Sensibilisés à l’environnement, les citoyens avertis peuvent voter pour les élus de leur choix, les consommateurs responsables opter pour tels ou tels produits. Mais comment les salariés peuvent-ils agir au travail ? C’est de cette question qu’est né en 2020 le Printemps écologique, premier écosyndicat au monde, qui entend accompagner les initiatives respectueuses du vivant en entreprise.
« Les questions écologiques étaient au centre de ma vie, et quand j’arrivais au travail, c’était comme si je me délestais de ces principes pour faire autre chose. » Anne Le Corre, cofondatrice du Printemps écologique, a travaillé pendant plusieurs années dans le secteur de l’automobile avant de rejoindre celui des services. En discutant avec d’autres salariés, collègues et amis, la jeune femme s’est rendu compte qu’elle n’était pas la seule à voir les incompatibilités grandissantes entre les valeurs qu’elle portait et celles affichées par son entreprise.
Selon une enquête de 2020, 75 % des Français considèrent que l’engagement des entreprises en matière de responsabilité sociétale est moyen, voire insuffisant. Pour rappel, la RSE implique une meilleure prise en compte des enjeux du développement durable, mais n’est contraignante que pour certaines compagnies, notamment celles qui ont plus de 500 salariés et génèrent plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Anne Le Corre et d’autres employés, issus de divers secteurs, se sont donc réunis afin de créer un espace d’échange avec leurs directions et mettre les questions environnementales sur la table. Très vite, le syndicat est apparu comme l’outil le plus adapté. Il s’agit en effet de la seule entité juridique habilitée à négocier et signer des accords collectifs, sur des sujets environnementaux par exemple. Plus largement, le syndicat permet aussi de mobiliser les salariés. « Par le passé, il a accompagné de nombreuses transitions et avancées du travail », tient à rappeler la cofondatrice.
Ne se sentant pas représentés par les syndicats traditionnels, comme la CGT ou la CFDT, Anne Le Corre, Maxim Blondeau, Erwan Pannier et Joséphine Bournonville ont décidé de fonder le Printemps écologique le 1er mai 2020, jour de la fête du Travail. Objectif de cet écosyndicat : concilier impératif écologique et justice sociale, en transformant l’appareil productif de l’intérieur.
Du menu végétarien au bilan carbone
Le jeune syndicat compte aujourd’hui une cinquantaine de bénévoles, 250 adhérents et une vingtaine de groupes locaux répartis sur toute la France. Éducation nationale, fonction publique territoriale, métallurgie, culture… Le Printemps écologique, constitué en fédération depuis début 2021, regroupe à présent neuf syndicats de branche. Parmi les vingt-deux actions priorisées dans sa Charte fédérale, on trouve le désinvestissement des activités nocives et polluantes ou encore la protection de la diversité des espèces animales et du vivant.
« Notre but, c’est d’accompagner les salariés pour qu’ils deviennent acteurs de la transition écologique au sein de leur entreprise », explique Anne Le Corre. Il s’agit notamment de développer la sensibilisation des employés via des formations, de transformer l’environnement de travail (menu végétarien, remplacement des gobelets en plastique, etc.), de changer les cadres de l’activité professionnelle, en diminuant le temps de travail ou avec la mise en place de bilans carbone. La branche Culture, médias et télécommunications a récemment lancé une pétition pour instaurer ce dispositif dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, lequel peut s’avérer particulièrement polluant via les tournages.
La cofondatrice du Printemps écologique se félicite de l’engagement croissant des salariés adhérents : « Certains tentent même d’impulser une dynamique afin de changer la raison d’être et les objectifs de leur entreprise. On l’observe plus particulièrement dans les petites structures. » Par la suite, le syndicat souhaiterait instaurer un droit de refus au sein des compagnies. Si des salariés constatent dans leur activité professionnelle des manquements ou des dommages commis à l’encontre de l’environnement, ils auraient alors la possibilité de se retirer d’une mission ou de ne pas collaborer avec tel client, sans risquer de perdre leur emploi. « C’est pouvoir faire des choix personnels au travail en lien avec ses valeurs », résume Anne Le Corre.
