Le trajet domicile-école est au cœur de la vie familiale, mais aussi des déplacements en voiture puisqu’il représente 20 % des trajets quotidiens. L’envisager autrement, et notamment à pied comme le propose le pédibus, est donc une idée pertinente, tant écologique et sociale que de santé publique.
Le soleil printanier inonde les rues paisibles de Crolles, petite ville de l’Isère blottie entre les massifs de Chartreuse et de Beldonne, à 15 minutes de Grenoble. Au détour d’une haie, des voix d’enfants viennent secouer gentiment la torpeur matinale du quartier. Il est 8 h exactement, pas question d’être en retard. Il faut vingt cinq minutes pour faire le parcours : à pied surtout, un peu en trottinette, quatre enfants accompagnés d’un adulte sont en route vers l’école. Un nouvel arrêt, indiqué par un panneau attrayant, et la file s’étoffe, ils sont maintenant une dizaine à marcher d’un bon pas. Au carrefour suivant, une autre « ligne » de pédibus vient rejoindre la joyeuse bande. Dix sept enfants, de 6 à 10 ans, et quatre mamans terminent ainsi le trajet pédestre.
Ici, le pédibus s’appelle Pédicrobus. Sur le modèle d’un car de ramassage scolaire, il permet de parcourir à pied le trajet domicile-école (mois d’un kilomètre en général), en toute sécurité, sous l’œil attentif des parents accompagnateurs. Il suit un parcours et des horaires précis et est ponctué d’arrêts déterminés où les enfants viennent l’attendre. Pour eux c’est un vrai plaisir, un temps partagé avec les copains qui leur permet en outre « d’arriver plus réveillé et en forme à l’école ».
Un processus solidaire, écologique et… sécuritaire
Les parents aussi apprécient : ce système limite la pollution automobile et inculque aux enfants les bons réflexes de mobilité sur les distances courtes. Mais les véritables motivations, celles qui rendent un tel processus pérenne, sont autres. En effet le pédibus facilite la logistique quotidienne des parents, les trajets étant répartis entre eux. Ensuite, la marche favorise une bonne santé et participe à lutter contre l’obésité. « Ce sont aussi des moments de rencontres entre adultes. Cela crée une dynamique de quartier et renforce les liens entre les familles », témoigne Isabelle Huyet, une des co-fondatrices du pédibus de Crolles. « On observe qu’en milieu rural et dans les petites communes, les pédibus marchent rapidement du fait de la convivialité que cela apporte », complète Céline Vert, en charge du programme « pédibus » pour l’association grenobloise ADTC [1]. Enfin, le pédibus facilite l’autonomie des déplacements et l’apprentissage des règles de sécurité routière. Fondamental quand on sait que les accidents de circulation augmentent chez les 11/12 ans, à l’âge où l’on commence à se déplacer seul. C’est d’ailleurs la raison qui a amené cette formule à voir le jour : en 1976 dans la ville d’Odensee au Danemark, des parents réagissent à l’augmentation des accidents graves sur le chemin de l’école en élaborant un programme « aller-retour sécuritaire pour l’école ». En 3 ans, le taux annuel d’accidents diminue de 85 %. Depuis lors le pédibus a fait le tour du monde. Ou plutôt refait, car la coutume est en réalité ancienne : dans les années 1970, 80 % des trajets se faisaient à pied contre à peine 50 % aujourd’hui.
Gare aux freins !
Le pédibus n’avance pas tout seul. Ainsi « il faut être disponible pour accompagner les enfants », témoigne Mylène Lenzy, de l’ADTC. « Nous suggérons aux parents qui ne peuvent pas assurer de trajets de s’investir plutôt dans la logistique du pédibus ». Céline Vert constate aussi que l’insécurité routière sur le trajet fait peur. « Il existe un paradoxe, confirme Isabelle Huyet : les abords des écoles sont de plus en plus congestionnés par les voitures des parents, les rendant dangereux. Ceux-ci ont donc peur que leurs enfants ne viennent à pied et privilégient d’autant plus la voiture ! C’est pourquoi on va travailler avec la commune autour des aménagements nécessaires pour sécuriser le trajet », explique-t-elle.
Par ailleurs, tous témoignent du risque d’usure. Le départ des parents fondateurs quand leur enfant passe à l’école supérieure est la cause principale de cet essoufflement. Le projet repose en général sur un noyau de personnes motivées et même si la commune prend parfois l’organisation en charge, « il faut des parents repreneurs, cela ne peut pas être une prestation de service », rappelle Céline Vert. Bruno Le Brun, parent d’élève dans la commune de Gières (38) où un pédibus a fermé, déplore aussi « la volonté de ne pas avoir de contraintes. Curieusement, les parents se sentent plus libres lorsqu’ils emmènent eux-mêmes leur enfant à l’école tous les jours ! » Aussi Isabelle Huyet recommande-t-elle une bonne communication permettant que de nouveaux enfants intègrent régulièrement le processus afin d’en assurer la continuité. « Nous y sommes très attentifs et communiquons régulièrement sur le pédibus, notamment en début d’année. » Et à voir la joie des enfants, on comprend aussitôt que l’aventure en vaut la peine !
