Chercheuse spécialiste des récifs coralliens en Polynésie française, Laetitia Hédouin porte l’espoir de préserver le corail de la « mort blanche » face au dérèglement climatique.
Ses yeux sont bleu lagon, mais son regard est sombre comme les abysses. Scientifique au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe/CNRS), en Polynésie française, Laetitia Hédouin, spécialiste du corail, s’est engagée à préserver ce « bien commun de l’humanité » menacé par le dérèglement climatique. Son laboratoire est ancré sur l’île de Moorea, dans l’envoûtante baie d’Opohunu. Comme chaque semaine, après avoir enfilé sa combinaison de plongée, Laetitia Hédouin monte à bord d’un Zodiac piloté par son collègue Yann Lacube. L’embarcation traverse un étroit chenal, puis la baie, et met le cap sur une forêt corallienne, que Laetitia a plantée en 2017 avec son équipe, au large des côtes. Une bascule arrière, et les voilà au milieu d’un paysage sur-réaliste : quarante arbres à coraux déploient leurs branches dans l’océan Pacifique. Au total, les chercheurs ont fixé 3 200 boutures coralliennes sur des structures immergées dans la zone des dix mètres de fond. Dans leur pépinière aquatique, ils cultivent des coraux qui ont résisté aux épisodes de blanchissement pour analyser leur capacité de résilience et, in fine, envisager de restaurer des récifs coralliens avec ces « super coraux ».
« Sentinelle des océans »
Laetitia Hédouin transmet cet espoir aux habitants de l’île au cours d’une conférence. Après un pédagogique exposé sur cet animal, déferlent d’impressionnants chiffres, dont celui-ci : le corail participe à 25 % de la biodiversité marine, alors que ses récifs ne représentent que 0,1 % de la surface océanique. Mais sous l’effet du réchauffement climatique, la mort blanche rôde. Comme au printemps 2019, lorsqu’elle a recouvert le sombre océan de son linceul immaculé. Laetitia Hédouin interpelle le public : « Qu’est-ce qu’on fait pour protéger cet édifice ? » Silence. La chercheuse rappelle les funestes prévisions du GIEC : si l’on ne fait rien, les températures vont augmenter de plus de 4,5 degrés d’ici à 2100. Et 70 % à 90 % des récifs coralliens pourraient disparaître. « Le corail, c’est la sentinelle des océans, s’exclame-t-elle. L’icône de l’état du vivant sur terre. Or nous ne pourrons pas vivre sans le vivant. Il faut arrêter de croire que l’on va réparer les dommages sans s’attaquer aux sources du problème. La science et la technique ne pourront pas nous sauver. La solution est connue : il s’agit de maintenir nos émissions de gaz à effet de serre en dessous de la barre des 2 degrés, d’ici à 2100. Nous sommes à ce point d’intersection où l’on peut encore agir. Pour permettre à nos enfants de vivre sur une planète hospitalière dans un avenir proche, il faut changer de cap. Comment ? En modifiant nos modes de vie, de façon radicale, dès à présent. »
Cette femme de 40 ans a elle-même un fils, né de son union avec un chercheur spécialiste, lui, de l’acidification des océans. Elle confie : « Ma prise de conscience écologique date de la naissance de Théo, en 2014. De façon concomitante, je constatais des dégâts environnementaux de plus en plus alarmants et je lisais davantage de publications scientifiques annonçant la catastrophe environnementale autour de 2050. Je me suis alors projetée, de façon très concrète, dans le monde que nous allions laisser à notre fils. J’ai pensé au jugement qu’il allait porter sur moi : “Pourquoi tu n’as rien fait ?” » Cette mère de famille change alors son mode de vie personnel : elle consomme bio, local et de saison ; mange de la viande avec parcimonie ; s’implique dans la démarche zéro déchet et diminue ses déplacements insulaires. Côté professionnel, elle évolue également et noue de nombreux partenariats. Dans ses interventions, le ton est désormais engagé. Et Laetitia Hédouin a noué de nombreux partenariats.
