux groupes qui se lancent dans la réalisation de jardins-forêts collectifs ou d’éco-lieux. Persuadé que l’on cherche souvent à l’extérieur de nous des ressources dont nous sommes intimement riches sans le savoir, il invite à sortir de l’assistanat et du dirigisme, qui structurent trop souvent les relations humaines, au profit de rencontres où les opposés deviennent des complémentarités constructives. « Un collectif – que ce soit une entreprise, une association, une communauté ou un projet – doit chercher l’union et sortir de la dualité », rappelle-t-il, avant de conclure :
« Notre chemin d’action doit être impulsé avant tout par l’amour, l’amour que je porte à moi-même et aux autres et non pas par la peur que génèrent des sentiments d’urgence écologique. »
Du côté d’Alexia
Alexia Martinez enseigne la permaculture en Australie où elle réside, conçoit des sites (jardins urbains ou terres agricoles) et anime des formations en France. La découverte de la permaculture à la naissance de sa fille lui a ouvert de nouvelles perspectives plus en adéquation avec ses valeurs, lui a permis de renouer avec les rêves de son enfance passée dans le jardin urbain luxuriant de son père, qui appliquait déjà cette technique sans le savoir. Formée par Rosemary Morrow, reconnue comme une pionnière australienne, elle s’attache à laisser plus de place aux enseignés, pour leur apprendre à penser par eux-mêmes.
Pour Alexia, la permaculture met en cohérence des stratégies anciennes connues et utilisées par les paysans, avec une éthique assise sur trois principes : le respect des humains, le respect de la terre et la redistribution des richesses. Dans ce domaine, les principes sont beaucoup plus importants que les techniques utilisées. La vraie question à se poser avant de passer à l’action est : est-ce que cela a du sens pour moi, de mettre en place telle technique sur ce lieu, est-ce que c’est logique et est-ce que c’est éthique ?
Autre atout fondamental de la permaculture selon Alexia : elle peut être régénératrice de la communauté. Elle offre la capacité d’observer notre société et de réfléchir à des systèmes sociaux répondant aux besoins que l’on y a détectés. De même que chez les aborigènes, où chacun tient un rôle et une place, il importe de se demander de quoi la communauté a besoin, quelle fonction fait défaut et comment chacun peut y remédier avec ses compétences particulières.
Extrait du dossier de Kaizen 8, « La permaculture, Coopérer avec la nature », réalisé par Béatrice Mera, Benjamin Broustey, Cyril Dion, Yvan Saint-Jours et Pascal Greboval.
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j,aime proteger la nature
Bonjour,
Comment peut-on être informé des prochains stage de permaculture organisés en France par Patrick et/ou Cathy ?
Merci par avance,
Bien cordialement,
Pauline