Nomades numériques : le monde est leur bureau

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    Ils travaillent sur leur ordinateur connecté à Internet tout en voyageant à travers le monde. Plus qu’un simple travail à distance, c’est un véritable mode de vie que choisissent les nomades numériques. Autonome, minimaliste et tourné vers l’avenir.

     

    Kalagan souffre de « routinophobie » : « Je fuis le mode de vie sédentaire du salariat, de la propriété et de la consommation de masse. » C’est depuis le Mexique que ce Français de 35 ans, webmaster de profession, répond à nos questions : « Je séjourne dans ce pays six mois de l’année. Le reste du temps, je voyage : en Europe, en Amérique du Sud et en Afrique. Cela fait onze ans que je suis digital nomad. » Quèsaco ?

    Travaillant à distance – et majoritairement à son compte – le digital nomad, ou nomade numérique, en profite pour voyager, contrairement à un expatrié qui, lui, est sédentaire. Il vit au moins six mois de l’année à l’étranger et séjourne dans le pays de son choix pendant quelques jours, semaines ou mois. « Le monde est mon bureau » : telle pourrait être sa devise ! Un ordinateur et une connexion Internet pour se relier au reste de la planète, voilà les deux outils indispensables au nomade numérique. Rédacteur web, assistant virtuel, blogueur, animateur de communautés en ligne, créateur d’applications mobiles, monteur vidéo, développeur web, traducteur, graphiste, coach, formateur en ligne, e-commerçant, musicien, photographe, etc. La liste des professions exercées par le nomade numérique est longue comme un code informatique. Sans oublier les métiers qui restent à inventer. En effet, selon le think tank californien Institute for the Future (Institut pour le futur), 85 % des emplois de 2030 n’existent pas encore aujourd’hui. Comme nous y invite le pédagogue britannique, fondateur du Schumacher College, Satish Kumar : Après l’université, créez votre propre emploi et votre mode de vie. »

     

    Rédacteur web, assistant virtuel, blogueur, animateur de communautés en ligne, créateur d’applications mobiles, monteur vidéo, développeur web, traducteur, graphiste, coach, formateur en ligne, e-commerçant, musicien, photographe, etc. La liste des professions exercées par le nomade numérique est longue comme un code informatique. ©Pixabay

     

    Le futur du travail ?

    Serons-nous alors, comme Kalagan, « tous digital nomads en 2030 ? » C’est la question posée par Jean- Charles Varlet dans sa chronique sur le futur du travail. CEO de Crème de la Crème, qui met en relation des entreprises et des free-lances experts en technologie numérique, il écrit : « Le travail n’a pas lieu là où se trouve notre bureau. Désormais le travail a lieu là où se trouve notre ordinateur. […] Le phénomène des digital nomads et du travail à distance a fait son apparition dans les années 1990, mais est devenu vraiment populaire depuis les années 2010, grâce à la prolifération des différents outils cloud, […] à l’amélioration de la connectivité à Internet partout dans le monde, l’amélioration des technologies mobiles, la facilité à louer un logement […] ou à se déplacer […], la facilité à se former sur Internet, et bien sûr l’augmentation du nombre de jobs disponibles en free-lance [1]. »

    Les deux principaux lieux de rassemblement des nomades numériques sont l’île de Bali, en Indonésie, et la ville de Chiang Mai, en Thaïlande. Ces noms de carte postale font rêver, mais n’imaginez pas le digital nomad en train de travailler sur une plage ensoleillée tout en sirotant un cocktail ! Loin de l’image d’Épinal, il choisit majoritairement des zones urbaines pour bénéficier d’une connexion Internet de qualité. Ce peut-être à l’hôtel, dans une location meublée ou un espace de coworking.

