Maisons de la semence :
    un espace de liberté agricole

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    Contre l’hégémonie des grands semenciers industriels, des paysans réagissent et créent des maisons de semences collectives. Exemples au Larzac et dans le Périgord.

    Comme chaque soir, Laurent Reversat monte au pré pour ramener à la bergerie ses 130 brebis, aidé de son fidèle border collie, Farine. Il vient de s’installer sur une ferme de 250 hectares, dont 38 semés de céréales et fourrage pour nourrir ses bêtes en hiver. Le reste constitue un parcours à travers le plateau calcaire et avare en eau du Larzac. Pour l’instant, Laurent ressème ses propres semences. Mais pour combien de temps ? La loi du 8 décembre 2011 sur les obtentions végétales et les semences de ferme prévoit d’imposer aux agriculteurs le rachat de nouvelles semences chaque année.

    « Les semenciers prétendent créer de la biodiversité mais fabriquent
    de l’homogénéité, et ce à partir des semences élaborées par les paysans depuis des millénaires ! », s’insurge Laurent.

    Les décrets n’étant pas encore parus, il reste cependant optimiste, et actif : il est co-fondateur de la Maison de la Semence locale. Cette maison immatérielle rassemble une trentaine d’éleveurs (tous membres de l’AVEM, association de vétérinaires et d’éleveurs de Millau), volontaires pour prendre en charge la multiplication de semences de sainfoin et de luzerne, tout en échangeant leurs expériences.

    Tout a commencé en 2006, quand Laurent Reversat rencontre Laurent Hazard, chercheur à l’Inra. Celui-ci veut travailler sur l’amélioration de la biodiversité dans les cultures fourragères : ils choisissent le sainfoin, plante très nutritive et bien adaptée au sol du Larzac. C’est pour mettre au point une « population » de sainfoin riche et diversifiée que les éleveurs créent la Maison de la Semence en 2012.

    Sur un programme financé par le ministère de l’Agriculture et piloté par l’Itab et l’Inra de Toulouse, ils embauchent Estelle Greffier, ingénieure agronome, chargée de faire vivre le réseau. Elle organise des formations, des réunions au cours desquelles les éleveurs peuvent échanger et définir les règles d’utilisation du matériel commun. Chaque structure a ses spécificités mais toutes poursuivent un objectif commun : partager des graines et des savoir-faire.  « Comme la loi de 2011 interdit l’échange et la vente de semences entre agriculteurs, la Maison de la Semence les prête, les redistribue, uniquement en interne, et en reste propriétaire », explique Estelle.

    Maisons de semences

    Les réseaux s’organisent

    C’est en Dordogne que l’association Agrobio Périgord a lancé la première Maison de la Semence française autour de 2005. « Une rumeur sur l’introduction de maïs OGM nous avait incités à chercher des graines originelles, raconte le cultivateur de maïs bio Bertrand Lassaigne. On en a retrouvé, mais très peu et présentant une dégénérescence. Le maïs a besoin d’une grande diversité de variétés, or l’utilisation de plantes hybrides a provoqué un énorme appauvrissement génétique ». De fil en aiguille, il participe à la création du Réseau Semences Paysannes en 2003. Pour retrouver les méthodes perdues (croisements, sélection, régénération d’une variété…), il participe à des voyages d’études, notamment au Brésil d’où sont originaires les maisons de graines (voir encadré).

    À la MS d’Agrobio Périgord, chacun emprunte des semences, les cultive, remplit des fiches d’expérimentation et rend au collectif trois fois la quantité prêtée. « Cette sélection évolutive (en plein champ) fournit des graines plus riches en protéines, mieux adaptées au sol et aux enjeux du changement climatique. Et leur plus faible besoin en intrants permet de réduire les charges », précise Bertrand, aujourd’hui un des administrateurs de la MS.

    Depuis 2007, celle-ci accueille des maraîchers et des jardiniers amateurs, sur les mêmes principes que les agriculteurs céréaliers.

    « Les jardiniers amateurs sont très importants pour la multiplication
    des semences, assure Bertrand. Ils font fructifier les petites quantités, insuffisantes pour le travail des agriculteurs. Et n’ayant aucune obligation
    de rentabilité, ils peuvent faire des tests. C’est essentiel pour la biodiversité. »

    La MS du plateau du Larzac a constitué une première population de sainfoin à partir des graines récupérées auprès des cultivateurs locaux. Une fois mélangées, elles ont été distribuées au printemps 2013 aux éleveurs volontaires, qui les ont mises en culture dans leur ferme. Le cycle de cette plante étant très lent, il faudra attendre 2016 pour moissonner. Les producteurs restitueront alors au moins la même quantité de graines à la MS, qui à nouveau leur distribuera le mélange. « Cette sélection évolutive prendra 4 ou 5 ans », estime Estelle Greffier. Mais le financement doit s’achever en décembre 2014. Comment pérenniser le poste d’ingénieur au-delà ? La réflexion est en cours.

