L’agriculture urbaine, l’espoir d’un réenchantement pour les exilés

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    S’il est bien une pratique humaine universelle, c’est l’agriculture. À Paris, le petit jardin du centre d’hébergement d’urgence Jean-Quarré a toutefois bien plus qu’une simple fonction nourricière : il offre aux migrants qui le cultivent un terrain d’échange, de souvenir et d’évasion.

     Sadiq refoule une grimace amusée devant la pâte liquide et grisâtre. « Je n’avais jamais fait de dentifrice maison ! », rigole le jeune homme de 27 ans. Pour le confectionner, il a utilisé la sauge du jardin qu’il cultive deux fois par semaine. En ce mois de janvier, la plante vivace résiste au mauvais temps. « En Afghanistan, il y a plus de soleil. Ici, il fait trop froid, les salades sont toutes petites… », soupire-t-il dans un français impeccable. Après avoir fui les talibans dans le nord-est du pays, Sadiq a traversé l’Iran, la Turquie, puis l’Europe, par le nord, avant d’arriver là, dans le centre d’hébergement d’urgence (CHU) Jean-Quarré, à Paris (19e arrondissement), où il vit depuis dix-huit mois. Symbole de la défaillance des politiques d’accueil dans la capitale à l’été 2015, squatté alors par un millier de migrants dans des conditions précaires, l’ancien lycée hôtelier a été transformé en centre d’hébergement d’urgence par Emmaüs Solidarité, qui y loge cent cinquante  hommes seuls, depuis deux ans. « On a travaillé pour en faire une structure digne et ouverte sur l’extérieur, afin de montrer qu’il existe bien une France accueillante », défend Bruno Morel, son directeur général.

    Ici, entre les grandes tours de la place des Fêtes et les cours de langue, Sadiq joue au cricket en attendant de pouvoir déposer sa demande d’asile [NDLR il a été « dubliné » dans un autre pays européen] : « On n’a pas le droit de travailler, alors le potager occupe un peu de mon temps. » Tous les lundis et jeudis, les bêches sont de sortie sur ce lopin de terre de 1 000 mètres carrés, où s’égayent tomates, courges ou ciboulette au fil des saisons. De quoi mettre un coup de râteau au règne tout-puissant de l’asphalte, bien que Yahya y constate encore le manque de « gulan », fleurs en pachtou. Arrivé il y a un mois, ce petit homme discret de 48 ans avait l’habitude d’en cultiver chez lui, en Afghanistan, où il a dû laisser femme et enfants. À travers le potager, il a trouvé un moyen de sociabilisation : « cela permet de ne pas rester tout seul à stresser en pensant à la famille », explique-t-il dans sa langue natale. Et puis, il y a découvert le poireau qui lui rappelle furieusement la « gandana », cette ciboule locale dont il raffole. Quant à Sadiq, il garde un souvenir ému des beignets de fleurs de sureau, véritable révélation culinaire. Avec l’hiver, ce sont d’autres charmes qui se dévoilent : « La semaine prochaine, on va cuisiner de la purée de topinambours, un légume qu’ils ne connaissent pas, annonce Zoé, la référente potager de l’association Vergers Urbains 1 qui gère les activités autour de cet espace. Et de notre côté, on a appris à cultiver les gombos, ce condiment tropical ! »

     

    Le champ des possibles

    Malgré un climat très différent, les plates-bandes parisiennes ont ainsi vu pousser des plants d’amarantes, d’haricots mungo ou d’oseille de Guinée – le fameux bissap – autant d’aliments essentiels dans les gastronomies soudanaise, afghane ou irakienne représentées au CHU. « Les habitants se sont vite  appropriés le potager, en y apportant leur propre façon de cultiver : certains ont surélevé les buttes, d’autres refusaient le paillage. Cela a donné lieu à des grandes discussions sur les méthodes agronomiques, que ce soit sur les techniques de bouture ou sur l’arrosage », se remémore Julian Renard, agronome ayant participé au lancement du projet avec Vergers Urbains. Un mariage des cultures qui sème les graines du vivre-ensemble, dont les migrants sont bien souvent exclus. Et tant pis si l’on ne sait pas jardiner ! Abdallah, 25 ans, était mécanicien au Soudan avant d’en partir pour raisons politiques il y a plus d’un an. Il ne sait pas (encore ?) travailler la terre, mais en attendant, il a trouvé au jardin une fonction plus récréative : « C’est là que je coupe les cheveux, j’en fais un salon de coiffure ! » L’été, le potager se transforme d’ailleurs en véritable salon de thé, où l’on vient palabrer collectivement en agrémentant son breuvage de quelques feuilles de menthe fraîche, disponible en libre-service. Plus qu’un espace agricole, le jardin est d’abord un lieu de vie, ouvert à chacun. « Il apporte de la vie et de la couleur dans le quartier, il permet un contact avec les habitants. Sans lui, le dialogue aurait été plus compliqué », raconte Marie, la coordinatrice de Vergers Urbains à Jean-Quarré. Ou comment transformer la terre, souvent source de conflits, en ressource d’intégration.

     

    Par Barnabé Binctin 

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