Le bio dans les supermarchés,
    c’est pire ou c’est mieux ?

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    Une question se pose de façon récurrente à nous, pauvres homo economicus, aspirant à toute force à devenir ecologicus. Devons-nous réinventer notre modèle de société ou pouvons-nous le changer de l’intérieur ? Histoire de ne pas nous perdre dans de fumeuses considérations philosophiques, penchons-nous sur un exemple concret, qui illustre bien le problème : le bio au supermarché.

     

    Dessin : Julie Graux

     

    Commençons par étudier quelques données objectives.

    La surface agricole consacrée au bio est aujourd’hui de 3% en France. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans, mais toujours peu. Nous savons que, pour différentes raisons que je ne développerai pas ici (baisse des émissions de GES, raréfaction du pétrole bon marché, préservation de la biodiversité, de l’eau, des sols et j’en passe), il est indispensable de la faire augmenter. La question est : comment et à quel prix ?

    Le pays des grandes surfaces

    La France est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre d’hyper et de supermarchés par habitant : 1,5 pour 100 000 habitants, contre 1,3 en Allemagne et au Royaume-Uni, 1 en Belgique, 0,2 en Italie. Selon l’INSEE 1, 70 % des dépenses alimentaires se faisaient dans les grandes surfaces en 2006. C’est donc là que se trouve la plus grande partie des consommateurs. Pour ce qui est des produits bio, en 2010, 45% d’entre eux étaient vendus dans les grandes et moyennes surfaces (GMS), 34% dans les magasins spécialisés et 11% en vente directe. Restent 4% pour la restauration collective et 5% chez les petits commerçants et dans les magasins de surgelés 2.

    À première vue, il semble effectivement que vendre du bio là où la plupart des gens vont faire leurs courses est un effet de levier indéniable. Mais quel peut-être l’effet plus global de ce levier ?

    De nombreux experts, réseaux et autres curieux se penchent depuis de nombreuses années sur les effets de la grande distribution. D’autres, comme l’économiste Michael Shuman [lire Kaizen 4] se sont intéressés à l’impact de la démarche « acheter local » aux États-Unis. Jetons un œil aux fruits de leurs recherches.

    Les centrales d’achat

    Selon Christian Jacquiau, auteur de Les coulisses de la grande distribution, près de 97% des produits alimentaires (et 90% des produits de grande consommation) passent par les fourches caudines de 5 centrales d’achat. Carrefour-Promodès couvre 29 % du marché alimentaire français. Lucie – centrale d’achat commune à Leclerc et Système U – occupe 22 %. Opéra – centrale d’achats regroupant Casino-Cora mais aussi Franprix, Leader Price, Monoprix-Prisunic – 19%, Auchan 14 % et Intermarché 13 %. Cette situation place ces mastodontes en position extrêmement confortable pour constamment négocier les prix à la baisse vis-à-vis des producteurs. Pour supporter cette pression, ceux-ci sont amenés à industrialiser au maximum leurs méthodes production, cherchant à fournir des volumes importants à des prix toujours plus compétitifs.

    Le bio de grande surface suit donc la même voie d’industrialisation : pratiques presque similaires à l’agriculture conventionnelle mais avec des produits agréés par le cahier des charges de l’agriculture biologique, champs cultivés en monoculture, terres dénudées à l’extrême, forte mécanisation, etc. Par ailleurs, la France n’est pas encore en mesure de répondre à la demande croissante. Ce bio vient donc souvent de pays plus ou moins lointains (Espagne, Italie, Maroc, Chili…). Non seulement ce n’est guère satisfaisant (les ressources en eau sont bien souvent pompées aux dépens des paysans locaux, les devises profitent peu au pays, les émissions de GES ont tendance à être accrues…), mais les producteurs eux-mêmes sont bien souvent incapables de vivre du fruit de leur labeur. Comme l’affirmait l’agriculteur conventionnel Michel Morisset en 2010 3, « la grande distribution fixe des prix en dessous du coût de production. Pour 1 kg de tomates, c’est environ 80 centimes à 1 euro, pourtant la grande distribution nous l’achète à 60 centimes ! »

