En 2018, le changement climatique, la biodiversité et la pollution de l’air sont au sommet des préoccupations des Français dans le baromètre des représentations sociales des problèmes environnementaux réalisé par OpinionWay pour l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Analyse avec Solange Martin, sociologue au service économie et prospective de l’Ademe et pilote de cette enquête.
Cette année, le changement climatique (22%), la biodiversité (22%) et la pollution de l’air (18%) arrivent en tête des préoccupations des Français sur les questions environnementales. Est-il possible de faire des liens entre les résultats de votre enquête et l’actualité?
Ce n’est pas parce que des choses se passent au même moment que l’on peut prouver, d’un point de vue scientifique, une causalité. Mais il existe des exceptions, notamment la courbe représentant l’attention portée au changement climatique. Elle est très accidentée et directement corrélée à l’actualité. Par exemple, le premier pic dans les années 2006-2009 correspond au prix Nobel de la paix décerné en 2007 à Al Gore et au Giec [33% en 2006, NDLR]. Durant cette période, il y a eu également le Grenelle de l’environnement, ou encore le pacte présidentiel de Nicolas Hulot. Le changement climatique était vraiment sur le devant de la scène. Ensuite, on constate un très net effondrement après la crise des subprimes en 2007-2008, la conférence de Copenhague sur les changements climatiques et le Climategate en 2009. Toute la période 2010-2013 est très morose sur ces questions [15% en 2011, NDLR]. La courbe remonte à partir de 2014 [24%, NDLR] et connaît de nouveau un pic en 2015 [32%, NDLR] au moment de la conférence de Paris. Elle redescend un peu ensuite puis remonte paradoxalement en 2017 [31%, NDLR], en raison des déclarations de Donald Trump sur le sujet, suivies des contre-déclarations d’un certain nombre de pays dont le nôtre. Ce qui a créé de nouveau de l’activité médiatique et politique sur le sujet. Cette année, les taux retombent un peu [22%, NDLR] mais pas au niveau de ceux de 2011.
Comment expliquer que cette courbe des préoccupations face au changement climatique soit aussi dépendante de l’actualité et de sa présence médiatique?
C’est un enjeu global, à une échelle qui est très au-delà de chaque individu. Donc c’est très effrayant et un peu compliqué à digérer. Comme c’est très anxiogène, s’il n’y a pas cette prise en charge collective du sujet, la question est quasiment impensable ou inassimilable pour les individus. Ce qui est assez logique parce qu’on ne peut pas à la fois vous dire que c’est un problème très important, et constater qu’aucun politique n’agit. Cela crée une dissonance cognitive. Si ce problème est vraiment majeur, alors les pouvoirs politiques, censés défendre l’intérêt commun, doivent le prendre en compte. S’ils ne le prennent pas en compte, c’est donc que ce n’est pas si important. C’est pourquoi, sur cette question, il y a une forme d’assimilation entre importance et mobilisation.
En revanche, l’attention portée à la biodiversité augmente de façon constante. Comment l’expliquer?
Cette augmentation de la préoccupation des citoyens concernant la biodiversité est liée à d’autres phénomènes congruents: la montée de la question du bien-être animal ou du régime végétarien par exemple. Il y a une sensibilité vis-à-vis de la cause animale qui est plus importante qu’auparavant car c’est aussi une question très médiatisée, en tout cas davantage que précédemment. De plus, cette question joue directement sur la fibre sensible. Les années précédentes, nous avions posé une question ouverte dans le questionnaire: «Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il y a un changement climatique?», pour essayer de comprendre quels sont les fondements des croyances. Nous nous doutions que ce n’était pas seulement le fait qu’il y ait un consensus scientifique ou que les médias en parlent, mais nous avons pu en avoir confirmation. Ce qui en est ressorti, ce sont des aspects sensibles et tangibles comme la disparition des saisons, les catastrophes naturelles, l’ours sur la banquise… Et avec la médiatisation des questions de bien-être animal, il n’est pas étonnant que la biodiversité, touchant à la fibre sensible, se retrouve parmi les préoccupations majeures des citoyens concernant les problèmes environnementaux.
Depuis 2014, chaque année, vous explorez une population spécifique. Cette année, vous avez réalisé un focus sur les chefs d’entreprise de plus de cinquante salariés. Avez-vous noté des différences importantes entre les citoyens et ces décideurs économiques?
Les chefs d’entreprise acceptent beaucoup mieux les politiques publiques mais ils sont aussi un peu moins pessimistes et inquiets que le reste de la population -les décideurs économiques sont 48% à penser que les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles si le changement climatique continue, contre 63% du côté des citoyens (1). Ce qui peut être expliqué par la différence de revenus entre autres. Quand les gens sont déjà en difficulté, ils ont potentiellement une confiance moindre dans leur capacité à dépasser des difficultés futures par rapport à ceux qui ne sont pas déjà en difficulté. On voit qu’il y a un clivage marqué dans la société entre une partie de la population très optimiste sur l’avenir et une autre partie qui l’est bien moins.
Avez-vous été surprise des résultats de l’enquête sur les décideurs économiques?
Les taux d’acceptation des mesures de politiques publiques sont très intéressants sur cet échantillon de décideurs. Les milieux économiques sont souvent présentés comme totalement réfractaires à toute régulation sur le climat. À l’évidence, cela est complètement faux. Les résultats nous ont surpris. Sur la question d’un prix fort du carbone, le taux d’acceptation est de 84%. C’est de l’ordre du plébiscite. Il est quand même rare de voir des mesures qui sont à ce point acceptées. Par ailleurs, dans le contexte des gilets jaunes, ce rapport révèle également une autre chose. À la question: «Si des changements majeurs de mode de vie étaient nécessaires, à quelles conditions les accepteriez-vous?», la réponse qui arrive largement en tête [77%, NDLR] est la suivante: à condition que les efforts à fournir soient répartis de façon équitable au sein de la population. Donc les freins ne sont pas forcément du côté des entreprises, et s’il y a des freins du côté de la population, c’est bien plus pour une question d’équité et de justice sociale que d’opposition ou de non-considération du problème en lui-même.
Propos recueillis par Marion Mauger
(1) Compte-rendu de l’enquête de l’Ademe
Pour retrouver l’enquête complète -> ici