La science du climat près de chez vous

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    Comment recueillir un maximum de données concernant les effets du changement climatique sur les plantes et les animaux ? En proposant au grand public de participer à une vaste opération de collecte d’observations. C’est le propos d’un programme de sciences participatives, l’Observatoire des saisons.

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    Les papillons fournissent des indices précieux sur la qualité des milieux naturels et sur la santé de nos écosystèmes.

    Les hirondelles qui arrivent plus tôt dans la saison, des arbres tardant à changer de couleur à l’automne, des fleurs précocement écloses… Le changement climatique est devenu une réalité de plus en plus sensible aujourd’hui. Chacun peut désormais l’observer depuis sa fenêtre. C’est pourquoi Isabelle Chuine, directrice du groupement de recherche sur les systèmes d’informations phénologiques pour la gestion et l’étude des changements climatiques, au sein du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE, CNRS) à Montpellier, a entrepris de collecter ces observations auprès des amateurs. En 2005, elle crée l’ODS, « Observatoire des saisons », un programme scientifique qui invite chacun d’entre nous à mesurer les conséquences du changement climatique sur la faune et la flore. Cela s’appelle de la science collaborative, citoyenne ou participative. Peu importe le vocabulaire, l’idée est toujours la même : faire de chaque citoyen un acteur bénévole de la recherche.

    L’engouement pour ce type de sciences en France ne date réellement que d’une dizaine d’années et l’ODS fait figure de précurseur, même si le programme STOC (Suivi temporel des oiseaux communs) mis en place par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) est arrivé plus tôt encore, en 1989. Les ornithologues sont déjà de vieux routiers de la science participative puisque la plupart d’entre eux consignent scrupuleusement à chacune de leurs sorties la liste des oiseaux qu’ils ont pu observer. Mais STOC n’est pas destiné au premier observateur d’hirondelles venu ! Contrairement à l’ODS, il reste réservé aux amateurs avertis.

    Une origine anglo-saxonne

    Dans le monde anglo-saxon, la pratique des sciences participatives est plus ancienne. Le premier programme, Christmas Bird Count – encore les oiseaux – est piloté depuis 1900 par la société nationale Audubon aux États-Unis. Il a permis de recueillir une base de données précieuse et incomparable. Ainsi 10 000 participants ont réalisé quelque 63 millions d’observations ornithologiques ! « Aucun des projets français actuels n’atteint l’ampleur et la portée des programmes lancés dans les pays anglo-saxons », précise Daniel Mathieu de Tela Botanica, association partenaire de l’ODS, et qui assure le suivi des observations via le site Web. La raison de ce retard français ? « Notre pays obéit plus à des logiques de structures qu’à des logiques individuelles, répond-il. Les grandes institutions de recherche hésitent à entrer en relation avec un public qu’elles connaissent peu ou mal et de son côté le public se méfie d’institutions qu’il perçoit parfois comme trop hégémoniques. »

    Le pari de l’ODS de mettre en lien chercheurs et grand public est donc ambitieux. Dans ces affaires de biodiversité et de changement climatique, il est de toute façon presque impossible de procéder autrement. Les enjeux se situent à des échelles spatiales et temporelles si vastes que la collecte de données n’est pas à la portée directe des chercheurs. « Sur ces questions, nous faisons face à l’immensité du vivant et le temps presse, alerte Isabelle Chuine. Nous ne pouvons pas attendre cinquante ans de collecte de données pour apporter des réponses. » Les « citoyens scientifiques » bénévoles sont donc devenus indispensables au monde de la science.

    La rigueur scientifique

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    Inventaire d’hétérocères (papillons de nuit)

    Encore faut-il que chacun respecte le protocole, c’est-à-dire la façon dont sont réalisées et consignées les observations. Pour être participative, cette démarche n’en demeure pas moins de la recherche, avec toute la rigueur qu’elle exige. Un point dont des chercheurs belges ont souligné la défaillance au sein d’un autre programme participatif, le suivi photographique des insectes pollinisateurs (SPIPOLL) lancé à l’initiative du Muséum national d’histoire naturelle. Ils ont dénoncé « une opération de communication déguisée d’un vernis pseudo-scientifique qui ne peut produire aucune information utile ». L’accusation est grave et, sans entrer dans les détails de la polémique, jette le doute sur les recherches participatives.