    Destruction d’emplois

    Autre bienfait de ce beau système de boîtes toujours plus grandes qui défigurent les abords des villes : pour un emploi créé dans les GMS, cinq sont détruits dans l’économie locale 4. Ou si l’on veut regarder les choses dans l’autre sens : à chaque fois que l’on achète auprès d’une entreprise locale le même produit, de même qualité, au même prix, on génère trois fois plus d’emplois, de revenus et de richesse, trois fois plus de taxes et d’appui aux organismes de bienfaisance 5, comme le montrent une douzaine d’études menées aux États-Unis. Ce que confirmait la Harvard Business Review en juillet 2010 en publiant un graphique montrant que « plus de petites entreprises signifie plus d’emplois ». C’est ce que Michael Schuman et le Self Reliance Institute appellent l’effet multiplicateur 6 de l’achat local.

    Pas si vertueux ?

    Résumons… Un déluge de chiffres ne fait pas forcément un raisonnement et il n’est jamais inutile de penser par soi-même. Ce que la réalité froide semble nous montrer, en vrac, est que :

    • 5 centrales d’achat sont en position d’oligopole sur la distribution de produits alimentaires ;
    • Elles sont donc libres de faire la loi sur les prix et les modes de production ;
    • Les producteurs en pâtissent largement et ont du mal à survivre ;
    • Les modes de production s’industrialisent toujours plus et la provenance des denrées est loin d’être optimisée ;
    • C’est dans ces enseignes que le maximum de personnes vient faire ses courses. C’est donc là qu’un maximum de monde peut-être touché ;
    • Pour le moment, il se vend autant de bio dans les réseaux spécialisés et en vente directe qu’en GMS ;
    • Le modèle de distribution GMS a plutôt tendance à détruire l’emploi et diminuer la richesse sur un territoire.

    Pour conclure

    Mon cerveau me dit alors la chose suivante : vouloir à tout crin développer le « bio de supermarché », sous prétexte que cela permet de toucher le plus grand nombre, revient à renforcer un système qui exploite les paysans, détruit les emplois, industrialise à l’extrême l’agriculture, concentre de plus en plus le pouvoir des centrales d’achat sur les producteurs et les consommateurs et défigure les paysages (nous n’en avons pas parlé, faute de place, mais il y aurait à en dire sur le sujet).

    Bien entendu, des initiatives isolées viennent redorer le blason de nos grandes surfaces et semer le doute dans nos esprits enclins à la bienveillance. Comme par exemple cette expérience de Système U avec les producteurs de lait ou les démarches vertueuses de certaines marques présentes en grandes surfaces qui s’approvisionnent avec des producteurs français. Mais cela résout-il fondamentalement le problème ?

     

    Par Cyril Dion

    Extrait de la rubrique Désenfumage de Kaizen 6.

     

    1 Document de l’INSEE.

    2 Agence bio rapport 2012.

    3 Libération, 19 août 2010.

    4 Christian Jacquiau, Les coulisses de la grande distribution, Albin Michel, 2000.

    5 Voir notamment ILSR.

    6 Lire L’après Wall Street sera local : Citoyens, entreprises et collectivités réinventent l’économie, Raphaël Souchier, Actes Sud (à paraître en janvier 2013).

     

    17 Commentaires

    1. J’allais poser une question un peu similaire à celle de Julie : maintenant que Naturalia fait partie du groupe Monoprix, leurs pratiques sont-elles devenues comparables à celles de la grande distrib ?

    2. J’ai 26 ans et je suis ingénieur. Bac +5.
      Pourtant. Je n’ai pas les moyens de me nourrir, moi et ma famille, entièrement en bio local.

