Pierre Rabhi : « L’humanisme devrait remplacer l’humanitaire »

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    À l’occasion de la journée internationale de la solidarité humaine, l’agriculteur-philosophe Pierre Rabhi offre une vision sur une solidarité nouvelle, élargie à toute forme de vie.

    La solidarité est une valeur sur laquelle on revient beaucoup à l’occasion des fêtes de fin d’année. Qu’évoque-t-elle pour vous ?

    Pour moi, la solidarité signifie être relié afin de constituer ensemble une seule énergie bienveillante pour être au service de l’autre. On agit dans la réciprocité, car dans la solidarité l’égoïsme n’est pas possible : on est chacun pour tous et tous pour nous.

    Elle peut prendre la forme d’une aide matérielle mais aussi non matérielle comme l’attention à l’autre, la considération, l’écoute, le tout dans une attitude positive de don et de générosité, même sous forme d’un simple sourire qui donne du baume au cœur.

    En aidant on ne peut que générer bien-être et bonheur chez l’autre et nous-mêmes. À condition qu’il n’y ait pas de condescendance bien sûr. La solidarité sensible et profonde sous entend en réalité amour, car elle est liée à la compassion.

    Selon vous, où s’exprime-t-elle en priorité ?

    Elle s’exprimer d’abord avec les proches. Avant de la proclamer dans les grandes théories, je crois que l’on est tous attendus là où nous pouvons exercer notre plein pouvoir. Car on peut tout à fait aller manifester contre ceci ou cela, rentrer chez soi et rendre la vie impossible à ceux qui nous entourent. Et pourtant c’est ce premier cercle-là où on l’on peut agir.

    Pensez-vous que l’on peut aussi être solidaires de la nature, des êtres vivants, des animaux et des plantes ?

    Oui et je le suis ouvertement ! Et si je voulais donner une configuration à ce que j’entends par humanisme par exemple, ce serait obligatoirement l’humain relié à l’humain et à la nature, à toutes les créatures de cette planète.

    J’ai accroché sur mon mur le discours du chef indien Seattle à qui des Américains voulaient acheter les territoires [1854]. Qu’a-t-il répondu ? « La terre n’appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la terre. » Il avait une posture très noble. Ce discours était plein de spiritualité, d’une intelligence omniprésente, avec un sens du sacré poussé très loin. Or il y a un contraste énorme entre nos populations et ces autochtones qui ne sacrifiaient les animaux que parce qu’il y avait une nécessité de survie. On ne tue pas pour rien, on tue, on préserve et on prend soin.

    Le surplus de nos sociétés se fait-il au détriment de la solidarité ?

    Nous devrions être capables de redistribuer nos surplus à condition que l’on soit mesuré. Il est très clair que la faim dans le monde ne devrait pas exister. Il y a toutes les ressources qu’il faut pour que personne ne meurt de rien, mais les pays prospères consomment trop les ressources de la planète, au détriment des autres.

    Or on sait que ce n’est pas l’abondance qui rend les gens heureux. On parle souvent de loi de la jungle, mais la loi de la jungle ce n’est pas la nature, c’est ce que pratique les humains. Car lorsqu’un lion mange une antilope, c’est pour vivre, pas pour créer une banque ou un troupeau d’antilopes.

    Que pensez-vous des associations humanitaires ?

    Aujourd’hui on ne peut qu’être reconnaissants aux structures comme Emmaüs et à toutes les organisations de secourisme social, mais elles sont là pour palier aux défaillances de tout un système qui ne devrait pas produire de misère. C’est pour cela que j’insiste sur l’humanisme qui devrait remplacer l’humanitaire.

    Avec notre système on pille et on spolie les peuples de leurs ressources via leurs chefs d’État souvent corrompus, ensuite on vient avec des sacs de riz pour leur dire : « Regardez combien on est généreux. » L’humanitaire corrige ici une anomalie qui consiste à ne pas agir pour qu’il y ait équité. C’est pourquoi on ne doit pas prélever au delà de ce qui est nécessaire, sinon c’est au détriment de quelqu’un d’autre.

    Dans les projets que vous avez inspirés (Le mouvement Colibris, Terre et Humanisme…), quelle est la place de la solidarité ?

    Elle est fondamentale ! C’est comme si on embarquait tous dans le même bateau : on a intérêt à ce qu’il ne coule pas. C’est pourquoi il est nécessaire d’être dans une posture d’altruisme, de dévouement les uns aux autres, hors de tout égoïsme, pour l’intérêt de tous et si possible dans la joie.

    Propos recueillis par Sabah Rahmani


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