En 2018 et 2019, elle a ainsi été directrice scientifique du programme de recherche DeepHope, mené en association avec les plongeurs de l’extrême de l’expédition Under the Pole III, Ghislain Bardout et Emmanuelle Périé-Bardout. La mission de l’équipe consistait à réaliser un inventaire, en Polynésie française, des coraux mésophotiques, c’est-dire situés entre 30 et plus de 150 mètres de fond. À bord du « Why », le voilier d’Under the Pole, Laetitia Hédouin et deux collègues du Criobe/CNRS, ont analysé, en temps réel, plus de quatre mille coraux mésophotiques remontés par les plongeurs. Parmi lesquels, le spécimen de corail, dit constructeur de récif, le plus profond jamais prélevé au monde, à 172 mètres. L’origine de cette expédition consistait à tester l’hypothèse de Laetitia Hédouin, selon laquelle les larves de Moorea, qui avaient recolonisé le récif de surface, après un grave épisode de prolifération des étoiles de mer dévoreuses de corail, suivi d’un cyclone en 2010, venaient des grands fonds. « Ce partenariat était très constructif, estime-t-elle, puisque je n’ai pas les compétences pour plonger si loin et qu’Under the Pole souhaitait faire une expédition qui avait du sens. » Résultat de cette immersion dans des écosystèmes encore vierges : « Le bilan a dépassé mes espérances. On a, par exemple, découvert des zones à 90 mètres recouvertes à 40 % de parterre corallien alors qu’on pensait qu’il n’y en avait pas. C’est comme si le corail avait trouvé refuge en profondeur, là où l’environnement est moins dégradé. Cet animal fait preuve d’une impressionnante adaptation. À condition de lui donner du temps et de le laisser tranquille, sa physiologie se modifie pour capter le peu de lumière qui y filtre. J’avais l’impression d’être sur la route des premiers explorateurs. »
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S’inspirer de la nature
Laetitia Hédouin est également vice-présidente, chargée de la recherche, de l’Institut polynésien de biomimétisme, autre association bien décidée à sauver les coraux. Comme le définit François Briant, cofondateur, « le biomimétisme consiste à s’inspirer de la nature pour innover dans l’objectif d’une économie de l’écologie. Quand j’ai découvert ce concept, tout a fait sens. Il s’agit de penser durable dès la conception. La nature a résolu plus de problèmes que l’être humain n’en a créés. » Dans son centre de plongée basé à Papeete, sur l’île de Tahiti, à vingt minutes de bateau de Moorea, Fred Thibur, autre cofondateur, prépare un groupe de participants à une plongée biomimétique : « Pendant cette expérience de nature, l’idée est de vous transmettre le regard biomimétique. Lorsque nous plongerons, je vous invite à entrer en harmonie avec la nature. Prenez le temps d’observer l’écosystème qui évolue sous vos yeux en cherchant à analyser sa fonction et à comprendre les interactions qui se nouent entre les coraux et les autres espèces. » Chaque plongée sensorielle se prolonge par un débrief au cours duquel sont échangés observations et ressentis. Infirmière dans un service de chirurgie, Marie-Ange Collart prend à son tour la parole : « Il faudrait s’inspirer des coraux pour permettre aux patients de cicatriser, de façon naturelle, sans recours à des produits polluants. » En aparté, elle confie : « Grâce aux plongées biomimétiques, j’ai pu me rendre compte à quel point, dans la nature, tout s’imbrique. Je suis éblouie devant tant d’ingéniosité. Et de beauté. »
« Éblouie », Laetitia Hédouin l’est aussi lorsqu’elle arrive à Bora-Bora, invitée par Ia vai ma noa, « Île propre, vie propre ». L’association, présidée par Tehani Maueau, professeure de SVT sur cette île paradisiaque située à 200 kilomètres de Moorea, veille à la protection de l’environnement, notamment marin. Parmi ses nombreux projets : la sensibilisation des guides lagonaires au dérèglement climatique et l’aménagement d’une aire marine éducative. La professeure est convaincue des vertus de l’éducation empirique pour éveiller les consciences : « Le savoir théorique est essentiel. Mais quand les enfants mettront leur masque de plongée pour observer ce qui se passe sous la surface, ils pourront mieux appréhender les concepts d’émissions de gaz à effet de serre, de dérèglement du climat ou encore de blanchissement des coraux. Il s’agit de rendre visible l’invisible. » Et de trouver réponse à cette question que se pose inlassablement Laetitia Hédouin : quelle planète laisse-t-on à nos enfants ? Puis, comme un ricochet dans l’océan, quels enfants laisse-t-on à notre planète ?
Photos : Eléonore Henry de Frahan, collectif Argos
Pour aller plus loin
www.biomimetisme-polynesie.org