    Comment éviter cet écueil et faire participer utilement un grand public à qui on ne demande ni bagage universitaire ni même un quelconque savoir naturaliste préalable ? Il convient d’établir un protocole à la fois très précis et très simple. L’ODS propose ainsi de suivre plus de 40 espèces animales ou végétales. Le participant doit choisir celles qu’il peut observer quotidiennement (donc, en pratique, à proximité de son domicile). « Un logiciel de traitement statistique de données permet de détecter les grosses erreurs. Elles ne représentent pas plus de 5 % des observations », assure Isabelle Chuine. Et l’Observatoire pourrait mettre en place dans le futur une alerte immédiate au moment de l’entrée des données sur le site si celles-ci apparaissaient aberrantes.

    Une mobilisation parfois difficile

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    Comptage de dauphins avec l’association Peau Bleue (www.peaubleue.org)

    Le programme ODS comptabilise aujourd’hui 2500 inscrits. Un chiffre qu’Isabelle Chuine juge insuffisant, d’autant que le nombre d’observations est lui encore plus faible : il ne s’élève qu’à 1900. « Ce n’est pas beaucoup, confesse Jennifer Carré de Tela Botanica, mais c’est assez courant. La plupart des réseaux collaboratifs butent sur ce point. Seuls 10 % au plus des inscrits sont actifs. »

    Pour bénéficier de plus d’observations, il faudrait plus d’inscrits ou des bénévoles plus actifs. Le premier cas exige des moyens de communication et d’animation pour faire connaître l’ODS, ce qui n’est pas forcément compatible avec un budget réduit. Pour motiver les participants au programme, il serait bon de les associer pleinement à la recherche. C’est l’idée que défend Sylvie Blangis, également chercheuse au CEFE et experte de la recherche participative. Cela suppose de ne pas considérer les observateurs comme de simples pourvoyeurs d’informations mais également comme des partenaires auxquels il importe de diffuser les résultats obtenus. « On ne peut présenter un programme comme le nôtre sans adresser un retour efficace au public », admet d’ailleurs Isabelle Chuine qui consacre beaucoup de son temps à vulgariser ses travaux auprès du grand public.

    En outre, l’Observatoire rend compte des résultats sur le site de l’ODS mais aussi sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook, à travers des lettres d’informations et des dossiers transmis régulièrement aux observateurs bénévoles. Serait-ce insuffisant ? Sylvie Blangis estime qu’il faut aller plus loin et associer plus étroitement les citoyens scientifiques à la recherche. Cette scientifique a longtemps travaillé au Québec et poursuit actuellement un travail de recherche collaborative avec des peuples autochtones du Grand Nord, les communautés Inuits, Innues et Cries.

    « En France, aucun effort n’est fait pour construire la recherche avec les citoyens, insiste-t-elle, c’est-à-dire codéfinir les questions scientifiques pour répondre aux préoccupations des gens, mais également les faire participer à l’élaboration du protocole de recherche. »

    Pas sûr que tous les chercheurs adhèrent. Pour Isabelle Chuine, « c’est une révolution culturelle possible mais qui n’est pas applicable à toute la recherche, en particulier la recherche fondamentale ». Voilà peut-être des pistes de développement pour l’Observatoire.

     

    Par Pierre Lefèvre


    Comment participer

    Vous souhaitez devenir un citoyen scientifique pour l’ODS mais vous ignorez tout de la botanique ? Le site de l’ODS propose des fiches aidant le bénévole à identifier l’espèce et les stades phénologiques à observer (c’est-à-dire les évènements particuliers liés à la saison – comme  la floraison, la fructification ou la coloration des feuilles pour les plantes ou le retour de migration pour les animaux de chaque espèce). Le citoyen chercheur note les dates de ses relevés sur les fiches d’observation. En cas de doute, rien n’empêche de prendre une photo de la plante ou de l’animal et de la soumettre à des experts du réseau de l’ODS. Reste alors à enregistrer ces observations dans la base de données de l’Observatoire en remplissant le formulaire en ligne. Elles seront alors visibles par tous les observateurs de l’ODS sur les cartes de la rubrique.

    Un programme pédagogique

    L’Observatoire des saisons n’a pas seulement une vocation scientifique. Il constitue également un outil pédagogique pour les écoles qui se sont associées au programme. Aujourd’hui, le développement durable fait partie du socle de connaissances à l’école primaire mais il est souvent abordé suivant des concepts trop abstraits pour les enfants, et faute de formation adéquate, les enseignants ne sont pas toujours à même de les y éveiller. Participer à l’Observatoire permet aux élèves d’aborder de façon concrète de nombreux aspects de la biologie comme la reconnaissance des espèces ou le fonctionnement des plantes, mais aussi la question du changement climatique et de ses effets sur la nature. Cela facilite la prise conscience des conséquences de l’activité humaine sur notre environnement. Une façon de renouer avec la « leçon de choses » d’autrefois tout en participant à un programme de recherche national, ce qui peut s’avérer très motivant.

     


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