Monnaies locales ET Complémentaires

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    Depuis la crise de 2008, l’engouement pour les monnaies locales n’a jamais été aussi fort. Pour cause : leur capacité à remettre le système financier au service de l’économie. Alors que 97% des transactions monétaires se font aujourd’hui sur les marchés financiers, les monnaies complémentaires relocalisent les transactions monétaires et l’épargne. Une solution en accord avec les valeurs citoyennes.

    Tous l’expriment avec le même enthousiasme : utiliser une monnaie locale donne la sensation de se réapproprier les richesses. « Quand je paye en « abeilles », je sais où je vais, je reste dans un réseau de prestataires qui ont beaucoup d’éthique » confie Françoise Lenoble, à Villeneuve sur Lot. Aussi la co-présidente d’Agir pour le Vivant, l’association à l’origine de la monnaie locale complémentaire du Villeneuvois, admet dépenser plusieurs centaines d’abeilles par mois : pour son alimentation, mais aussi l’habillement, le restaurant…

     Le Lot et Garonne pollenisé par l’abeille

    Alors que cette monnaie d’un nouveau genre a fêté son deuxième anniversaire en janvier 2012 et compte plus de 10 000 abeilles en circulation – l’équivalent de 10 000 euros – pas moins de soixante professionnels de secteurs très variés ont intégré le réseau. Pour en arriver là, Agir pour le vivant a débuté sa réflexion courant 2008 en compagnie de Philippe Derudder et de son Guide de mise en place d’une monnaie locale complémentaire. La monnaie a été expérimentée dès l’été 2009 sur le marché bio de Villeneuve : alors émise sur des petits cartons grands comme un ticket de bus sur lesquels était représentée schématiquement une abeille, la monnaie intrigue déjà les curieux. « Payer ses fruits et légumes avec des bouts de papier, ce n’est pas commun » reconnaît Philippe Derudder « mais là commence le travail de sensibilisation de la monnaie complémentaire ».

    Les premiers billets ont été émis en janvier 2010, lançant ainsi officiellement l’abeille, qui compte aujourd’hui une centaine d’utilisateurs. Si la période de lancement fut relativement facile et rapide, Françoise Lenoble reconnaît que les membres de l’association ont été « audacieux, inconscients, irresponsables » et se sont enrichis de cette expérience pour adapter le projet au fur et à mesure : « le plus dur n’est pas de trouver des consommateurs qui ont envie de changer le monde, mais de les convaincre de passer à l’acte » explique-t-elle. Le changement prend du temps et les adeptes de l’abeille ont conscience d’essaimer lentement, mais sûrement.

    Pour cela, l’association organise des projections de films, des conférences-débats, des rencontres : « il y a des bénéfices à la crise », explique Philippe Derudder, « certains s’interrogent, sont ébranlés et posent alors des questions différentes. » Là est tout l’intérêt des monnaies locales et complémentaires : même s’il ne faut pas les considérer comme une bouée de sauvetage, elles permettent d’accélérer les prises de conscience. Il s’agit de « redonner du sens à nos échanges et inciter les citoyens à ne pas acheter n’importe quoi, fabriqué n’importe où et par n’importe qui » souligne Frédéric Bosqué, à l’origine du SOL Violette à Toulouse.

    Un bel exemple de co-construction

    Dans la ville rose, la mise en place de la monnaie locale a bénéficié du soutien des élus de la majorité municipale dans le cadre d’un processus de co-construction avec les différents acteurs locaux. Les collèges mis en place pour assurer le lancement du SOL Violette se sont réunis tous les mois pendant un an afin de définir règles de fonctionnement, gouvernance, périmètre, etc. La mairie a accepté de financer l’expérimentation en 2010, et l’association Folies (qui porte le projet) s’était donné pour objectif d’atteindre 150 solistes (utilisateurs de la monnaie) et une trentaine d’Acteurs SOL (prestataires acceptant la monnaie) à la fin 2011. Objectif largement dépassé : quelques semaines après son lancement en mai 2011, le SOL Violette comptait plus de 400 utilisateurs et plus de 60 prestataires !

    En 8 mois, le réseau s’est agrandi de 5 % et l’équivalent de 40 000 euros de marchandises ont été échangés dans le réseau. En avril 2012, l’association ne compte pas moins de 700 solistes et 80 prestataires.

    Comment expliquer un tel succès ? Avant tout par la démarche participative, et par la réflexion générée autour du projet : « les gens comprennent mieux les mécanismes financiers au quotidien, cela leur donne l’impression de pouvoir aller dans une autre direction » analyse Frédéric Bosqué. C’est moins la monnaie que le réseau humain qui est important : la monnaie doit grandir dans un réseau de gens qui se reconnaissent.

    Aujourd’hui, il n’y a pas de profil type des solistes : « cela va des bobos aux citadins et aux ruraux… Le soliste est quelqu’un qui veut faire de sa monnaie un bulletin de vote ! », poursuit le fondateur du SOL Violette. Ça tombe bien : à Toulouse, cette monnaie est utilisée par plusieurs élus et le projet dépasse les clivages politiques. Autant dire que le retour sur investissement est déjà rentable !

    Pourquoi cela fait sens aujourd’hui ?

    Les monnaies complémentaires ne sont pas anecdotiques : « Après la crise financière, on a géré l’urgent mais pas l’important » expliquent les membres des Valeureux, collectif de réflexion sur les richesses.

    Une monnaie locale permet de relocaliser les transactions financières, de créer plus de richesses en garantissant la qualité et l’origine des produits vendus dans le réseau. La gouvernance de la monnaie se rapproche des citoyens qui trouvent là des réponses à la crise de défiance. « Le monde est malade de sa monnaie », plaide Philippe Derudder pour qui « nous devons lui redonner sa place d’outil neutre ».