Concilier écologie et emploi
Depuis quelques années, une réflexion sur la transition écologique émerge également au sein des organisations syndicales traditionnelles. La CFDT a notamment initié le « Pacte du pouvoir de vivre » en 2019, et la CGT a participé à la création du collectif Plus jamais ça lancé en 2020 pour la justice sociale et le climat. Mais selon les fondateurs du Printemps écologique, la question environnementale reste « un sujet parmi d’autres » pour les syndicats traditionnels, avec qui ils espèrent tout de même engager une démarche constructive (N.D.L.R. : ils encouragent notamment la double adhésion).
Abdel, trésorier de la branche Métallurgie, partage cet avis. Dans son entreprise de la région lyonnaise, qui confectionne des pièces pour l’automobile et l’aéronautique, l’unique syndicat, CGT-FO, aborde peu les sujets environnementaux auxquels il est sensible. Élu membre du CSE sans étiquette en 2019, ce chef de projet a très vite été séduit par les valeurs portées par l’écosyndicat et s’y est investi bénévolement. Il se présentera aux élections professionnelles de 2023 sous l’étiquette Printemps écologique. Pour le moment, l’intérêt pour ce jeune syndicat est faible au sein de son entreprise, où il réalise des actions de sensibilisation. Abdel reconnaît que « vu de l’extérieur », il peut apparaître comme un « syndicat de cadres », une critique émise par le groupe politique Ingénieurs engagés. « Dans le secteur des services, l’une des branches les plus développées avec la Métallurgie, ce sont pour la plupart des jeunes, travaillant à Paris… Je ne parle pas le même langage, et je ne vis pas la même chose dans mon secteur. Moi, j’ai des gars qui ont 1 200 euros à la fin du mois et qui sont sur une chaîne de fabrication. Voilà la réalité », précise le cinquantenaire.
« La priorité, c’est de former les employés à réduire notre impact »
Conscient de la diversité des cadres de travail, l’écosyndicat laisse à chaque adhérent l’autonomie de porter les questions environnementales et des solutions adaptées en fonction de son secteur d’activité. Dans les filières dites polluantes, comme la métallurgie, concilier préservations de l’environnement et de l’emploi reste difficile. Alors que le Printemps écologique prône un désinvestissement progressif de ces secteurs les plus émetteurs, via une « décroissance sélective », Abdel préfère parler de « sobriété ». Et le débat reste ouvert au sein de l’écosyndicat.
« C’est compliqué de parler de “décroissance sélective” dans mon entreprise. Peut-être qu’un jour cela arrivera, mais pour nous, actuellement, la priorité, c’est de former les employés à réduire notre impact », assure l’élu du CSE, à l’initiative de nombreuses actions de sensibilisation dans sa société. Cet amateur du zéro déchet a notamment organisé pour les trois cents salariés un barbecue avec de la vaisselle non jetable et des bouteilles en verre consignées. Il est aussi à l’origine d’une application « Le Bon coin je donne », d’une newsletter avec des bons plans écologiques, ou encore de la distribution de paniers de légumes bio subventionnés en fonction du quotient familial.
En décembre 2020, Abdel a aussi permis la création d’une commission Environnement au sein du CSE, « avant même la loi Climat », se félicite-t-il. Promulguée le 21 juillet 2020, cette dernière prévoit en effet d’étendre les prérogatives du CSE dans les entreprises d’au moins cinquante salariés sur les questions environnementales.
Si le trésorier du syndicat Métallurgie peine à rallier d’autres employés au Printemps écologique pour les prochaines élections, il se réjouit de voir de plus en plus de cadres et ouvriers sensibilisés et engagés en faveur de l’environnement. « Ils se rendent compte que l’on peut faire autrement », conclut-il avec espoir.