Patrick Scheyder : «Il faut créer des Maisons de l’écologie culturelle»

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    Ecrivain et pianiste compositeur, Patrick Scheyder tente de réconcilier l’humain et la nature à travers ses œuvres et divers spectacles. L’artiste a également lancé en 2022 le mouvement de l’Ecologie culturelle avec Nicolas Escach, géographe et directeur du Campus des Transitions, et Pierre Gilbert, prospectiviste climatique. Le but : réinscrire la lutte écologique dans le temps, dans la culture nationale, et « populariser » la défense de l’environnement.

    Quel est le lien entre l’écologie et la culture selon vous ?

    Il est important de souligner que l’écologie n’est pas tombée du ciel il y a trente ans avec le réchauffement climatique. Il s’agit d’une pensée bien antérieure. Et notamment en France où l’on a eu des personnalités emblématiques, comme George Sand, Jean-Jacques Rousseau ou Lafontaine, qui se préoccupaient déjà de la protection de la nature. Naturalisme, Amour de la nature… Cela portait divers noms mais c’était de l’écologie. C’est d’ailleurs George Sand qui a sauvé la forêt de Fontainebleau d’un abattage avec les peintres de l’Ecole de Barbizon au début du XIXe siècle. C’est grâce à leur combat, la première lutte écologique attestée en France, que cette forêt est devenue le premier espace naturel protégé au monde en 1861, c’est-à-dire onze ans avant la protection du Parc national Yellowstone aux Etats-Unis.

    De même, de nombreux philosophes français percevaient la nature positivement. Il ne faut pas oublier que la Révolution française – car on parle souvent de Révolution écologique -, a été d’une certaine manière une révolution naturaliste, puisque l’on a débaptisé tous les noms des jours d’origine catholique, pour les remplacer par des noms de céréales, ou de légumes. Le calendrier républicain a aussi débaptisé les mois. Ce n’était plus « janvier », « février », mais « Pluviôse », « Ventôse », soit des événements climatiques. On ne peut pas faire plus « écolo » que ça !

    En quoi selon vous il est important de rappeler ces « racines » culturelles aux nouvelles générations ?

    L’idée est en effet de créer du lien avec les nouvelles générations et ce passé. L’écologie a tout intérêt à s’inscrire dans une forme de continuité. C’est pour cela que je suis réservé sur le terme de « nouveau récit », de « nouveaux imaginaires ». Car le mot « nouveau », on l’adore, il y a un côté agréable – s’acheter un nouveau vêtement, une nouvelle voiture, etc. -. Mais dans la vie de tous les jours, les gens ont peur de la nouveauté ; la nouveauté c’est un risque de perte des acquis.

    Il n’y a rien de plus anxiogène que d’être orphelin de sa propre culture

    Il s’agit aussi de montrer aux jeunes qu’ils sont descendants d’une culture écologique. Ce qui leur donne une légitimité supplémentaire et répond ainsi à l’écoanxiété, Car il n’y a rien de plus anxiogène que d’être orphelin de sa propre culture.

    Vous souhaitez, via ce mouvement, « populariser » l’écologie, mais la culture n’est-elle pas associée au contraire à un entre-soi, à un certain élitisme ?

    Vous parlez ici d’une culture classique. Mais selon moi il faut entendre la culture au sens large, et ne pas la réduire seulement à l’art. La culture c’est la société dans sa globalité, ses fondements. En France, les devises « Egalité, liberté, fraternité », sont évidemment culturelles. C’est un projet de société, c’est une utopie. Et d’ailleurs Jean-Jacques Rousseau, à l’origine en partie de ces principes, était à la fois artiste, philosophe et législateur. C’est cette polyvalence qui permet de prendre un peu de hauteur et d’inspirer la société.

    Vous opposez l’écologie culturelle aux discours scientifiques et politiques, plus techniciens. En quoi cette écologie culturelle pourrait les compléter pour répondre à l’urgence climatique ?

    La science et la politique, qui sont bien-sûr indispensables, ne suffisent pas à convaincre. Le rôle de la culture a toujours été de donner un sens à ce que l’on vit. Ce que le libéralisme, et le capitalisme, ont très bien compris, puisqu’ils ont l’intelligence – et j’aimerais bien que l’écologie ait cette pertinence – de prendre en compte qu’ils s’adressent à des êtres humains, et que la psychologie entre donc en compte.

    C’est le travail de la culture de faire comprendre certaines choses par le sensible, par l’émotion, par l’intuition

    Comme nous le disent les neurosciences, 98% de nos décisions sont prises par l’inconscient. Les 10% qui sont rationnelles, c’est juste la partie émergée de l’iceberg. Donc notre part sensible et intuitive est aussi importante pour prendre une décision que de solides arguments. Il y a une crédulité de la science qui pense que véracité des faits suffit à convaincre. Ce n’est pas le cas. C’est le travail de la culture de faire comprendre certaines choses par le sensible, par l’émotion, par l’intuition, pour que tout le monde puisse s’en emparer, quelque soit son degré d’information, ou son origine sociale.

    Comme pour le libéralisme, qui est aussi bien une victoire culturelle qu’économique, l’écologie doit se servir de cette porosité de toutes les couches de la société, de l’intime, au civique, du personnel à l’universel, etc. Je vous parlais de « polyvalence » tout à l’heure. George Sand était très intéressée par exemple par les théories de l’évolution. L’artiste a même vulgarisé certaines données scientifiques dans des textes fictionnels, encouragée par le naturaliste Étienne Geoffroy Saint­-Hilaire. Cette vulgarisation par l’art et le sensible, c’est une constante. C’est juste qu’on l’a oublié.

    Comment souhaitez-vous faire vivre l’écologie culturelle au sein de la société ? Comment « populariser » l’écologie ?

    On définit l’écologie culturelle sur trois points à ce stade. C’est un mouvement avec la volonté d’inspirer la société au travers de ce récit, qui est à la fois nouveau et ancien. C’est ce que j’appelle l’écologie en trois dimensions, où le présent et le passé s’associent pour créer un futur désirable.

    Ce sont aussi des événements, avec des spectacles sur des thématiques environnementales notamment – plusieurs ont été organisés à l’Académie du Climat -, pour faire rencontrer, parler, jouer, danser tout un tas de personnes différentes. Je travaille aussi bien avec des acteurs, qu’avec des activistes tels que Camille Etienne ou Allain Bougrain Dubourg, président de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO). Le côté festif est très important pour nous, car il s’agit d’associer l’écologie au partage, et pas seulement à une prise de tête.

    Enfin c’est un enseignement, via des conférences, mais on aimerait aussi essaimer sur tout le territoire des Maisons de l’écologie culturelle. On s’est inspiré des Maisons de la Culture créées par l’écrivain André Malraux dans l’après-guerre, qui avaient pour de but de donner à chacun et chacune, quelque soit ses origines sociales, un accès à la culture. Donc on pense que le stade d’après ce serait que tout le monde puisse avoir accès aux outils pour appréhender l’écologie. Là encore ce n’est pas seulement de la culture artistique, c’est la culture du vivant. On a en ouvert une pour l’instant au Campus des Transitions, antenne de Sciences Po Rennes située à Caen dirigée par Nicolas Escach. Mais ça va déjà été très vite depuis les débuts du mouvement. Suite à notre dernière tribune du 7 février, sept personnes nous ont contactés pour créer des Maisons de l’écologie culturelle.


    Pour aller plus loin

    Manifeste pour une Écologie culturelle
    , Patrick SCHEYDER, Pierre GILBERT, Nicolas ESCACH, L’ADN, 2022

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