Fiche pratique
Comment ça fonctionne ? « Crolles se prête facilement au pédibus grâce à ses petites rues, même si des aménagements et la sécurisation de certains passages ont été nécessaires, témoigne Isabelle Huyet. Les trois lignes fonctionnent par tous temps. J’accompagne le pédibus une fois par semaine, alors que mon fils l’emprunte tous les jours. Le matin uniquement, car le pédibus n’assure pas la fin de journée, ce serait trop compliqué en raison de la variabilité des horaires de sortie. En primaire les enfants sont accompagnés jusqu’à l’entrée de l’école, et en maternelle, jusqu’à leur classe. Certains pédibus assurent également un aller-retour à l’heure du déjeuner. »
1 – Créer un groupe de parents motivés : Dans le cas du Pédicrobus de Crolles, plusieurs parents, reliés au sein d’une fédération de parents d’élèves, se déplaçaient déjà à pied et à vélo. Ils songent alors à se réunir pour mieux organiser les déplacements vers l’école et peu à peu leur groupe s’élargit. Si dans ce type de démarche les parents sont volontaires, les enfants le sont également, souvent précurseurs même parce qu’ils en parlent entre eux. Les parents assurent intégralement l’accompagnement des trajets, même si dans une dynamique de lien social « on s’interroge sur la possible implication de retraités voisins pour accompagner le pédibus », explique Mylène Lenzi, de l’ADTC.
2 – Mobiliser les acteurs concernés : l’école doit impérativement être informée puisque les enfants sont susceptibles de repartir avec d’autres parents que les leurs. Les enseignants sont des relais pédagogiques indispensables, car le pédibus n’est pas seulement une chouette ballade entre copains : l’école peut ainsi sensibiliser les enfants aux transports doux et à leurs avantages écologiques. L’équipe médico-sociale peut aussi être associée au volet santé du pédibus.
La commune doit être impliquée car elle seule peut signaliser et sécuriser le trajet. Elle peut également participer à l’enquête préalable, à l’organisation du projet et en suivre la mise en place jusqu’à son démarrage. Certaines associations (comme l’ADTC sur Grenoble) offrent un soutien logistique appréciable.
3 – Mener une enquête pour déterminer les besoins : cette étape permet d’évaluer la faisabilité du futur pédibus – attentes des parents, habitudes de déplacement des enfants, effectifs, trajets… L’enquête permet aussi de connaître les réticences et de savoir si les parents sont prêt à adhérer aux contraintes d’un pédibus : accepter de confier son enfant, participer à l’organisation du pédibus et accompagner le groupe de temps en temps.
4 – Organiser le pédibus : l’étape suivante consiste à géolocaliser les familles. Sur cette base on détermine les trajets, les arrêts, les horaires, puis on élabore un calendrier indiquant quel parent accompagne le groupe et quel jour (il faut un accompagnateur pour 4 à 6 enfants). En général, une charte parents et une charte enfants sont rédigées : elles déterminent les règles de fonctionnement et les devoirs et responsabilités de chacun tout au long du trajet.
5 – Sécuriser le trajet : pose de panneaux d’arrêt, sens unique d’une rue, ralentisseurs de voitures, marquage au sol, réfection des trottoirs… La police municipale peut aider la commune à poser le diagnostic de sécurisation et intervenir dans les premiers temps pour faire respecter les nouvelles règles de non-stationnement près des écoles. Enfin, la commune peut fournir les gilets de signalisation.
Quelle responsabilité et quelle assurance ? C’est la responsabilité civile du parent qui joue pour son enfant ainsi que son assurance scolaire. L’adulte qui accompagne n’est responsable que s’il commet une faute qui engendre un accident. La responsabilité de la commune pourra aussi être engagée dans le cadre de ses obligations d’entretien de la voirie. Si une voiture cause un dommage à l’enfant, le conducteur sera bien entendu responsable.
6 – La communication : elle doit être bien travaillée, tant pour démarrer le pédibus que pour le pérenniser au fil des ans. Pour cela il est possible de distribuer des lettres d’information aux parents via le carnet scolaire, d’animer de stands à la fête de l’école, d’afficher à l’entrée de l’école des plans et horaires de pédibus…
7 – Le lancement du pédibus : une inauguration festive est essentielle, elle donne corps au pédibus et le rend visible. Cela peut prendre toutes les formes : un cortège accompagné de clowns, une fête de quartier avec l’école, etc. Certains pédibus renouvellent régulièrement la fête et organisent des concours autour de ce thème pour valoriser l’initiative et le courage des enfants… et des parents.
Liens utiles
L’ADEME (Agence de développement de maîtrise de l’énergie) propose une documentation et des outils nécessaires à la mise en place d’un pédibus, une méthodologie pour les enseignants, des points juridiques, etc. : www.ademe.fr (rubrique transport – se déplacer autrement).
Lyon : http://blogs.grandlyon.com/pedibus
Grenoble : www.adtc-grenoble.org
PACA : www.marchonsverslecole.com
Languedoc-Roussillon : www.carapattes.org
Île-de-France : www.areneidf.org
Ce dernier site met en ligne des informations concernant la semaine internationale « Marchons vers l’école », programmée en octobre et dédiée à la sensibilisation des parents et des enfants à la pratique de la marche pour se rendre à l’école. L’ARENE (Agence régionale de l’environnement et des nouvelles énergies en Île-de-France) suggère un kit pour organiser cet événement.
[1] ADTC agit pour le développement de tous les modes de déplacements autres que la voiture individuelle dans Grenoble et sa région.
Texte et photos : Séverine Millet
Extrait de la rubrique Si on le faisait de Kaizen 4.
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Connaissez vous PetitBus ? C’est un webapp qui permet de s’organiser entre parents/volontaires pour les lignes de Pedibus. N’hésitez pas à y jeter un coup d’œil !