Ce devait être le sommet de « l’ambition ». Le mot de la fin sera « déception ». La COP25 était censée paver le chemin aux dirigeants du monde pour qu’ils présentent des plans sérieux, l’an prochain, permettant de sauver l’humanité du changement climatique. Le texte présenté dimanche 15 décembre 2019, à Madrid, est loin de contenir les éléments nécessaires. Pour s’en tenir aux 1,5°C de hausse de températures, il faudra faire preuve de beaucoup plus d’ambition.
Treize jours de négociations acharnées durant cette COP25, la plus longue de l’Histoire, n’ont pas suffi à insuffler cette “ambition” au document dont elle a accouché dans la douleur. Ce mot a pourtant été martelé sans relâche à Madrid, du 2 au 15 décembre 2019. Deux jours de plus que prévu. Présidé par la ministre de l’Environnement chilienne, Carolina Schmidt, ce sommet aurait dû se tenir au Chili. Mais le pays, secoué par une crise sociale sans précédent, avait annulé le rendez-vous, fin octobre 2019. L’Espagne a donc proposé de l’accueillir et a tout organisé en un temps record. La ministre de l’Environnement espagnole, Teresa Ribera, a d’ailleurs joué un rôle de premier plan durant la rencontre.
Mais le miracle n’a pas eu lieu. La résolution du point le plus chaud des discussions, les “marchés carbone”, a été repoussée à la COP26, à Glasgow en Écosse, en novembre 2020. Ce mécanisme permet aux pays qui ont émis moins de tonnes de CO2 que prévu dans leurs plans, de revendre ces tonnes non consommées à d’autres pays. Le dernier sommet avait déjà buté dessus, en 2018 à Katowice, en Pologne. La décision avait été renvoyée à cette année. C’est un point central dans la mise en application de l’Accord de Paris.
Pour le reste : « La France regrette le manque d’ambition climatique, malgré certaines avancées », démarre sèchement la note de presse officielle, rendue publique peu après l’adoption de la décision finale, dimanche 15 décembre 2019. « C’est une déception totale, s’exclame Raquel Montón, responsable de campagne sur l’énergie et le climat de Greenpeace Espagne. Nous sommes devant une urgence climatique terrible, et la seule chose qu’ils aient pu sauver du texte est que l’on ‘parle’ d’ambition. »
Chaque année perdue nous rapproche du précipice
Au rythme où nous allons, la température moyenne dans le monde devrait avoir augmenté de 3,9°C à la fin du siècle. C’est la conclusion d’un rapport du programme des Nations unies pour le climat (PNUC), publié le 26 novembre 2019. Même si tous les pays tenaient leurs engagements de réduction de gaz à effet de serre (GES), ce qui est loin d’être le cas, la température augmenterait de 3,2 %, selon le document.
Pour rester en dessous de 1,5°C, il faudrait réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030. Donc les faire baisser de 7,6 % par an à partir de 2020. Les scientifiques du Global Carbon Project calculent que les rejets vont encore augmenter en 2019, après avoir crû de 2,1 % en 2018. Chaque année perdue rend les efforts à consentir d’ici 2030 plus importants. La fenêtre de tire pour éviter une catastrophe trop importante courrait jusqu’à 2030.
Approuvé en 2015, l’Accord de Paris prévoit que tous les signataires doivent présenter des plans d’action détaillés pour réduire leurs émissions de GES en 2020. Appelés “contributions déterminées au niveau national” (CDN), ces plans doivent permettre de contenir “l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C”.
À la COP25, le diable se cache dans les détails
« L’important pour la COP25 est de faire en sorte que les pays n’arrivent pas à la COP26 en disant : ‘Ah, mon plan n’est pas suffisant ? Je ne savais pas’, et qu’il faille attendre une année de plus », expliquait Raquel Montón, vendredi 13 décembre 2019, un peu avant l’heure prévue du verdict. Il aurait fallu un texte qui engage les parties à présenter des plans réellement ambitieux. Sans leur laisser d’échappatoire.
