Dans leur ouvrage à quatre mains Animalité. 12 clés pour comprendre la cause animale, Audrey Jougla et Laurent Baheux ont conjugué leurs travaux pour susciter une prise de conscience des enjeux de la cause animale. Les photos de Laurent Baheux nous donnent à voir les animaux comme de vraies personnes, prises sur le vif, en train d’être, d’aimer, de vivre. Les propos d’Audrey nous invitent à la réflexion.
Quelle différence entre l’animal et l’homme ? Différence de degré ou de nature ?
Il est important de maintenir la frontière entre l’animal et l’homme. Ce n’est pas une opinion répandue chez les abolitionnistes de l’exploitation animale, mais pour moi, il y a une différence de nature. L’homme a des spécificités qui lui sont propres, comme la création artistique, la spiritualité, etc. qui font qu’on ne peut pas parler de différence de degré. Cette différence de nature ne justifie pas pour autant une exploitation de l’animal par l’homme. On parle de plus en plus de « conscience » chez certains animaux… Oui, et d’ailleurs, la conscience des animaux est très souvent minimisée, comme pour dire « ils n’ont pas conscience de la mort, on peut les maltraiter »… C’est une dérive ! Certes, il y a une différence de nature, mais celle-ci nous confère le devoir de prendre soin des animaux.
Mais l’homme est un animal… Comment articuler cette dialectique ? C’est une question généralement abordée en philosophie, avec la différence de conscience du monde. On considère souvent que les mondes que connaissent les animaux sont radicalement différents du nôtre. De fait, l’animal devient la figure de l’altérité radicale. Il y a très peu de ponts possibles, ne serait-ce qu’en termes de communication, d’absence de langage commun. Donc cette différence de nature nous invite à appréhender l’altérité dans notre propre espèce. Et c’est intéressant : plus on est ouvert, plus on a de compassion, d’empathie pour les animaux, plus on sera « apte » dans nos rapports aux autres humains. Mettre l’homme au-dessus des animaux, n’est-ce pas l’autoriser à les exploiter ? Je suis abolitionniste, et je pense qu’on n’a pas le droit d’exploiter, d’utiliser les animaux pour quelque fin que ce soit. Ils ne sont pas à notre disposition, ce ne sont pas des ressources. Au contraire, on a le devoir de les protéger, de leur éviter les souffrances, quand cela est possible. Ce n’est pas parce qu’on a une « capacité » qu’on doit en user.
Comment définir le bien-être animal ? Comment identifier le degré de souffrance ?
Le bien-être animal est un terme qui a été dévoyé ! Quand on parle de bien-être animal, c’est pour parler de souffrance dans les laboratoires, dans les abattoirs, dans les élevages intensifs où il n’y a aucun bien-être animal. C’est complètement paradoxal. Le bien-être animal, c’est quand l’animal est au plus proche de son instinct et de sa vie naturelle, donc sans contraintes et pas privé de liberté. A contrario, des points limites(1) ont été mis en place pour définir, limiter la souffrance animale. C’est cynique, dit comme ça, mais à partir de certaines caractéristiques, on se doit d’arrêter d’arrêter les expériences si le résultat a été obtenu.
On aime les vaches et on les mange ?
C’est lié à l’éloignement qui a été créé par l’urbanisation. L’animal domestique a pris une place accrue parce que l’homme vivait en ville alors que l’animal sauvage, de rente, s’éloignait. On « humanise » de plus en plus les animaux dits de compagnie, mais à côté de ça, on n’a aucun problème à cautionner l’élevage cruel. Tout est fait pour qu’on évite le lien entre l’animal et le produit qu’on achète en supermarché. Finalement, du temps où il y avait des abattoirs en pleine ville comme à Paris (ceux de La Villette et de Vaugirard), avec les odeurs, les cris, on avait conscience que c’était de la viande. Aujourd’hui, la viande n’a plus sa place de viande. C’est un aliment vague qui prend le nom de « steak » ou « nuggets », mais qui n’est plus une partie de l’animal. C’est une preuve de lâcheté, pas du consommateur, mais de tout le système. C’est tout autant la responsabilité des législateurs qui autorisent ces pratiques. Le consommateur n’est qu’un maillon.
N’est-ce pas une question de valeurs ? Chacun, selon son histoire, sa culture, a un regard différent et peut« faire sa part » ?
Il me semble dangereux de laisser chacun libre de placer le curseur. Parce qu’il y a des conditions qui ne sont pas acceptables. À l’image de pratiques socialement inacceptables, il faut que la loi tranche. On peut penser à des débats éthiques concernant l’humain, comme la peine de mort, l’euthanasie. On ne peut pas laisser cette responsabilité à tout un chacun. La société dans son intégralité se doit d’être morale. Il y a des décisions morales qui incombent non plus aux citoyens, mais à la communauté. Prenons les conditions des poules pondeuses élevées en batterie, il y a un consensus et une loi a été votée pour mettre fin à cette pratique en 2022. [Dans le cadre de la loi Alimentation, un amendement a été voté le 27 mai 2018 visant à interdiretout bâtiment nouveau ou réaménagé d’élevage de poules pondeuses en cage. Après les vives réactionsde la filière OEufs, les députés ont renoncé à l’interdiction des production et vente des oeufs en batterie promise par Emmanuel Macron lors de sa campagne. NDLR]
Pourquoi un regard différent sur les animaux de compagnie et les animaux d’abattoir ?
Oui, il y a deux régimes : le régime de l’animal de compagnie et celui de l’animal pour la recherche, le cirque, l’alimentation… Le chat, comme le chien, sont devenus « intouchables », mais malheureusement trop infantilisés. On passe à côté de leurs véritables besoins et de ce qui les rend fondamentalement heureux. C’est un vrai problème avec la population urbaine qui a peu de contact avec la nature et utilise l’animal domestique pour y palier.
Mais l’émotion est le seul vecteur de communication qu’on a avec eux ?
Tout à fait, c’est ce qui permet d’entretenir l’amitié qu’on peut avoir avec un animal de compagnie : le lien est extraordinaire parce qu’on a ce registre émotionnel. Celui-là n’a rien à voir avec la sensiblerie qui ridiculise la cause animale. On a l’impression qu’on fait pleurer dans les chaumières alors qu’il y a un vrai discours rationnel et argumenté.
Propos recueillis par Pascal Greboval
Retrouvez toutes les photos de Laurent Baheux dans notre Kaizen 41 actuellement en kiosque.
POUR ALLER PLUS LOIN
Audrey Jougla, Laurent Baheux, Animalité. 12 clés pour comprendre la cause animale, Atlande, 2018.
Audrey Jougla, Profession : animal de laboratoire, Autrement, 2015.
(1) https ://www. humane-endpoints. info/fr