    Fiche pratique

    Pourquoi créer une monnaie locale ?

    Face à la désertification des petits commerces, à la délocalisation, au chômage ou à la perte de liens sociaux, la monnaie peut être un moyen de se réapproprier l’économie et de la rendre plus humaine. Une monnaie complémentaire locale permet de construire et de préserver l’intégrité d’un territoire et de s’ouvrir aux autres en échangeant ses richesses dans une zone restreinte sans se mettre en danger. Le but est de palier les déficiences du système monétaire actuel en créant un échange complémentaire aux transactions en euros.

    Cette monnaie n’étant pas soutenue par un gouvernement national, elle doit être gérée par une structure qui respecte les réglementations monétaires de la Banque de France et de la Banque Centrale Européenne. Cela permet de faire circuler légalement un moyen de paiement autre que l’euro, et adossé à l’euro.

    Pour acheter des bons d’achat en monnaie locale (1€ = 1 unité de monnaie locale), les particuliers doivent adhérer à l’association garante de la monnaie ainsi crée. Les entreprises qui vendent leurs produits dans le réseau sont signataires d’une charte qui les engage à une activité respectueuse des humains et de la nature (promotion d’une alimentation saine, services de proximité, encouragement de l’usage de transports doux…). Ainsi, la monnaie compte ce qui a vraiment de la valeur, l’économie locale est dynamisée, les liens sociaux retissés et l’évolution des consciences favorisée.

    Les euros convertis en monnaie locale constituent un fonds de garantie généralement placé à la NEF (Société coopérative de finances solidaire) pour soutenir des projets s’inscrivant dans l’esprit de la charte (microcrédit ou économie sociale et solidaire). Cela permet de relocaliser l’épargne hors d’un système de banque commercial classique.

    Comment créer une monnaie locale ?

    1. Constituer le noyau des fondateurs, en veillant à avoir dans le groupe au moins un professionnel dans un secteur d’activité répondant à des besoins courants, afin de pouvoir offrir dès le départ un lieu où le paiement en monnaie locale est accepté (une coop bio, une Amap, par exemple). Le groupe doit être prêt à s’engager dans le temps, pendant 2 ou 3 ans.

    2. Rédiger la charte : elle précise le but et l’esprit du réseau. Elle doit être simple et courte pour être facilement mémorisée.

    3. Définir le cadre légal : la monnaie doit circuler entre acteurs prêts à incarner les valeurs de la charte en adhérant à un groupe identifiable. L’association ou la coopérative sont à priori les cadres les mieux adaptés.

    Un comité local d’agrément citoyen doit veiller sur l’émission de la monnaie, sur sa circulation et l’agrément de ses partenaires économiques. Comme on y décide le bien commun, les décisions se prennent au consensus, au consentement ou aux 2/3 des voix.

    4. Définir le fonctionnement de la monnaie :

    • Conditions d’achat, de reconversion en monnaie nationale pour les professionnels.
    • Désignation / création de l’organe d’émission et gestion de la monnaie locale.
    • Choix du nom de la monnaie.
    • Définition des coupures et de leur illustration.
    • Fabrication et prévention contre la fraude (en certifiant les billets par un scellé à bulle par exemple, pour éviter la circulation de faux billets).
    • Mise en perspective d’évolution sur la durée.
    • Modalités du placement du fonds de garantie.
    • Une monnaie locale n’étant pas faite pour être thésaurisée, il est possible d’adopter un principe de fonte qui fait perdre à la monnaie une partie de sa valeur quand elle n’est pas utilisée. C’est ce qui permet à une monnaie locale, pour une même quantité d’euros, de générer 3 à 12 fois plus d’échanges. Si ce principe est adopté, il faut en définir les périodicités et modicités.

    5. Définition et organisation des éventuels fonds d’aide à des projets de développement local.

    6. Préparer la communication : créer une plaquette d’information simple et attractive.

    7. Définir l’action de promotion pour le lancement de l’opération.

    Pour vous aider

    Des sites internet :

    Des lectures :

    • Monnaies régionales. De nouvelles voies vers une prospérité durable, Lietaer Bernard et Kennedy Margrit, Editions Charles Léopold Mayer, 2008
    • Au-delà de la crise financière, nouvelles valeurs, nouvelles richesses, sous la dir. de Carine Dartiguepeyrou, l’Harmattan, 2011
    • Les monnaies locales complémentaires, pourquoi, comment ? Philippe Derudder, éd. Yves Michel, 2012

    Un film :

    • La double face de la monnaie, de Vincent Gaillard et Jérôme Polidor

     

    Texte Anne Sophie Novel

    Dessin Le Cil Vert

     

    4 Commentaires

    1. Je porte à votre connaissance une expérimentation que je mène et visant à faire connaître et promouvoir les SEL, les monnaies complémentaires et le revenu de base :

      http://merome.net/monnaiem

      Il s’agit d’une plateforme de type « leboncoin » où l’on s’échange des biens et des services par le biais d’une monnaie virtuelle assortie d’un revenu de base. Chaque mois, tout le monde reçoit sans condition un revenu qui permet de continuer à s’échanger des choses.

      Venez nombreux !

    2. pour aller plus loin dans la démarche nous montons une assoce de type collégial (pas de leader) susceptible de chapeauter plusieurs MLCC sur un territoire donné (pour respecter les directives de la banque de FRANCE.
      Notre idée est de limiter le retour en € par un système d’interchange.
      Pour en savoir plus sur les modalités, proposer vos idées ou (mieux) participer à la mise en place d’un réseau interchange … pourquoi pas planétaire !

      lmdpt [at] orange.fr

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