Produire sur place ce que nous mangeons

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    De plus en plus de villes tâchent de produire sur leur territoire de quoi nourrir leur population. Pourquoi ? Comment ? Réponses avec l’expérience d’Ungersheim.

    La petite commune d’Ungersheim (2000 habitants) dans le Haut-Rhin a été très influencée par le mouvement des Villes en Transition, comme en témoigne son maire Jean-Claude Mensch : « Je suis maire depuis vingt-cinq ans. À la base j’avais des convictions écologiques mais pas une vision aussi claire qu’aujourd’hui. Notre action a connu un vrai tournant en 2011 quand on a pris connaissance de la démarche des Villes en Transition[1]. » La commune avait déjà élaboré son plan climat en 2006, mais, dès lors, elle structure sa politique autour de l’idée d’autonomie intellectuelle, énergétique et alimentaire, déclinée en vingt-et-une actions.

    Premiers pas vers l’autonomie

    Dans cette commune encaissée au creux d’une vallée des Vosges assez peu fertile, les habitants s’interrogent sur leur approvisionnement en cas de raréfaction (ou d’explosion du coût) du pétrole. Il s’avère que la situation ne serait pas brillante : « Nous sommes essentiellement livrés par camion, témoigne Jean-Claude Mensch, et nous nous trouverions rapidement en situation de pénurie. » Ungersheim est pourtant entourée de près de 900 hectares de terres agricoles, mais vouées à des monocultures de maïs ou de céréales destinées à l’exportation. Le conseil municipal décide alors d’utiliser les terres sur lesquelles il a la maîtrise foncière pour contribuer à nourrir la population. Il rachète le bail de terres agricoles communales louées à un céréalier et y installe une exploitation maraîchère bio sur huit hectares, gérée par une association d’insertion : les Jardins de Cocagne. Celle-ci produit aujourd’hui 300 paniers par semaine de légumes et fait travailler trente personnes. Jean-Claude Mensch et son équipe signent un bail environnemental avec un agriculteur bio voisin qui dispose de deux hectares et soutient une ferme de cinquante hectares d’une commune voisine (mais qui exploite sous son bail) dans sa conversion au bio. Petit à petit la commune grignote du terrain. Sur ces terres sont produits des légumes, mais également des légumineuses pour remplacer partiellement la viande « trop énergivore et que l’on consomme trop » selon le maire, ainsi que des céréales panifiables, parmi lesquelles des variétés anciennes. Il reste aussi quelques éleveurs sur la commune, « qui ne sont pas en bio, souligne Jean-Claude Mensch, mais qui travaillent dans des conditions d’élevage extrêmement correctes ».

    Dans le village, l’un des éleveurs a ouvert une boucherie-charcuterie, un autre organise régulièrement un marché à la ferme ; en saison, les jardins de Cocagne proposent chaque semaine le marché des trèfles rouges, où ils vendent les produits de leur exploitation. Mais l’équipe municipale veut aller plus loin.

    Construire une filière locale

    Afin d’élargir la distribution de sa production en circuit court, la petite ville alsacienne crée aujourd’hui « De la graine à l’assiette », une filière bio destinée à approvisionner un territoire plus étendu. Pour cela, elle est en train de monter une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui prendra en charge le fonctionnement d’une légumerie, d’une conserverie, d’une micro-brasserie et d’une épicerie. En bout de chaîne, la cuisine (qui sera opérationnelle fin février 2014) assurera l’approvisionnement de la restauration scolaire, mais également, dans un rayon de 15 minutes de transport en liaison froide et chaude, d’autres collectivités et d’autres écoles. Elle pourra fournir 600 repas par jour. « Cela reste une petite unité, souligne Jean-Claude Mensch, mais c’est un système reproductible ailleurs, c’est ce que nous voulons démontrer. » En attendant, et depuis 2009, les élèves de l’école d’Ungersheim bénéficient déjà de 70 repas quotidiens 100 % bio et d’un goûter, préparés dans une ancienne cuisine.

    Pour les années à venir, la commune souhaite soutenir la production de lait bio en facilitant la reprise de l’exploitation d’un éleveur partant bientôt à la retraite, améliorer et développer la production de farine, cultiver plus de légumineuses, mais surtout sensibiliser les habitants.

    « Aujourd’hui la production est là, mais trop d’habitants vont encore se fournir au supermarché ! »,

    déplore Jean-Claude Mensch. Pour les inciter à consommer les denrées issues du territoire, la municipalité s’est dotée le 13 juillet dernier d’une monnaie locale – qui ne peut donc être utilisée que sur place : le radis. « Ce sont encore beaucoup de personnes des villages voisins ou de Mulhouse qui viennent acheter les produits, il n’y a pas encore suffisamment d’habitants d’ici. »

    La difficulté financière

    D’après le maire, la principale difficulté pour développer plus avant l’autonomie alimentaire des communes reste financière. Il faut pouvoir acquérir des terrains, or le conseil municipal n’est pas prêt à prendre de risques inconsidérés lorsqu’il s’agit de sommes trop importantes : « 500 000 euros pour la cuisine ça passe encore, parce qu’il y a des emplois et que nous percevons un loyer. Mais pour un prochain projet de ferme avec un bâtiment permettant le stockage et la formation, on atteint 1 million d’euros : cela soulève davantage d’oppositions. »

    Selon Jean-Claude Mensch, ce système serait plus simple à reproduire dans de grandes communes, disposant de la maîtrise foncière de terrains plus importants et de fortes capacités d’investissement pour acheter, louer des terres ou passer des contrats avec les agriculteurs. Question de volonté politique et de priorités…

     

    [1] Les Villes en Transition cherchent à construire un modèle capable de s’affranchir progressivement du pétrole et des énergies fossiles et à recréer le principe naturel de la résilience.

     

    Extrait du dossier de Kaizen numéro 13, réalisé par Cyril Dion, Pascal Greboval et Jean-Claude Mengoni.


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