Le recyclage se donne en spectacle

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    L’association marseillaise Artstock récupère d’anciens décors de spectacles vivants issus de toute la France, puis elle les recycle pour leur donner la chance d’habiller de nouvelles créations. Les membres de cette association ont créé le premier réseau national de développement durable artistique.

    K6 recyclage

    Mme Butterfly offrant des coquelicots au spectacle pour enfants La Lettre de Pierrot, l’esprit du festival rock WoodStower planant au-dessus de l’ancien commissariat du film Francis le Belge... Autant de réincarnations inattendues rendues possibles grâce au travail d’Artstock. Cette association s’est donné pour mission d’offrir une seconde vie à d’anciens décors d’opéras, de théâtre ou de cinéma, en les restaurant pour les louer ou les revendre à des structures culturelles plus modestes.

    L’association a été créée en 2009 par un comédien, un chef machiniste et deux scénographes, lassés de voir des décors entiers détruits à l’issue des saisons théâtrales. « Depuis des années on se disait que tout ce gaspillage était insensé », raconte Blasco Ruiz, co-directeur de l’association. Le quatuor a eu l’idée originale de les recycler. Dans un premier temps, la récupération s’organise grâce à la Toile et au bouche à oreille puis progressivement, un circuit s’installe. Aujourd’hui, l’association agit seulement après avoir établi des partenariats et des conventions avec les structures culturelles donatrices. Celles-ci s’engagent à fournir des décors pour une période d’un an renouvelable. « Les décors sont cédés à titre gracieux par le fournisseur. C’est lui aussi qui paiera leur transport et les intermittents engagés pour l’opération », explique Vincent Grangé, co-directeur d’Artstock.

    Si de grandes structures culturelles ont choisi de se tourner vers le recyclage proposé par Artstock, c’est que le coût est bien moindre. Avec l’association elles ne payent que la location du matériel servant au transfert de décors là où habituellement, elles doivent trouver et louer des locaux pour le stockage jusqu’au démontage total, payer le matériel et la main-d’œuvre pour jeter ces « déchets », et enfin l’incinération des éléments. Recourir à Arstock leur permet d’économiser du temps et des milliers d’euros.

    De son côté, l’association garantit qu’elle récupérera ces œuvres dans le but de les stocker et de les réutiliser sous certaines conditions : elle s’engage notamment à ne pas conserver la création originale dans son ensemble, seuls certains éléments y seront récupérés et remodelés pour devenir de nouveaux décors.

    Artstock a déjà mis en place ce type de convention avec Canal Plus, le Théâtre des Champs-Élysées, ou encore les Chorégies d’Orange. C’est essentiellement l’univers de l’opéra qui est sollicité en premier lieu, dans la mesure où il génère une grande quantité de déchets artistiques. Cette année, 1000 m3 de décors ont ainsi pu être récupérés au Théâtre des Champs-Élysées.

    « Les Robin des bois de l’art »

    spectacle

    Au lieu d’être brûlés, ces décors usagés sont triés puis stockés dans l’un des deux ateliers de l’association, à Manosque ou à Vierzon. Des cavernes d’Ali Baba où se mêlent toutes sortes d’objets : chaussures géantes de Cendrillon, lustre russe arrivé directement de Moscou, etc. Grâce à ces mille et une merveilles, l’association peut proposer plusieurs services. Elle met à disposition de ses membres une matériau-thèque où chacun pioche à sa guise. Outre la location ou la revente d’éléments simples prélevés sur les décors récupérés, les membres d’Artstock partagent également leur talent en proposant aux petites structures de créer des décors sur mesure. « On tient à la dimension sociale, on est un peu des Robin des bois de l’art puisqu’on prélève chez les plus grands pour donner aux plus petits », raconte Vincent Grangé.

    Ce système est un vrai paradis pour les petites compagnies, qui héritent de décors personnalisés à des coûts bien moins élevés que d’ordinaire. Emmanuel Chambert, directeur du Délirium Théâtre, est un client assidu. « Les matériaux coûtent très cher, l’élaboration d’un décor demande beaucoup d’investissement financier et de temps. Grâce à la récupération, on peut économiser des matériaux et disposer d’éléments déjà construits », reconnaît-il. À plusieurs reprises il a confié des missions à Artstock, notamment lors de ses participations au Carnaval de Marseille. Ces recycleurs d’art y ont conçu des chars et surtout une marionnette géante à l’effigie du Délirium Théâtre. Dans le cadre de cette création, l’association a fait appel à deux marionnettistes, Steffie Bayer et Anaïs Durin. Quelque part dans le Vaucluse, cachés dans un atelier perdu au milieu d’un vaste champ face aux Alpes, pendant trois jours les charpentiers artistes se sont efforcés de redonner vie à une immense tête de mort… Un regard vide, une chevelure de tulle dissimulée sous un voile de mousse, ce vestige oublié d’un décor des Chorégies d’Orange a été métamorphosé pour se réincarner en marionnette géante à Marseille. Les concepteurs ont usé de leur imagination et fouillé dans leurs ateliers pour offrir à la compagnie une matière certes recyclée, mais parfaite. Du bois, du métal, de multiples matériaux qui traînaient ont servi à l’élaboration de la marionnette : tout a été envisagé, pourvu que ce soit solide. «  J’aime bien cet esprit de débrouille », confie Steffie. La marionnettiste fait partie d’une petite compagnie, elle est habituée au système D. « Par nécessité, on a toujours construit grâce à la récup’, explique-t-elle. Avec Artstock c’est devenu un principe à défendre. C’est une sorte de solidarité matérielle. »

    Les acteurs du monde du spectacle sont nombreux à solliciter les talents d’Artstock. Parmi eux, Aurélie Garno, directrice de l’association Arprod’ et professeur de danse. Ne disposant que d’un budget restreint, elle a pu récupérer des tapis de danse presque neufs pour ses cours. «  J’avais besoin d’un tapis pour assurer la sécurité des enfants. Ce genre de matériel coûte environ 2500 euros, avec Artstock j’ai pu en obtenir de plus larges à seulement 350 euros ! »

    Développer l’emploi

    La seconde ambition de l’association est de créer des emplois. Pour chaque opération de récupération elle fait appel à des intermittents du spectacle qu’elle rémunère. Un système qui séduit les artistes : « On aime travailler sur ce genre de projet, et on nous paye à notre juste valeur ici, parfois même mieux que sur d’autres missions », confie Anaïs, l’une des deux marionnettistes. À terme, les membres d’Artstock souhaiteraient que les décors soient davantage encore générateurs d’emploi. « On aimerait vraiment faire de l’insertion professionnelle, explique Vincent Grangé. On pourrait par exemple faire appel aux personnes issues des Instituts médico-éducatifs, ou à d’anciens prisonniers. »

    Écologie artistique à grande échelle

    Artstock souhaite mettre en place plusieurs ateliers et lieux de stockages dans toute la France afin de renforcer le circuit de recyclage. Prochaine étape : Marseille,  ville natale de l’association. L’équipe aimerait y trouver un grand local pour opérer depuis la deuxième ville de France, qui s’apprête à devenir Capitale européenne de la Culture. L’enjeu est donc de taille, la multitude de spectacles prévus dans le programme de cet événement international devrait engendrer des tonnes de déchets. L’association a même été approchée par Jérôme Plaza, directeur technique de Marseille Provence 2013. Si Artstock récupérait une capitale de la culture, elle aurait de quoi renflouer son stock pour des années.

     

    Par Amina Boumazza

    Extrait de Kaizen 6.

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