Pourquoi les bruits humains nuisent à la biodiversité

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    Qui n’a jamais vu ces vidéos de mammifères marins qui viennent s’échouer sur les plages, désorientés par les bruits du trafic maritime ? Si l’impact des bruits humains sur les fonds marins est largement relayé dans l’espace médiatique, il ne faut pas oublier que sur terre aussi les sons anthropiques influencent la biodiversité animale et végétale, avec son lot de problèmes… et de solutions.

     

    Les être humains n’ont jamais cessé de produire des sons, ces vagues vibratoires qui se répandent dans l’espace environnant. Mais depuis l’entrée dans l’ère industrielle, il y a un peu plus de deux siècles, les sons produits par l’activité humaine se sont mué en bruits : il est devenu de plus en plus gênant pour l’être humain, mais aussi pour les espèces animales et végétales. En plus d’augmenter en intensité, le bruit anthropique s’est étendu sur tout le globe : on observe une diminution de 50 à 90% des lieux vierges de présence humaine sonore depuis l’ère préindustrielle. Même dans les zones protégées, le bruit humain surpasse le naturel : d’après une étude de Rachel Buxton1, une biologiste canadienne, il dépasse le niveau sonore des écosystèmes eux-mêmes dans deux tiers des espaces naturels protégés étasuniens.

    La faune terrestre toujours dérangée

    La bio-acoustique est une science qui étudie les sons produits par les animaux, pour comprendre comment les animaux communiquent, pourquoi les sons sont importants chez eux, quels sont les différents sons qu’ils produisent, quels sons les impactent… C’est un domaine transdisciplinaire qui réunit de nombreuses compétences. Charlotte Curé est une bio-acousticienne avec une formation de biologiste, elle travaille avec des physiciens, des bio-statisticiens, des mathématiciens. Pour la scientifique, il ne faut pas que le grand public oublie l’impact des sons humains sur la biodiversité terrestre : « Même si le milieu sonore maritime est beaucoup plus étudié aujourd’hui et donc fait plus parler de lui qu’auparavant, la biodiversité terrestre est toujours touchée par les sons anthropiques. »

    Les chauve-souris subissent de plein fouet les bruits humains.
    Les chauve-souris subissent de plein fouet les bruits humains.

    Deux grandes catégories de bruits vont déranger la faune. Les bruits forts, et les sons continus, comme aux abords d’une route : le bruit provoqué par le passage des voitures diminue la présence d’oiseaux jusqu’à 1,5 kilomètres à la ronde. Ces deux catégories peuvent provoquer des effets physiologiques sur l’animal, comme du stress ou de la perte d’audition, mais aussi des effets comportementaux. Le bruit va venir brouiller les échanges entre individus, en supplantant les sons pour leur communication, influençant ainsi leur répartition sur le territoire, leur reproduction, leurs habitudes alimentaires. Par exemple, les chiroptères se repèrent dans l’espace en projetant des sons : selon le retour de leurs ondes, elles se déplacent en conséquence. En cas de bruits anthropiques, certaines chauves-souris peuvent chasser trois fois plus longtemps qu’en temps normal, ou réduire leur terrain de chasse d’un quart.

    Une influence des bruits humains qu’il faut nuancer pour Charlotte Curé, sans pour autant la minimiser : « Certaines espèces sont capables de s’adapter, elles peuvent moduler leur fréquence, changer leurs habitudes pour produire des sons en dehors des plages de bruit anthropique, mais ce n’est pas le cas de toutes.» En effet, l’une des études phares sur l’influence du bruit humain sur les oiseaux, menée par Hans Slabbekoorn2 a démontré dès 2003 que des oiseaux avaient modifié leurs chants pour passer au-dessus de la cacophonie urbaine.

    Les végétaux n’aiment pas les bruits

    Les bruits humains peuvent également toucher, en plus des animaux, les végétaux. Isabelle Charrier est bio-acousticienne au CNRS, elle a beaucoup étudié les oiseaux marins. Pour elle, un effet domino peut s’enclencher lorsque l’on perturbe les habitudes des oiseaux : « On est dans une chaîne donc nécessairement, s’il y a moins d’oiseaux dans une zone, ils mangent moins d’insectes nuisibles, ce qui peut influencer négativement les espèces végétales présentes. » Or, les déjections animales permettent aussi de répartir les graines : en l’absence de consommation par des animaux, la progression d’une espèce végétale est ralentie.

    Isabelle Charrier enregistre un lion de mer australien, en Australie.
    Isabelle Charrier enregistre un lion de mer australien, en Australie. ©CNRS

    Plus étonnant encore, l’étude conduite par Lilach Hadany de l’Université de Tel-Aviv (Israël) a montré que l’Onagre bisannuelle adapte son comportement selon les bruits qui l’entourent. Ainsi, lorsque se font entendre les fréquences des bruissements d’ailes des pollinisateurs, la fleur augmente la concentration de sucre dans son nectar. Au-dessus et en dessous de cette fréquence précise, le sucre n’augmente pas. Potentiellement, les sons humains pourraient venir perturber cette relation entre les pollinisateurs et la plante, et donc, le phénomène de pollinisation.

    Des solutions encore trop peu contraignantes

    Plus la science développe d’études démontrant l’impact des sons humains sur les espèces, plus des solutions sont recherchées. L’une des pistes principales en milieu urbain, qui va de paire avec la lutte contre le réchauffement climatique, est la végétalisation. En végétalisant les bâtiments et les sols en milieu urbain, il est possible de réduire la réverbération du son dans l’espace, et donc son impact sur les animaux. D’autres solutions sont décrites par Isabelle Charrier : « On peut aussi réduire la vitesse des transports en milieu maritime comme terrestre et donc leur bruit… Dans la mer, on peut poser des rideaux de bulles qui vont réduire la propagation du son lors de travaux, sur terre on peut mettre en place des murs anti-sons. »

    Le mur végétal du Quai Branly à Paris absorbe ainsi une partie des bruits émis par le trafic.
    Le mur végétal du Quai Branly à Paris absorbe ainsi une partie des bruits émis par le trafic.

    De leur côté, les pouvoirs politiques prennent peu à peu conscience et légifèrent. La directive européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992 affirmait la nécessité de conserver des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. Depuis, de nouvelles législations ont permis de mettre en place des études en cas de chantier, pour étudier son impact sur la biodiversité, mais Charlotte Curé nuance ces avancées : « Lors des phases de développement d’un projet d’aménagement, je constate en effet une augmentation des avis demandés sur l’impact pour la faune, c’est devenu incontournable. Mais nos avis ne sont pas contraignants, et il y a encore du travail pour convaincre qu’il faut faire passer l’environnement avant l’économie. »


    Sources :

    1. Marine Veits, Itzhak Khait, Uri Obolski, Eyal Zinger, Arjan Boonman, Aya Goldshtein, Kfir Saban, Udi Ben-Dor, Paz Estlein, Areej Kabat, Dor Peretz, Ittai Ratzersdorfer, Slava Krylov, Daniel Chamovitz, Yuval Sapir, Yossi Yovel, Lilach Hadany, « Flowers respond to pollinator sound within minutes by increasing nectar sugar concentration »  in Ecology letters, 2018, https://doi.org/10.1101/507319
    2. Slabbekoorn, H., Peet, M. « Birds sing at a higher pitch in urban noise ». Nature 424, 267 (2003). https://doi.org/10.1038/424267a

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