Pierre Rabhi : « L’humanisme interpelle chacun d’entre nous »

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    Dans son dernier livre d’entretien J’aimerais tant me tromper (Ed. de l’Aube, 2019) avec Denis Lafay, l’agriculteur philosophe Pierre Rabhi témoigne d’un engagement toujours aussi vif, à la fois critique et constructif, sur l’urgence et la nécessité de changer de paradigme. Rencontre.

    Dans votre dernier livre, vous dîtes que vous êtes « dans divers engagements stimulés par une quête d’humanisme dont [vous êtes] convaincu qu’il le seul à pouvoir donner suite à l’aventure ». Pourquoi ?

    Il suffit d’être attentifs aux actualités dans le monde pour se rendre compte que ça ne va pas très bien, que les êtres humains continuent à se faire la guerre et à détruire la vie. Je pense en effet que seul l’humanisme peut faire face à cet état du monde. Sachant que l’humanisme n’est pas à confondre avec l’humanitaire qui a pour vocation de soulager la misère des autres, parce qu’il relève de quelque chose de plus profond, de cette fraternité et de cette bienveillance qui est nécessaire si nous voulons vivre ensemble et cohabiter sans antagonisme sur cette planète. L’humanisme interpelle chacun de nous, il met de la vie et de l’énergie de l’amour dans la relation plutôt que de la compétition.

    Dans votre aventure personnelle, vous avez emprunté une voie qui nourrit votre « quête de sens et de cohérence ». Comment ?

    Oui car il y a plus de 55 ans, nous avons choisi de ne plus vivre dans une ville pour travailler en attendant la retraite, nous avons décidé de vivre autrement, à nos risques et péril, pour de ne pas rester dans une conformité sécurisante qui, en réalité, ne permet pas une véritable aventure de vie. Nous avons fait le choix de nous installer comme agriculteurs, en développant l’agroécologie pour nous rapprocher de la nature. Il nous semblait intelligent de ne pas la détruire, car en la détruisant c’est nous-mêmes que nous détruisons.

    Aujourd’hui de nombreux agriculteurs se sentent prisonniers du système (dettes, subventions, PAC, etc.). Comment en sortir ?

    C’est l’une des grandes problématiques actuelles : le système laisse croire qu’il est puissant, alors qu’il est extrêmement fragile en raison de ses ressources limitées. Une reconversion profonde est donc nécessaire ; la première étape est de se dire que ce n’est pas par le toujours plus que l’on peut s’en sortir, on doit réajuster les choses en fonction de notre existence.

    Ce n’est pas théorique, c’est exactement ce que nous avons appliqué nous-mêmes avec ma famille. Au début des années 1960, lorsque nous nous sommes installés en Ardèche, on nous disait que jamais on ne vivrait de cette activité, que jamais on n’arriverait à survivre dans un lieu aussi improductif, plein de cailloux, même le Crédit agricole n’a pas voulu nous prêter de l’argent. Nous n’étions pas dans les critères de l’agriculture du moment, celle avec des hectares et des gros tracteurs, dans laquelle les agriculteurs se sont fait piéger. Nous n’avons pas cédé à tous ces chants des sirènes. Nous, nous avons fait le choix de la modération, par la simplicité, en limitant les dépendances, car le système prédateur actuel nous invite à être dépendant. Aujourd’hui encore nous sommes en mesure de donner des réponses, mais incompatibles avec le schéma de l’agriculture chimique. C’est pourquoi j’ai encouragé et participé à la création de diverses structures qui soutiennent l’agroécologie [1]

    Les Amanins, centre agroécologique. ©Patrick Lazic

    Depuis plus d’un an, le mouvement des Gilets jaunes porte quant à lui une autre forme de contestation, plus sociale. Qu’en pensez-vous ?

    Je pense qu’il est légitime qu’il proteste contre l’injustice structurelle dans laquelle ils travaillent, donnent leur énergie et leur vie – car c’est un investissement énorme – alors qu’ils ne tirent pas de cela les avantages suffisants pour avoir ne serait-ce qu’une vie équilibrée et satisfaisante.

    Les inégalités sociales sont de types structurelles et se sont appuyées sur l’aliénation humaine. Beaucoup de personnes ont été sacrifiées pour mettre en place l’industrialisation, condamnant les gens à faire le même geste tous les jours en travaillant à la chaine, dans les usines et dans les mines par exemple. Le problème est que la planète entière est désormais gérée par un système qui a donné le pouvoir à la finance, toujours avide de richesses au détriment de la vie et de l’écologie.

    Qu’est-ce qui pourrait faire changer les choses ?

    La vertu immense qui pourrait changer le monde, c’est l’amour. L’amour de l’arbre, du coucher de soleil, du ciel, de la mer, de la terre, de l’autre… Cette énergie peut éveiller en nous cette sensation que nous appartenons à une réalité intelligente que nous aimons. Une écologie qui respecte la vie. Tout.

    Propos recueillis par Sabah Rahmani

     

    Pour aller plus loin [1]

    • L’association Terre et humanisme, l’agroécologie se cultive.

    • Le fonds de dotation Pierre Rabhi

    Les Amanins, centre agroécologique


    A lire aussi 

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