     

    Quelques conseils avant de larguer les amarres

    Si vous avez des fourmis dans les jambes à lire cet article, avant de franchir le cap, suivez les conseils de Kalagan. Avec l’expérience qu’il a accumulée, il est devenu l’un des représentants de la communauté des digital nomads [lire encadré page 98]. « Les entrepreneurs doivent avoir un projet viable et générer un chiffre d’affaires suffisant, soit environ 1 000 euros nets mensuels, au minimum. En conséquence, ils choisiront de voyager dans des pays où le coût de la vie est relativement peu élevé, tels le Cambodge, la Thaïlande ou le Costa Rica. L’idéal, pour rester serein, est d’avoir quelques économies en cas de coup dur, au moins pour pouvoir se payer le billet de retour en France. » Deuxième recommandation de ce spécialiste : « Pour ne pas souffrir de solitude si l’on débarque seul dans un nouveau pays, la solution est d’opter pour la colocation. L’hôtel, c’est trop impersonnel, et impossible de travailler dans une auberge de jeunesse où règne souvent un esprit festif. Ceux qui préfèrent vivre seuls pourront louer un meublé et travailler dans un espace de coworking. De plus, l’intégration se faisant par le langage, l’idéal est de parler la langue du pays d’accueil. Bon, comme ce n’est pas évident de maîtriser le vietnamien, au moins, il faut être à l’aise en anglais quand on voyage en Asie. » Dernier conseil : « Il faut s’imposer un cadre de travail rigoureux et s’y tenir, car il peut être difficile de rester motivé quand on se retrouve dans des lieux paradisiaques. Inversement, on va ressentir de la frustration à ne pas en profiter. Tout est question d’équilibre. Par exemple, on peut bosser de 8 heures à 12 heures, filer à la plage, puis se remettre devant l’ordinateur de 14 heures à 17 heures, avant d’aller visiter un site remarquable. Ou alors travailler pendant une période à fond, 12 heures par jour, dans un environnement professionnellement stimulant, puis consacrer une autre période à la découverte du pays et de ses habitants. L’idée n’est pas de rester enfermé entre quatre murs devant son ordinateur, même si c’est au bout de la planète. »

     

    « Le travail n’a pas lieu là où se trouve notre bureau. Désormais le travail a lieu là où se trouve notre ordinateur. […] Le phénomène des digital nomads et du travail à distance a fait son apparition dans les années 1990, mais est devenu vraiment populaire depuis les années 2010, grâce à la prolifération des différents outils cloud, […] à l’amélioration de la connectivité à Internet partout dans le monde, l’amélioration des technologies mobiles, la facilité à louer un logement […] ou à se déplacer […], la facilité à se former sur Internet, et bien sûr l’augmentation du nombre de jobs disponibles en free-lance. » ©Pixabay

    Du nomadisme au minimalisme

    Selon Kalagan, nombreux sont les atouts de la vie de digital nomad : « Le fait d’être toujours sur la route et de découvrir différents endroits du monde te nourrit personnellement et professionnellement. Cela démultiplie ta créativité, ta capacité à être davantage débrouillard et autonome. Grâce à cette liberté géographique, j’ai l’impression de vivre une sorte de voyage lent, mais perpétuel. » Au-delà de cette liberté, et même s’il gagne très bien sa vie (son salaire s’élève à 5 000 euros nets mensuels), Kalagan met en avant la simplicité qu’implique le mode de vie des nomades numériques : « Je n’ai qu’un sac à dos qui s’est allégé au fil des années. Aujourd’hui, il pèse 14 kilogrammes. Puisque je suis dans ce voyage perpétuel, je ne possède ni maison, ni meubles, ni voiture. » Une sobriété matérielle qui compense les émissions de gaz à effet de serre liées aux voyages en avion, ou aux besoins informatiques (cloud, etc.) ? Vaste question ! [lire Kaizen 45, juillet août 2019] La majorité des digital nomads semblent en décalage horaire sur ce sujet.

