La slow economy ou le localisme économique

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    En partenariat avec La Lettre de l’Ecolonomie.RSouchier

    L’émergence des différents courants slow dessine les contours d’une nouvelle économie.

     

    La slow economy inspirée du « made in », relocalise, replace l’humain au centre des préoccupations, réhabilite le long terme et propose une approche transversale de la décélération. Raphaël Souchier, auteur de Made in Local, emploi, croissance, durabilité : Et si la solution était locale ? (Eyrolles), est parti à la rencontre d’entrepreneurs engagés dans la voie du localisme économique.

    La lettre de l’écolonomie : La décélération appliquée à l’économie mène-t-elle à une autre forme de prospérité que celle revendiquée par le capitalisme financier ?

    Raphaël Souchier : Au delà d’une décélération, il s’agit surtout d’un changement de paradigme. On a fonctionné sur l’idée que le progrès passait par la croissance, la consommation et le crédit. Ce modèle tourne désormais à vide. Depuis les années 80, nous assistons en effet à un décrochage de l’économie réelle, dû à la prise de pouvoir du néolibéralisme qui prône la dérégulation des marchés financiers, de la fiscalité et des impacts sociaux et environnementaux. Le monde de la finance – désormais hors sol et tout-puissant – a besoin que les entreprises réduisent les coûts pour produire un rendement financier maximum. Après avoir rationalisé et développé la productivité, il ne reste plus, selon lui, qu’à éliminer les humains de l’économie.

    La slow economy propose un renversement de perspective : la finance doit se remettre au service de l’économie, l’économie servir la société humaine et la société réapprendre à vivre en équilibre dynamique avec son environnement naturel au lieu de le détruire de façon suicidaire. Au culte de la rapidité et de l’assouvissement immédiat des pulsions, elle substitue « l’économie régénératrice » et  une renaissance des économies locales.

    Pourquoi cette slow economy est-elle régénératrice et à quoi ressemble-t-elle ?

    RS : À quoi me sert de faire du sport si mon cœur ou mes poumons sont épuisés ou malades ? La santé, c’est à la fois celle du corps et celle de toutes ses composantes. Une croyance du siècle dernier était qu’en allant à l’international on générerait suffisamment de richesses pour que le local soit à son tour prospère. En réalité, les entreprises ont souvent quitté – et continuent de fuir – leur région d’origine pour profiter de conditions sociales, fiscales et environnementales moins strictes ailleurs. Les dérégulations successives sont le fruit de la victoire idéologique de l’élite financière.

    Or il n’y aura pas de société planétaire en bonne santé tant que les économies régionales ne seront pas également de nouveau en bonne santé. Chacune des régions du monde devrait pouvoir se développer et se nourrir en affectant en priorité ses ressources à sa pleine santé, et n’échanger que ce qui est nécessaire. Ce n’est évidemment pas le cas actuellement. Les populations et les autorités de nombre de régions et de pays n’ont, en réalité, aucune maîtrise sur leurs ressources, contrôlées et parfois pillées, par les entreprises et les pays les plus puissants. La bonne nouvelle, c’est qu’une économie se développant par le moyen de la régénération de la nature et de la société sera intensive en main d’œuvre, décentralisée et productrice de richesse pour tous (rétablissement et dépollution des éco-systèmes, agriculture naturelle, éco-construction, production décentralisée d’énergie, etc).

    Nous devons être bien conscients que ce qui nous a amenés là, ce ne sont pas des « lois » économiques, mais bien un abandon politique de souveraineté. Nos gouvernements successifs ont remis les clés de la cité et celles des coffres publics aux banques.  Changer cette situation ne relève donc pas de l’économie, mais bien du politique. Cela passe par une reconquête, par les citoyens eux-mêmes, de l’imaginaire comme du pouvoir individuel et collectif.

    D’où l’importance des millions d’initiatives citoyennes que l’on voit fleurir aujourd’hui.

    Ainsi en France, des clubs d’investissement locaux et alternatifs (les Cigales), créés par des citoyens pour investir ensemble dans des projets locaux ; ou Terre de Liens, mouvement qui rachète du foncier pour le mettre à disposition de nouveaux agriculteurs ; ou encore Énergie Partagée, association qui investit dans la production décentralisée d’énergie renouvelable, comme à Béganne dans le Morbihan.