      Les fruits et légumes restent assez facile à gérer, mais tout ce qui est viande/poisson, produits transformés et plats cuisinés sont difficilement abordables.

      Dans une grande surface, je privilégie alors les produits bio, aillant subit un meilleur traitement (je croise les doigts), devant tous les autres produits.

      Aucun producteur, bio ou non, ne semble pouvoir vivre grace à la grande distribution.
      Mais qui à les moyens de payer toute son alimentation au coût réel?

    3. Quand je vois le litre de lait frais entier en vente dans la biocoop de mon quartier à 2,5 € le litre (oui vous avez bien lu), je pense que les enseignes spécialisées n’ont pas plus de valeurs et d’éthique que les centrales d’achat de la grande distribution.
      En effet, ce n’est pas le producteur de lait (ici français) qui va mieux gagner sa vie, mais l’opportuniste qui a ouvert cette biocoop et qui considère que les consommateurs bio sont des gogos qu’on peut plumer !
      La seule solution est de monter des systèmes parallèles, par exemple en réalisant de l’achat groupé directement chez le producteur pour tout ce qui est produit en France.

    4. Solution : des systèmes de distribution parallèles (par ex des AMAPs) pour court-circuiter la grande distribution (en situation de quasi monopole en France). Depuis tellement d’années que l’on a favorisé les grandes distributions, on s’en mort maintenant les doigts.

      Pour faire une AMAP, c’est clair qu’il faut se bouger, participer, donner un coup de main, mais le jeux en vaut clairement la chandelle, et ça ne concerne pas QUE les légumes : fruits, viandes, sont possibles. Les moyens existent, il faut relier les maillons pour que ça fonctionne, du producteur au consommateur.

    5. PS : ne pas oublier non plus que « bio » est devenu une « marque », parfois mieux vaut privilégier le local pas tout à fait bio, que le bio qui a traversé le pays en camion, avec du CO2 en veux-tu en voilà.

    6. Bonjour,

      J’ai 25 ans, je suis 1200 euros par mois (en comptant les allocations) et j’ai les moyens de ne consommer que bio. Evidement, je n’ai pas d’enfants, pas de voiture, je ne fume pas, je mange très peu de plats surgelés et peu de viande. J’achète les légumes et fruits au marché (certains marché à Paris comporte des stands bio, je vous conseille celui d’Aligre à ledru rollin) ou bien via les amap. Si l’on choisi bien on trouve des marques bio moins chères. Mais il est vrai que le bio acheté au supermarché est moins cher (notamment concernant les viandes et poissons). Si on parvient à modérer sa consommation et à faire des repas copieux avec de bons produits frais, des choses simples.. le bio est à portée de tous. Il faut simplement apprendre à cuisinner ou bien manger des pâtes bio tous les jours.

    7. je travaillais en promotant le tourisme rural, et nos difficultés étaient avec les agences que vendaient nos produits… elles pretendaient toujours que les producteurs baissent les prix, mais les agences ne baissent jamais leurs commissions et revenues… maintenant que j’ai laissé le tourisme et me suis convertie en producteur organique dans mon pays, je vois les mêmes difficultés avec les intermédiaires… il faut que les producteurs soient créatifs et trouvent le moyen de fixer prix et pas laisser que ce soient les distributeurs/vendeurs grands ou petits. Nous n’avons pas besoin de travailler pour perdre, car personne va payer pour nous.

    8. Attention à ne pas oublier qu’en économie de consommation le pouvoir ultime appartient … au consommateur . J’ai personnellement entendu comment « Le petit producteur » a su faire plier les centrales d’achat , à la limite du refus de vente, car il avait su, notamment par les reseaux sociaux, provoquer la demande. Quelque part, c’est à NOUS de décider … avec notre protefeuille.
      http://www.lefigaro.fr/societes/2011/04/24/04015-20110424ARTFIG00201-le-petit-producteur-fait-un-tabac-dans-les-supermarches.php

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