    Que ceux qui ont une vie de famille se rassurent : ce modèle n’est pas réservé aux jeunes célibataires. En témoignent Christine, Patrice et leur fils, Logan. Dirigeant une entreprise de création graphique, le couple avait aménagé un bureau au rez-de-chaussée de sa maison. « Nous ne faisions que travailler, se souvient Patrice. Nous vivions en vase clos, passant d’un étage à l’autre. Pour justifier, à nos propres yeux, le fait de travailler autant, nous consommions. J’avais, notamment, aménagé une salle consacrée aux jeux vidéo. À l’âge de 44 ans, il y a cinq ans, nous avons décidé de changer de vie pour être davantage dans l’être, plutôt que l’avoir. » À l’instar de la majorité des digital nomads, la famille est devenue minimaliste : leurs biens matériels se résument à deux valises, un sac à dos et un carton d’affaires auxquelles ils sont attachés sentimentalement, resté dans le sud de la France. Et comme les nomades numériques, la famille « suit le soleil » ! Ils restent en moyenne un mois à chaque endroit, en Europe et en Asie, où ils louent un appartement via des plateformes de location entre particuliers, ce qui favorise le contact avec les habitants. Le jour où nous leur téléphonons, ils sont en Espagne. À présent rédacteur web, Patrice confie : « Sans tomber dans la caricature du “hippie digital”, grâce à ce mode de vie, j’ai gagné en sérénité, en énergie, en qualité de vie et en ouverture d’esprit ! J’ai appris à relativiser et à positiver. »

    Selon une étude du Boston Consulting Group, cabinet américain de conseil en stratégie, 79 % des Français de 21 à 30 ans souhaitent travailler à l’étranger ©Pixabay

    Christine, elle, s’occupe du site Internet www.famille-nomade-digitale.com, dédié à leur aventure familiale, et de la logistique : transports, visas, location des appartements, etc. À eux deux, ils gagnent 3 600 euros nets par mois. Quant à Logan, 18 ans, il a arrêté ses études, qu’il suivait via le CNED, en classe de terminale. « Ce n’est pas parce que j’aurai mon bac que je trouverai un emploi plus facilement », a-t-il déclaré à ses parents. La preuve : Logan a commercialisé un jeu vidéo et une application pour téléphone mobile destinée aux personnes malvoyantes qu’il a lui-même créés. Et le jeune homme a été contacté par Apple pour présenter son projet au directeur de la société. L’exemple inspirant de Logan montre que ce mode de vie est porteur d’avenir. En particulier face à l’autonomisation des professions que permet le développement du numérique. Comme le conclut Patrice, avec espoir : « Le temps de la société qui nous prenait en main, de la crèche à la retraite, est désormais révolu. La jeune génération doit apprendre à ne rien tenir pour acquis et à s’adapter. Voyons le côté positif : c’est une libération de l’esprit. La vie n’est pas toute tracée d’avance. On a la liberté de choisir. D’ailleurs 79 % des Français de 21 à 30 ans souhaitent travailler à l’étranger [2]. » À l’écouter, le mode de vie digital nomad a de beaux jours devant lui.

     

    Par Aude Raux


     

    [1] Jean-Charles Varlet, « Tous digital nomads en 2030 ? », octobre 2018. Disponible sur www.forbes.fr.

    [2] Selon une étude du Boston Consulting Group, cabinet américain de conseil en stratégie.

     


    Pour aller plus loin

    www.kalagan.fr

    www.cremedelacreme.io

    www.famille-nomade-digitale.com

    2 Commentaires

    1. Le voyage, la nature, les beau paysages, le « minimalisme  » sont des beau concept , mais lorsque l’on s’offre ce mode de vie, le financer avec un métier polluant est quelques peu hypocrite. La pollution qu’engendre les métier du web est complètement décentralisé, invisible pour la personne active. Un e-commercant éthique existe-t-il ? Cet article dit tout simplement qu’avoir une maison est moins polluant que prendre l’avion tous les mois … étrange rapport … Peut être ont ils décidé de vivre une vie sobre et moins stressante, ce qui est tout à leur honneur, mais dire que ces gens là ont un quelconque esprit écologique, et que les métier du web sont l’avenir de l’humanité, c’est sans compter sur la crise énergétique et climatique qui vient. L’utilisation d’internet accélérant le commerce et la consommation, on peut dire cette activité fait bien partie du problème …

    2. Flexibilité, ubiquité, auto-entreprenariat, hyper individualisme (et grande consommation de kérosène pour booster la croissance.)
      Le rêve utlra-libéral, quoi…

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