Ne nous trompons pas de combat !

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    Puisqu’il est convenu de caractériser l’assassinat contre Charlie hebdo comme un « 11 septembre français », il n’est pas trop tôt pour nous interroger sur les suites de ce 11 septembre aux États-Unis afin de ne pas commettre les mêmes erreurs. L’extension du terrorisme alimenté par le fanatisme qu’exprime aujourd’hui Daesh est en effet une conséquence directe de la politique conduite par l’administration Bush en réponse aux attentats du 11 septembre. Le désastre de cette politique est patent, tant à l’extérieur des États-Unis qu’à l’intérieur.

    D’un côté, c’est le double échec de l’intervention militaire en Afghanistan qui conduit aujourd’hui au retour en force des talibans, et, plus encore, en Irak dont la désagrégation a permis la création d’un État terroriste qui instrumentalise l’islam pour habiller ses crimes d’une justification prétendument religieuse.

    De l’autre, à l’intérieur, ce sont les atteintes majeures aux libertés organisées par le Patriot act, les crimes contre l’humanité commis dans les camps de torture organisés par la CIA, les logiques de peur et de repli identitaires qui conduisent aux régressions racistes malgré la présence historique d’un président noir à la maison blanche. Autant dire que ce sont les valeurs fondamentales de l’Amérique qui sont aujourd’hui menacées beaucoup plus efficacement par les conséquences de la politique de Bush que par l’attentat organisé par Ben Laden. Il en serait de même si, par malheur, une France saisie par ce que Wilhelm Reich nommait « la peste émotionnelle », se laissait embarquer dans une double logique de guerre extérieure et intérieure, la première alimentant d’autant plus la seconde.

    N’oublions pas non plus, comme notre ami Bernard Marris nous le rappelait souvent, qu’il y a un lien étroit entre ce que Joseph Stiglitz et Michel Aglietta nomment le « fondamentalisme de marché », et le fondamentalisme identitaire, dont la forme religieuse n’est que l’une des faces. Le Front National en France en exprime par exemple une version chauvine et xénophobe tout aussi dangereuse mais nourrie du même échec de politiques économiques destructrices de liens sociaux et culturels fondamentaux.

    Ainsi la seule réponse possible est celle du Premier ministre norvégien après l’attentat meurtrier d’un fanatique d’extrême droite dans l’île d’Utoya, en juillet 2011 : « J’ai un message pour celui qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça : vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur … Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, d’ouverture et de tolérance. »

    Le caractère psychologiquement identique du comportement des meurtriers dans les deux cas, hier en Norvège, aujourd’hui en France, alors qu’ils sont idéologiquement opposés (l’islamophobie dans un cas, l’islamisme radical dans l’autre) montre bien qu’une logique de peur et de repli identitaire faciliterait encore davantage la lepénisation des esprits. Ce serait, pour nos amis de Charlie, une seconde mort. Nous nous devons, à leur mémoire, de garder vivantes les valeurs de liberté, de tolérance et de solidarité. S’il est, comme ils l’ont montré tragiquement, des raisons de vivre qui peuvent devenir des raisons de mourir, il nous faut préserver leur victoire au-delà de la mort : un mouvement civique mondial est né à cette occasion, dont témoignent les rassemblements pacifiques sur toute la planète et la mobilisation inédite pour la liberté de la presse, un mouvement qui entend faire vivre pleinement le combat pour la liberté, la fraternité et la tolérance. C’est à ce mouvement mondial que la France doit contribuer.

     

    Par Patrick Viveret

    Philosophe, cofondateur du mouvement international des « Dialogues en Humanité »

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