« Chaque phrase est négociée mot par mot. Dans le langage des Nations unies, chaque terme a un sens précis, reprend cette habituée des COP. Leur place dans une phrase, la place de la phrase dans le texte et sa formulation peut tout changer. Faire référence à la science signifie que les CDN doivent être élaborées en se basant sur des données scientifiques, faire référence au PNUC et s’appuyer sur les données de cet organisme en particulier. »
Résultat ? « La référence à la science a été maintenue dans certains cas, mais pas de façon forte », regrette Raquel Montón, , après le dénouement du sommet. Le mot “emergency”, utilisé pour se référer à l’état d’urgence en anglais, a été écarté au profit de “urgency”, nuance qui n’évoque pas l’état d’urgence. Si le texte parle encore d’ambition, ce qu’il impose aux gouvernements est loin d’assurer le succès de la COP26.
« Les pays les plus polluants – États-Unis, Chine, Inde, Japon, Brésil et Arabie Saoudite (…) – fuient leur responsabilité dans la réduction des GES. (…) Les Gouvernements les plus rétrogrades font passer le profit devant la crise planétaire », attaque l’ONG WWF dans son communiqué de presse de dimanche. Ensemble, les quatre premiers pays cités pèsent près de 47 % du CO2 libéré dans l’atmosphère en 2017 selon l’Agence internationale de l’énergie. La Chine, premier pollueur mondial (28 %), a brillé par son absence de leadership et son attentisme. Quant au Brésil, dirigé par le président climato-sceptique Jair Bolsonaro, il a été la principale source de blocage durant ce sommet, en particulier sur la question des “marchés carbone”, dont il entend tordre les règles pour pouvoir faire commerce de droits d’émissions de CO2 sans devoir limiter ses propres émissions en retour. Sur ce point, l’Australie a été le grand allié du Brésil.
L’inquiétude est d’autant plus grande que les États-Unis pourraient sortir de l’Accord de Paris l’an prochain. Le président Donald Trump a dénoncé ce texte, le 4 novembre dernier. S’il est réélu, le 3 novembre 2020, le deuxième pays le plus pollueur au monde se libérera certainement de ses engagements climatiques.
La France, elle, s’est montrée très effacée, malgré l’aura que lui confère la maternité de l’Accord de Paris. Pire, elle s’est montrée peu impliquée. La ministre de la Transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, n’a représenté l’Hexagone que le mardi.
Quelques points positifs tout de même
Mais des lueurs d’espoir subsistent. Aux États-Unis, dix états, 287 villes et “counties” se sont réunis dans la coalition “We Are Still In” pour mener un agenda climatique en cohérence avec l’Accord de Paris, malgré le retrait de l’État fédéral.
Par ailleurs, la Commission européenne a présenté son “Green New Deal” mercredi 11 décembre 2019. L’Union européenne s’engage à élaborer un plan pour baisser les émissions de GES de 55 % d’ici 2030, et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’UE pourrait ainsi donner une nouvelle impulsion à l’ambition en berne dans la lutte pour le climat, notamment en Chine, où l’on attend de voir comment les choses tournent avant de s’engager. Reste à voir si les actes suivent.
Elle est le plus puissant allié de la “Coalition de la Haute Ambition”, un groupe de 73 parties qui se sont engagées à faire pression de l’intérieur aux Nations unies, et à “travailler pour aller vers la neutralité carbone en 2050”. Présidée par les Îles Marshall, cette coalition regroupe en majorité, outre l’UE, de petits pays, très affectés par le changement climatique, mais qui eux-mêmes émettent peu de CO2. Bonne surprise : Boris Johnson, élu Premier ministre du Royaume-Uni jeudi 12 décembre 2019, annonce viser le même objectif. C’est important pour le pays organisateur de la prochaine COP.
L’espoir, enfin, vient de la jeunesse. Friday For Future, mouvement inspiré par la grève pour le climat de Greta Thunberg, a mis des dizaines de milliers de personnes dans la rue (15 000 selon la mairie madrilène, 500 000 pour les organisateurs), vendredi 6 décembre, pour exiger plus de la part des dirigeants mondiaux. Ils font monter la pression dans les couloirs et les salles de presse du sommet attirant micros, flash et caméras avec des messages directes d’une simplicité désarmante. « Nous avons dessiné des yeux sur nos mains pour qu’ils sachent que nous les regardons », avertissait une jeune activiste devant les journalistes, vendredi, peu avant l’heure prévue à l’origine pour la clôture de la COP.
Par Alban Elkaim
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