Le voilier, une alternative à l’avion ?

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    Préférer la lenteur à la vitesse, l’aventure au confort, la contemplation de la nature aux films dans les transports… Et si on partait à l’autre bout du monde en voilier, plutôt qu’en avion ? Plus écologique, cette navigation slow offre des atouts multiples pour repenser le voyage. 

    Marine à la barre du voilier, en pleine transatlantique /© Edouard Moine

    Greta Thunberg l’a promis, elle ne prendra pas l’avion pour se rendre au sommet des Nations Unies, à New York. Pointé du doigt comme étant le mode de transport le plus coûteux en dioxyde de carbone, les émissions du secteur aérien ont augmenté de 57 % entre 2000 et 2016. Continuer de prendre l’avion dans un contexte d’urgence climatique relève donc pour beaucoup d’un non-sens. Voilà donc une alternative qui pourrait plaire à la militante suédoise : traverser l’Atlantique en voilier. Choisi avant tout par envie d’aventure, replaçant le temps et la proximité avec les éléments au cœur du voyage, le voilier offre l’avantage d’un moindre impact écologique. Robert, skipper néerlandais, a traversé l’Atlantique de Porto à Saint Martin, en n’utilisant que 60 litres de diesel. « Plutôt pas mal je trouve ! » s’amuse-t-il[1].

    À son bord, deux Français de 24 ans, Marine et Edouard. Les deux amis voulaient rejoindre l’Amérique du Sud, « mais prendre l’avion aurait été trop facile », ironise Marine dans leurs vidéos de voyage, et « la transat était le grand rêve d’Edouard ». Sur internet, ils parcourent alors les sites de bourse aux équipiers où propriétaires de bateaux et voyageurs postent leurs annonces et se contactent pour organiser une co-navigation. Avec leur capitaine, Robert, son ami co-skipper et deux irlandaises, ils passent ainsi 20 jours sans voir la terre et atteignent la côte martiniquaise… au lever du soleil du 25 décembre 2018, « un super cadeau de Noël ! », témoignent-ils.

    Edouard avait pour grand rêve de vivre une transatlantique en voilier et a convaincu sa meilleure amie de l’accompagner dans cette aventure / © Marine Oulié

    Le voyage, un itinéraire plutôt qu’une destination

    En sortant des circuits touristiques et des lignes aériennes, parler de voyage revêt un véritable sens. « Le voyage, c’est préférer l’itinéraire à la destination », explique Rodolphe Christin, sociologue et auteur du Manuel de l’antitourisme (Ecosociété, 2017). « C’est l’opposé du tourisme dont l’avion est le symbole. Si on observe les aéroports, on constate qu’ils sont tous identiques : ils sont neutres en expérience. Pour que le tourisme puisse se développer, il a fallu annuler le coût psychologique et physique du départ, c’est-à-dire la sensation d’éloignement vis-à-vis de nos proches et la fatigue du trajet. »

    À bord du voilier, tout cela est terminé ! On ne voyage pas en simple passager, chacun met la main à la barre ! Tous se relaient pour des « quarts », des tours de navigation de 4 heures. Même novices, Marine et Edouard ont assimilé les bons gestes rapidement. Robert, leur capitaine, estime en moyenne à une semaine le temps d’apprentissage nécessaire. Quant aux moments de repos, « notre corps est sollicité en permanence, alors on dort beaucoup mais on cuisine également très souvent, malgré des conditions sportives ! »

    Pour profiter du voyage, le temps est essentiel ! Il en faut en effet beaucoup pour partir en voilier : trouver son skipper d’abord peut prendre des mois, attendre au port ensuite que les conditions météorologiques soient favorables à la traversée, puis naviguer avec les aléas que cela comporte. « Beaucoup de gens trouvaient que nous allions “perdre du temps“ de voyage, raconte Marine, mais nous étions justement très heureux à l’idée de prendre du temps pour nous ! S’arrêter de courir, se déconnecter, faire des choses qu’on ne prendrait pas le temps de faire habituellement, réfléchir, s’ennuyer… ».

