Le lithium est utilisé depuis plusieurs décennies pour la fabrication du verre et de la céramique. Aujourd’hui, il est un composant de nos piles et batteries et constitue un enjeu majeur de la transition énergétique, notamment avec la fin des véhicules thermiques neufs en Europe à partir de 2035. On l’importe aujourd’hui d’Australie ou d’Amérique du Sud et les conditions d’extractions sont décriées sur le point environnemental et humain. Des mines sur le territoire français sont en projet, posant la question de la souveraineté nationale et de l’empreinte écologique. Décryptage.
Cet « or blanc » est au cœur des débats sur la transition écologique. Nécessaire à la production de batteries pour les véhicules électriques ou hybrides, le lithium est un élément métallique alcalin léger. Tirant son nom de lithos en latin qui signifie « croûte », il est présent en abondance dans la croûte terrestre. Cette abondance en fait une ressource stratégique dans la course à l’électrification des véhicules.
À l’heure actuelle, l’Europe importe 100% du lithium ce qui induit un coût économique et écologique dû au transport. En effet, le lithium vient de loin (principalement d’Amérique du Sud et d’Australie) et son extraction est régulièrement pointée du doigt tant pour son empreinte carbone, la pollution qu’elle émet et les conditions de travail qu’elle engendre. L’extraction du lithium engendre une pollution aérienne mais aussi souterraine avec les divers traitements nécessaires comme le chlore ou des solvants qui contaminent les nappes phréatiques. A cela s’ajoute la pollution due au transport et au raffinage du lithium pour qu’il devienne utilisable dans nos batteries.
La multinationale française Imerys a annoncé le 24 octobre dernier le projet d’ouvrir l’une des plus grandes mines de lithium d’Europe dans le Massif Central à l’horizon 2027. Elle serait capable de produire de produire 34 000 tonnes de lithium par an pendant au moins 25 ans, soit 700 000 véhicules électriques par an. Soutenu par le gouvernement, « ce projet, exemplaire sur le plan environnemental et climatique, réduira drastiquement nos besoins d’importation de lithium », a déclaré Bruno le Maire, ministre de l’économie, dans le communiqué de presse d’Imerys du 24 octobre 2022.
Un projet exemplaire ?
Or, Romain Millot[1] et Patrick D’Hugues[2], chercheurs au BRGM – Service Géologique National, rappellent que « comme toute activité industrielle, l’activité extractive est porteuse d’impacts environnementaux ». Parmi les impacts possibles, on retrouve la consommation d’énergie (en 2015, 10% de l’énergie mondiale est dédiée aux activités minières selon le BRGM), la qualité de l’air (émanation de poussières), la qualité de l’eau (contamination éventuelle et impact sur l’environnement et les populations). La gestion des déchets d’extraction est également à prendre en compte.
Selon les chercheurs, en plus de relocaliser la production, une mine en France permettrait, néanmoins de contrôler davantage les conditions de sécurité environnementales et de main d’œuvre. « De manière générale, la France et l’Europe imposent aux industriels des normes et des réglementations environnementales plus rigoureuses que dans les pays en voie de développement. Il y a par ailleurs un suivi des opérations industrielles plus rigoureux», précisent Romain Millot et Patrick D’Hugues.
Le site qui a pour projet d’être exploité se situe à Beauvoir dans l’Allier. Il s’agit d’une extraction souterraine qui limite à la fois la pollution liée aux poussières et l’impact environnemental d’une mine à ciel ouvert. Imerys annonce des émissions de CO2 plus faibles que la production actuelle avec 8 kilos par tonne de lithium, contre 16 à 20 kilos en Australie et en Chine. Ces chiffres sont ainsi à relativiser car les efforts annoncés proviennent de l’industriel lui-même.
Si le projet d’Imerys semble convaincant, il ne faut pas oublier qu’« une mine propre, ça n’a jamais existé », rappelle Michel Jarry, Président de France Nature Environnement (FNE) dans la région Auvergne Rhône-Alpes à Reporterre. Le risque peut être réduit mais n’est jamais égal à zéro.
Une production locale et souveraine
Or, pour être souveraine, la France doit développer toute une industrie du raffinage du lithium à la production des batteries. Envoyer le lithium extrait en France en Asie pour qu’il soit transformé en batteries irait à l’encontre de tout progrès sur le plan environnemental ou humain.
Le constat est là : l’Europe a voté en faveur de l’arrêt des véhicules thermique d’ici 2035. Si d’autres alternatives existent comme l’hydrogène, l’option la plus développée reste l’électrique. L’objectif est de réduire les émissions liées à la production des véhicules électriques. En effet, comme l’explique Vert le média, si l’on compare les émissions de CO2 cumulées des véhicules électriques et des véhicules diesel, les voitures « vertes » partent avec une « dette carbone » plus élevée qu’un véhicule thermique en raison de l’impact de leur production. Au fil de l’utilisation, les véhicules électriques sont plus écologiques qu’un véhicule thermique, à condition de le recharger avec une électricité décarbonée.
Un projet utile mais à surveiller
Le 3 décembre 2021, Barbara Pompili, alors ministre de la transition écologique déclarait : « Se dire, c’est pas grave, on laisse polluer ailleurs en fermant les yeux […], non, ça ne va pas. Moi, je préfère qu’on fasse les choses chez nous, et qu’on les fasse bien ». Cette sécurité des normes françaises est souvent critiquée car les annonces de réduction de la pollution sont émises par les industriels eux-mêmes et peuvent être en grande partie du greenwashing.
En Amérique du Sud (Chili, Bolivie et Argentine), le lithium provient de salars, des grands déserts de sel où l’on récupère le lithium par évaporation. Ce procédé demande d’énormes quantités d’eau qui à la sortie du circuit est très salée et ne peut pas être réutilisée en l’état.
D’autres procédés existent pour obtenir du lithium. C’est le cas des saumures géothermales. En France, elles se situent en Alsace. Elles constituent une ressource d’environ 3 800 tonnes par an et sont presque neutres en CO2. En effet, « L’empreinte CO2 du procédé développé par l’entreprise française Eramet est extrêmement faible : la technologie d’extraction directe permet de traiter directement la saumure sans la dépressuriser, et donc sans relâcher de CO2 », explique Eramet. Il reste les coûts liés aux procédés industriels nécessaires à la transformation en lithium qualité batterie et au transport. Cette alternative ouvre la voie d’un lithium décarboné et relocalisé.
Le lithium est la ressource stratégique de ces prochaines années. L’augmentation de l’électrification des véhicules pousse à chercher de nouveaux sites d’extraction pour une souveraineté européenne ou française. Or cette course à l’électrification, pour maîtriser son impact sur l’environnement, doit s’accompagner de nouvelles pratiques et d’usages plus sobres des véhicules.
[1] Directeur de Recherche – Expert Lithium
BRGM – Service Géologique National
[2] Directeur du Programme de Recherche Ressources Minérales et Économie Circulaire
BRGM – Service Géologique National