    Et les semences non bio ?

    Dans la MS du Larzac, les agriculteurs, même en conventionnel, doivent s’engager à n’employer aucun intrant chimique dans la culture des graines prêtées. Dans le Périgord en revanche, les semences non bio sont admises, sans toutefois être mélangées aux autres. Selon Bertrand Lassaigne, « elles peuvent permettre de sauver une variété. Et puis la semence paysanne doit être accessible à tous, beaucoup d’agriculteurs sont venus nous voir pour les semences et se sont convertis au bio car ces cultures sont plus résistantes et nécessitent moins de béquilles chimiques. »

    En revanche, la chasse aux OGM est drastique. Tous les ans, pour vérifier que les semences en sont préservées, Agrobio Périgord envoie en laboratoire des échantillons de tous les lots de maïs récoltés. Malgré les aides des collectivités locales, cela coûte une fortune.

    L’union fait la force

    Une MS étant forcément collective, il est essentiel d’entretenir la confiance et la solidarité. C’est l’histoire combative du territoire qui a fait la force de la MS du Larzac : la lutte contre l’extension du camp militaire à partir de 1971 et la création du collectif d’éleveurs (l’AVEM, à l’origine de la Maison de la semence) en 1980 ont créé une unité à toute épreuve. « Il faut un lien social important », confirme Bertrand Lassaigne dans le Périgord, où les mouvements anti OGM ont joué ce rôle. Les éleveurs de l’AVEM sont pour moitié en bio, pour moitié en conventionnel, mais ils se rejoignent autour de valeurs communes. « Nous ne cherchons pas le consensus, mais l’unanimité, l’enthousiasme ! » sourit Laurent Reversat.

    Face aux grands semenciers et à la loi, la force des MS tient à leur statut d’expérimentatrices, garanti par les partenariats avec l’Inra, l’Itab et les collectivités territoriales.

    Le Réseau Semences Paysannes compte environ 70 collectifs, même si une dizaine seulement porte le nom de Maison de la/des Semence(s). Il leur permet de se relier, d’échanger des informations, des expériences, des contacts. Il apporte aussi des aides aux agriculteurs souhaitant créer une MS et assure une veille juridique sur une législation complexe et changeante. C’est la force du nombre qui permettra de généraliser l’utilisation des semences paysannes et d’assurer l’autonomie alimentaire. Les Maisons de semences se multiplient : « Ce n’est pas une concurrence, insiste Bertrand Lassaigne. Comme pour les graines, il faut de  la diversité dans les structures et les actions ! »

    Par Carole Testa


    Pour aller plus loin…

    À savoir

    22 organisations nationales, dont le Réseau Semences Paysannes, ont lancé la campagne « Semons la biodiversité » pour que la France inscrive dans la loi les droits des paysans sur les semences. www.semonslabiodiversite.com

    Que dit la législation?

    La loi du 8 décembre 2011 sur les Certificats d’obtentions végétales (COV) prévoit d’interdire de ressemer ses propres semences pour presque tous les légumes, fleurs, maïs, sainfoin, etc., sauf 21 espèces (dont le blé, le colza, la luzerne, la pomme de terre…) pour lesquelles le cultivateur qui ressème devra payer des royalties aux semenciers, au titre de la propriété intellectuelle (même si la semence n’a pas de droit de propriété). Le Réseau des Semences Paysannes assure une veille juridique sur ces questions. Contact : 05 53 84 44 05.

    Un mouvement mondial

    La première maison de graines a été créée par des paysans brésiliens dans les années 1990. Là-bas aussi les semences paysannes avaient quasiment disparu, rendant les paysans dépendants de semences hybrides chères et mal adaptées à leur terrain. Grâce au travail acharné de quelques passionnés, des centaines de familles ont pu se regrouper, réinvestir des terres en friche et assurer leur alimentation, tout en s’émancipant des pays du nord. On trouve aujourd’hui des Maisons de Semences sur tous les continents.

    À lire

    Produire ses graines bio : légumes, fleurs et aromatiques, Christian Boué, Terre Vivante, 2012.

    Voyage autour des blés paysans. Témoignages et expériences d’agriculteurs, de boulangers, de meuniers et de chercheurs qui travaillent les blés paysans. Édité par le Réseau Semences paysannes, 2008.

    Rapport 2013 de l’Observatoire du droit à l’alimentation et à la nutrition : « Alternatives et résistance aux politiques générant la faim ».

    Vandana Shiva pour une désobéissance créatrice, Actes Sud, novembre 2014.


    Article extrait de Kaizen 12.


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