    Pour Eric, 54 ans, équipier depuis une vingtaine d’années, « ce qu’on vient chercher en pleine mer, c’est la plénitude et la contemplation. Naviguer la nuit avec la lune est magique ! On voit même les planctons fluorescents qui brillent tout autour de nous ». « On reste émerveillés pendant 30 minutes sur le seul oiseau à la ronde, on médite », ajoutent Marine et Edouard. Quant à Robert, il résume son ressenti en un mot : « la liberté ».

    Une étendue de bleu pour seul horizon pendant des jours / © Marine Oulié et Edouard Moine

    Toucher la nature de plus près

    « Ce que j’aime, c’est le contact avec les éléments », se réjouit Eric. Plutôt que d’être observé à des milliers de kilomètres depuis son hublot, l’océan est palpable et la proximité avec la nature est forte en émotion. Imaginez-vous, seuls au centre de cette étendue bleue que nous connaissons si mal. Dauphins, baleines et poissons volants y ont émerveillé Marine et Edouard, qui voyaient ces animaux pour la première fois, et dans la beauté de leur habitat naturel !

    Isolé de la société de consommation qui nous sert nos ressources sur un plateau, le voilier incite également à plus de précautions quant à la préservation des vivres et de l’énergie. « Cela nous a fait réfléchir, surtout par rapport à l’eau dont les réserves étaient limitées », assure Marine. Il faut réapprendre aussi à se débrouiller par ses propres moyens, en pêchant ou dessalinisant sa propre eau, comme le fait Eric.

    Immense et étonnante, aussi belle qu’elle puisse être, la nature montre sa toute-puissance. Entre le vent et la mer très agitée, les deux jeunes français l’ont constaté en traversant une tempête de presque 48 heures entre Lisbonne et Tenerife : « On a pu voir que, la voile, ce n’est pas toujours en mode croisière ! ». « L’important est de préparer son équipage, leur expliquer ce qu’on attend d’eux et baisser les voiles le plus possible ! » ajoute Robert, qui a connu

    Antoine Penot, co-fondateur de Vogavecmoi , une des plateformes de bourse aux équipiers, tient à le rappeler : « Traverser l’océan en voilier reste un voyage dangereux et chaque année des bateaux disparaissent encore, peut-être deux ou trois sur mille » Eric trouve même la navigation de plus en plus dangereuse. « On ne peut plus avoir de prévision fiable au-delà de 24 h, mais on peut être parfois coupé de connexion pendant plusieurs jours. Compte tenu du dérèglement climatique, cela m’arrive de plus en plus souvent de constater que les prévisions ont changé à trois jours d’intervalle ».

    Le voilier de Robert, un « petit bout de plastique » pour une grande aventure / © Marine Oulié et Edouard Moine

    Une dimension initiatique de l’itinérance

    Entre l’humain et son environnement, le rapport de force s’inverse. Être livré à soi, ses équipiers, son bateau, dans l’immensité de l’océan force à l’humilité. « Tu te sens tout petit quand tu réalises que c’est un petit bout de plastique et tes coéquipiers qui te maintiennent en vie », ajoutent Marine et Edouard.

    Pour le sociologue Rodolphe Christin, le risque de la traversée et l’effort fourni par les voyageurs rend « l’expérience du voyage plus significative et l’expérience consumériste au cœur du tourisme moins importante ». Il affirme : « Il faut renouer avec la dimension initiatique de l’itinérance par laquelle on aborde une nouvelle connaissance des autres et de soi. »

    C’est justement ce que retiennent de Marine et Edouard, qui ont vécu leur traversée comme « une véritable expérience sociale ». « Au milieu de l’océan, quand quelque chose ne va pas, il n’est pas évident de s’isoler ! On apprend donc à s’adapter au tempérament des autres mais aussi à oublier, à passer à autre chose et le plus important : à pardonner ». C’est ainsi ensemble que l’équipage, à son arrivée en Martinique, jette une bouteille à la mer. A l’intérieur : « la recette de l’amour ».

