Pierre Rabhi « Le féminin est au cœur du changement »

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    En 2002 Pierre Rabhi fait campagne pour la présidentielle avec ce slogan « Le féminin au cœur du changement » Quelques années plus tard et avec la libération de la parole féminine, Pierre Rabhi nous rappelle l’importance de redonner une juste place au féminin dans nos sociétés

     

    Un de vos leitmotiv est « le féminin est au cœur du changement » , pouvez-vous nous expliquer  ? Comment définiriez-vous ce féminin ?

     D’abord, il faut reconnaître que si chacun de nous existe, c’est bien parce qu’il y a du féminin associé au masculin. Je ne vois pas pourquoi le féminin est subordonné au masculin, alors que c’est en fait l’équilibre des deux qui régit tout. Presque toutes les espèces sont issues de la dynamique des deux et non pas d’un seul.Je pense que le féminin est une des composantes de l’humanité. L’humanité est féminin et masculin, sinon tout s’arrêterait. Aujourd’hui, on peut dire que l’histoire est surtout déterminée par un masculin violent, va-t-en-guerre, destructeur. On n’a jamais vu dans l’histoire des croisades de femmes à Jérusalem, des femmes déclarer la guerre, ou rarement, sauf si elles sont dénaturées. La femme étant porteuse de la vie dans son propre corps, cela détermine sa posture, sa tendance à conserver la vie, plutôt qu’à la détruire.

    Cela signifie qu’il y a du féminin chez les hommes et du masculin chez les femmes ?

    Dans la mesure où on l’accepte, où on le comprend, c’est un fait, une réalité : nous sommes composés de féminin et de masculin. Pour moi, c’est une telle évidence qu’elle ne laisse aucune ambiguïté : je suis un homme donc un masculin dans sa rigueur et sa totalité, mais je ressens aussi un féminin en moi qui est intrinsèquement lié à ma nature.

    Simone de Beauvoir disait que la vision essentialiste des hommes déclare que les femmes sont ainsi (pacifistes, protectrices, etc.) parce qu’elles sont femmes, alors qu’il s’agit d’une question de culture et d’éducation.

    À partir du moment où l’on part sur une tradition qui détermine le féminin et le masculin avec une subordination du féminin, on transmet ces traditions jusqu’à nous. Dès l’ouverture de la Bible, ce qui est mis en avant est Ève qui croque la pomme et est à l’origine de tous les désastres à venir. Dès le départ, Ève étant la première fautive, cela a déterminé un mode de pensée notamment religieux qui n’est pas anodin dans la place du féminin. J’ai lu toute la Bible : le dieu est masculin ; quand on rencontre une femme dans le récit, soit elle est vertueuse, soit elle est douteuse ou fautive. Dans l’adultère, c’est plutôt la femme qui est lapidée, rarement l’homme. On amène la femme comme coupable, elle a « violé l’homme ». Un préjugé a été soigneusement entretenu, avec le dieu masculin, la femme et le féminin secondaires. Dans cette culture-là, on arrive à une société marquée par le caractère masculin ; et la femme, pour s’adapter à cette culture, est obligée quelque part de devenir masculine et de rentrer dans le jeu masculin pour pouvoir exister en tant que femme.

    Cela date d’un peu plus de deux mille ans. Comment se fait-il que les êtres humains n’aient pas réfléchi à sortir de cette vision patriarcale ?

    Les êtres humains ont-il réfléchi à quoi que ce soit ? Au xxie siècle, nous ne sommes toujours pas plus avancés, nous sommes toujours aussi stupides, à fabriquer des armes pour détruire, à détruire la vie, à dépenser des sommes folles pour exploiter le cosmos pour savoir s’il y a une planète vivante, pendant que nous détruisons la planète sur laquelle nous sommes. Nous créons des conditions invivables pour nous dans la façon dont nous gérons cette merveilleuse planète.

    Quel était donc l’intérêt d’être dans un système patriarcal ? Et comment définir ce système patriarcal ?