    Ce localisme économique dont découle la slow economy, existe aux États-Unis et au Canada sous la forme d’un réseau d’entrepreneurs locaux appelé Balle. Comment est-il né et que représente-t-il?

    K4 dossier Balle (5)

     

    RS : Balle (Business Alliance for Living Local Economies), l’Alliance d’Entrepreneurs pour des Économies Locales Vivantes, compte 80 réseaux locaux, 30 000 entreprises et représente pas loin d’un demi million d’emplois. Ces entrepreneurs ont fédéré des forces vives locales de tous secteurs : alimentation, énergie, construction, industrie, médias, etc. Le réseau est né de l’initiative d’une femme. Judy Wicks vit à Philadelphie. En 1983, elle a ouvert un restaurant au rez-de-chaussée de sa maison. Il a prospéré, mais ce qu’elle voulait surtout c’était qu’il soit au service de ses clients et de la communauté locale. Judy était très attachée à la qualité de la nourriture. Alertée par une émission de télévision sur les conditions de vie des porcs en élevage intensif, elle s’est mise en quête d’un fermier traitant de façon humaine et traditionnelle ses animaux, et a fait la rencontre, dans la région, d’un fermier traditionnel amish. Elle a poursuivi sa démarche en collaborant avec des producteurs locaux et n’a cessé ensuite d’essayer de relocaliser tout ce qui concernait son affaire. Dès 2001, elle créait avec d’autres chefs d’entreprises un réseau local d’entreprises soutenables, SBN – Sustainable Business of Greater Philadelphia. La même année elle lançait, avec des entrepreneurs sociaux d’autres régions, le réseau national Balle. Depuis douze ans, ce mouvement se développe et renforce les économies de leurs territoires.

    Le localisme économique ne coûte pas trop cher aux entrepreneurs dans un monde globalisé ?

    RS : Quand on achète un produit qui vient de sa région ou est vendu par un entrepreneur implanté localement, l’effet positif sur l’économie locale est forcément plus important. En Amérique du Nord, les études montrent que si on achète pour 100 dollars chez un commerçant ou un entrepreneur local indépendant, 70 vont re-circuler dans la région ; alors que si on achète chez une chaine internationale, seuls 15 à 25 dollars seront réinjectés dans l’économie locale. Ces entreprises de la slow economy ont intégré cela.

    À l’échelle de l’UE, nous devrions, nous aussi, réfléchir à ce que représente, en coût réel, l’achat hors d’Europe. Nous devrions construire une position commune. Pour stimuler le localisme économique, il importe que ces idées soient reprises partout par les réseaux d’entreprises. De même, en France, pour les collectivités territoriales qui jouent un rôle important de développeur économique ; et bien sûr les citoyens qui – en dernière instance – peuvent décider de ce qu’ils achètent ou non.  L’ère des consomm’acteurs est bien là.

    La troisième révolution industrielle et les imprimantes 3D sont-elles les meilleures alliées de la slow economy ?

    RS : Jeremy Rifkin l’a effectivement montré : l’arrivée des énergies décentralisées ouvre le chemin à une relocalisation des économies. Au delà, c’est à une renaissance de la démocratie que nous devrions assister. Les imprimantes 3D, elles, sont un symbole intéressant : elles vont contribuer à mondialiser l’information tout en localisant la production. Leur généralisation réduira le transport des objets. La circulation de l’information à travers le monde devrait être libérée, et la circulation des matières et de l’énergie se limiter à ce qui est réellement utile.

    Au delà de cet exemple, produire là où se manifeste le besoin grâce à un partage mondial de l’information et à une économie collaborative, n’est-ce pas cela le « glocal » ?

    Quel objectif s’est fixé Balle sur le long terme ?

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    RS : C’est à la fois simple et ambitieux : « Induire en une génération un mouvement mondial d’économies locales interconnectées qui travaillent en harmonie avec la nature pour rendre possible une vie saine, prospère et joyeuse pour tous et partout. » En effet, on le sait maintenant, la planète est capable de nourrir sa population. Ce qui nous manque, c’est un peu d’imagination et d’abandonner notre peur atavique du manque et de l’autre. Bref, de sortir des vieux schémas : l’illusion de la rareté a empoisonné nos esprits.

    Observez la nature : on n’y voit pas la rareté mais l’abondance. Le temps est venu pour les humains de passer enfin à la civilisation du respect des biens communs et de l’abondance partagée.

     

    Propos recueillis par Valérie Zoydo

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