    Robert (en haut à droite) et l’équipage qu’il a retenu pour l’accompagner dans sa transatlantique, parmi 140 candidatures

    Une alternative à l’avion, vraiment ?

    « On ne peut pas considérer le voilier comme un moyen de transport », avertit Antoine Penot de Vogavecmoi, « c’est surtout pour l’amour du voyage que les gens optent pour le voilier, rarement pour se rendre d’un point à un autre ». Mais cette solution ne serait pas non plus généralisable. « Très souvent, c’est le projet d’une vie pour les propriétaires qui embarquent des équipiers avec eux », ajoute le co-fondateur de la plateforme d’échange. Robert d’ailleurs, le skipper qui a fait monter à son bord les deux jeunes français, Marine et Edouard, préparait sa traversée depuis une dizaine d’années ! Quant à supprimer le transport aérien, le voilier ne le permet pas réellement puisque, dans le cas d’une transatlantique, les équipiers prennent un billet retour, parfois à contrecœur : « J’ai horreur de l’avion, c’est long ! », regrette Eric, malgré des semaines de traversée en voilier !

    Pour l’auteur du Manuel de l’antitourisme Rodolphe Christin, si l’on optait pour des voyages plus longs et « significatifs » en expérience, « les gens partiraient moins souvent, mais plus longtemps ». Des voyages qui seraient plus riches pour soi et plus respectueux pour la planète. Alors, prêts à hisser les voiles ?

     

    Par Laura Remoué

     

     

    [1] Le trajet exact comprenait plusieurs escales et passa donc par Porto, Lisbonne, Tenerife, La Gomera, la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin avec 6 personnes à bord, soit 10 litres de carburant par personne.

    En savoir plus

    Sur leur site A sense of adventure Marine et Edouard filment toute leur épopée, dont le transatlantique n’est qu’une étape et fournissent quelques conseils à destination de ceux qui aimeraient se lancer dans un voyage en voilier.

    Vog avec moi est l’une des plateformes de bourse aux équipiers, les deux jeunes français ayant trouvé leur skipper grâce à Find a crew. Vous pouvez y retrouver des informations pratiques pour préparer votre voyage en voilier.

    Manuel de l’antitourisme, de Rodolphe Christin aux éditions Ecosociété, 2017


    Un éco-volontaire à la barre

    Aller encore plus loin pour la planète, depuis un voilier, c’est le projet de l’association Wings of the Ocean. A bord d’un trois mats, le périple a vocation à débarrasser mers et plages de la pollution plastique, ainsi que contribuer au recensement de données et prélèvements biologiques. Débuté en octobre 2018, le projet a déjà permis la récolte de 1500 kg de plastique !


    A lire aussi :

    François Sarano, océanographe : « La mer est d’une tolérance et d’une richesse incroyable »

    Vers un tourisme plus responsable

    1 COMMENTAIRE

    1. Merci beaucoup pour ce très bel article .
      Une Société Allemande à Hambourg construit des bateaux propulsés par de grands cerfs-volants remplis de capteurs reliés aux données climatiques: vous connaissez?
      Ces cerfs-volants, souples et légers , sont très efficaces pour capter la force du vent et produisent aussi toute l’électricité nécessaire à bord … sans écrabouiller les oiseaux !
      Peut-être une bonne alternative à l’avion, la Communion avec la Nature en plus …
      ( La Société construit et expérimente également des alternatives aux éoliennes « classiques ». Elles seraient moins couteuses à installer, nécessiteraient moins de matières premières et plus faciles à entretenir… )
      Peut-être une bonne alternative à l’avion, la communion avec la Nature en plus …

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