    Ce système repose sur la domination de l’homme plus fort, moins pris dans la procréation. Le rôle du masculin dans la procréation est extrêmement limité. C’est plutôt le féminin qui prend le relais. Comme dans un troupeau qui comporte 35 chèvres et un seul bouc : une fois que le bouc a ensemencé toutes les chèvres, on l’enlève, on n’a plus besoin de lui. Le féminin est la transmission directe et physiologique de la vie : de ce fait, le féminin est fondamental. Un seul masculin peut féconder plusieurs féminins, ce qui a abouti à cette subordination, avec un masculin qui veut dominer. Aujourd’hui, le masculin est beaucoup plus va-t-en-guerre que le féminin.

    Depuis 1968, un mouvement féministe se développe en France et dans le monde. Quel regard portez-vous sur ce mouvement ?

    Il ne faudrait pas que le mouvement féministe soit une réaction inspirée par le masculin : il faudrait qu’il soit simplement une conscience qui s’éveille à ce rôle magnifique qui est dévolu par la vie à la femme et qui est de donner la vie. Il ne faudrait pas que ce mouvement prenne comme canevas du changement ce que le masculin a établi. C’est intéressant que les femmes imaginent quelque chose d’original qui s’adapterait à la donne actuelle qui est radicalement masculine.

    Comment donner aux femmes le « pouvoir de changer les choses » ?

    Il faut qu’elles aient une place plus importante dans la décision politique, une place un peu partout dans la concertation. On voit bien que, quand il s’agit d’aller faire la guerre, il y a très peu de femmes dans l’état-major. Il y a peut-être à prendre une place, non pas dans la dualité ou dans le contraire, mais dans la réalité : le féminin est en soi un principe indispensable à la vie, comme le masculin, mais le féminin est plus impliqué dans la continuité de la vie que le masculin.

    Plus récemment, des femmes ont dénoncé le harcèlement sexuel en politique. Pensez-vous que la libération de la parole soit nécessaire ?

    Absolument. C’est quand même un délit ! Elles subissent une agression. Il n’y a aucune raison que dans ces rassemblements politiques, les hommes libèrent leurs instincts primaires au détriment des femmes et sans respect. On ne fait pas l’amour sans amour, pour assouvir simplement des instincts. L’amour sans amour, ce n’est pas faire l’amour, c’est saisir une personne pour satisfaire des instincts primaires.

    Les hommes doivent-ils travailler la part féminine qui est en eux, en même temps que les femmes doivent retrouver leur place dans la société ?

    Ce n’est pas un travail mais une acceptation profonde de l’évidence. L’homme se barricade constamment, bombe le torse et les biceps, et se maintient dans l’aspect supérieur et puissant des choses, alors qu’il ne l’est pas en réalité. J’ai travaillé dans des zones semi-arides en voie de désertification, où la vie et la mort sont proches : là, j’ai constaté que le féminin est le plus puissant. En matière de résistance face à la difficulté de vivre, au climat, au biotope, la puissance vient beaucoup plus de la femme que de l’homme. Lors de mes missions de propagation de l’agro-écologie, c’étaient les femmes qui se levaient de bonne heure, allaitaient les enfants, faisaient la cuisine, la corvée d’eau, la corvée de bois… Toute la journée, elles étaient combatives comme si elles étaient au front de la survie. L’homme avait un rôle, mais le féminin était plus puissant.

     En Occident, le féminin est synonyme de faiblesse…

    C’est stupide. Les femmes sont fortes. Le retour à la terre demande des femmes fortes pour se maintenir dans cette détermination inflexible à survivre.

    Une vraie égalité femmes-hommes pourrait changer la société ?

    Je crois qu’il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse dans cette complémentarité. La complémentarité, est un appui de l’un sur l’autre et vice-versa, non une addition. Ce rapprochement donne une dynamique collective. L’égalité est fragile car affirmée par des lois. Il est souhaitable qu’on comprenne que féminin et masculin sont les deux moyens par lesquels on peut construire un avenir viable, si le féminin accepte son masculin et le masculin accepte son féminin.

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