Pierre Rabhi : « L’enfant a cette faculté de rester aligné à l’essentiel»

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    À l’occasion de la sortie de ses deux derniers livres dédiés aux enfants, Pierre Rabhi L’enfant du désert et Demain entre tes mains, l’agriculteur philosophe nous livre sa vision de l’enfance. En conteur poétique, il invite aussi les adultes à renouer avec leur part d’innocence et de créativité, pour impulser leurs actions.

     

    Qu’est-ce que l’enfance vous évoque ?

    Nous passons tous par cette étape de la vie, où nous sortons du ventre de nos mères pour entrer petit à petit dans une forme d’initiation au monde, qui passe par des phases d’innocence. Notre regard est alors pur de tout préjugé. L’enfance est très marquée par le sensoriel et le ressenti. C’est un temps extraordinaire et il est dommage que cela ne dure pas toute la vie !

    L’enfant a une forme d’innocence qui se réfère à un champ de connaissance encore limité, puisqu’il est en évolution de ses connaissances. C’est pourquoi, il regarde les choses de façon beaucoup plus objective et directe que l’adulte, dont le regard est souvent brouillé par le mental et la mémoire. C’est un regard très réaliste.

    Qu’est-ce qui vous surprend le plus chez l’enfant ?

    Dernièrement j’ai vu un reportage sur les bombardements en Syrie, où l’on voyait une ville démolie… et malgré tout, dans une rue, il y avait un petit groupe d’enfants qui jouait au milieu de ces ruines. Cette faculté de rester aligné à l’essentiel en plein milieu de la tragédie m’a parue vraiment significative de ce que l’enfance peut générer, l’image qu’elle peut donner presque dans la relativisation du drame…

    Le jeu serait-il un moyen privilégié de vivre l’instant présent ?

    Je pense que le jeu est l’imaginaire qui rend totalement libre. Quand j’étais enfant par exemple, mon vélo c’était simplement un fil de fer tordu et un guidon. Avec d’autres enfants, on courrait en se représentant notre vélo. Cela nous amenait presque à ressentir les choses de façon directe et innocente. On avait cette capacité à imaginer et à finalement ne pas être prisonnier de la réalité concrète. Une certaine réalité dans laquelle on rentrera plus tard, parce que la raison et l’intellect se mettent en route avec parfois une objectivité tellement rigoureuse, qu’elle en évacue le rêve…

    Comment renouer avec cette part d’enfant en nous ?

    Peut-être en retrouvant justement cette simplicité, cette innocence qui fait que nous sommes dans cette pureté qui nous offre ce sentiment de légèreté et de réalité. Tout en étant aussi conscient des drames comme la pollution, les guerres, etc., on peut s’interroger : est-ce que je dois m’apitoyer sur tous les désastres sur terre, ou bien est-ce que je peux faire quelque chose qui puisse me permettre d’essayer de servir, plutôt l’innocence et ce qui est positif, et renoncer ainsi à ce qui est négatif ? C’est un peu ce que m’avait inspiré la légende du colibris. On fait sa part, même si elle est petite. De tout façon on n’a pas beaucoup le choix. Avec cette petite part, j’essaie, avec toute la modestie que cela exige, d’être quand même vivant ! Sinon je me sens victime et impuissant…

    Vous avez grandi dans une oasis en Algérie. Quel est votre meilleur souvenir ?

    C’est celui du silence. Quand il y avait des vents de sable persistants, qui duraient des jours et des jours, ma grande jubilation était de mettre ma djellaba avec son capuchon, et me mettre au pied d’un palmier afin d’écouter le vent chanter dans les palmiers. Je pouvais passer des heures comme cela, dans une légèreté où le temps était modifié. Ce n’était plus le temps balisé, mais j’avais finalement une sensation d’éternité dans ce vent qui chante, dans ces palmiers qui dansent et qui chuintent. C’est vraiment mon meilleur souvenir… Cela me procurait une joie atemporelle, complètement apaisée et j’aurai bien vécu toute ma vie comme cela !

    Avez-vous retrouvé ces sensations plus tard ?

    Elles sont inscrites quelque part en moi. Encore à l’heure actuelle, j’aime le vent : j’aime le vent parce que ça bouge, parce que ça chante, que ça ébouriffe les plantes et les arbres, c’est comme une espèce de petite colère légère, un élément qui bouge et qui en même temps donne une sensation d’atemporalité. Cela m’a beaucoup inspiré dans l’écriture, m’a souvent accompagné et encore aujourd’hui.

     

    Entretien réalisé par Sabah Rahmani

     

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