Chaque année en France, 180 000 tonnes de déchets d’emballages sont générés par la restauration rapide. Afin de réduire ces déchets, de nombreuses initiatives ont germé à l’échelle locale pour généraliser l’usage de la consigne, notamment pour la vente à emporter.
Bibak à Paris, Réutiliz à la Réunion, Dabba en Rhône-Alpes… Depuis quelques années, associations, coopératives et start-up ont développé des réseaux de consignes à une échelle locale, notamment pour la vente à emporter qui génère de nombreux déchets. L’association nationale Réseau Consigne, qui centralise et diffuse les informations sur la consigne de verre auprès des porteurs de projets depuis 2012, compte à ce jour 200 adhérents.
Le principe est simple. Le consommateur donne une caution monétaire lorsqu’il achète son plat dans une boite consignée chez un commerçant partenaire de la structure (restaurant, traiteur, boulanger, etc.). Un fois qu’il l’a utilisée, il dépose ce contenant, très souvent en verre, chez le commerçant ou un autre commerçant partenaire, et récupère ainsi sa caution. Ensuite, l’organisation ou le restaurateur se charge du lavage. Et la boîte revient en circulation.
Moderniser la consigne
En France, la consigne a peu à peu disparu dans les années 1980 suite à l’arrivée des emballages jetables. Elle a néanmoins perduré en Alsace[1], et dans le circuit des Cafés-Hôtels-Restaurants (CHR), où 30% à 40% des bouteilles sont réemployées. Mais certains commerçants français reviennent aujourd’hui à la consigne afin de s’aligner sur la règlementation à venir, fondée sur la loi AGEC. Cette loi Anti-Gaspillage pour une Economie Circulaire a pour ambition de supprimer les emballages plastiques à usage unique du marché d’ici à 2040.[2]
Pour ces projets locaux de consigne, il s’agit de simplifier et moderniser ce modèle de réemploi que nos grands-parents ont connu. Dabba en Rhone-Alpes, et Bibak à Paris, ont par exemple développé une application afin que les usagers puissent géolocaliser les commerçants partenaires. L’application permet également de digitaliser le paiement et le remboursement de la caution, ce qui simplifie la tâche des commerçants.
Depuis juin 2020, Dabba aurait évité l’utilisation de 43 000 emballages jetables [chiffres 2021]. Pour Bibak, le chiffre s’élève à 1 546 000 emballages jetables évités depuis sa création en 2018. En effet, cette start-up approvisionne également les cafétarias de grandes entreprises, dont les salariés achètent leur repas en vente à emporter. Ce n’est que depuis l’an dernier que leurs contenants sont disponibles au grand public, dans les commerces du 10e arrondissement de Paris, dans le cadre du projet « Paris s’emballe », en partenariat avec la Ville.
Un « nouveau geste » à apprendre
Selon une étude de l’ADEME, 88% des Français trouvent utile de disposer dans leurs magasins de produits consignés à des fins de réemploi. Pour Stéphane Robert, co-fondateur de Rebooteille, société coopérative d’intérêt collectif qui développe la consigne des bouteilles en verre sur Lyon, « c’est dans l’air du temps ». « La loi AGEC et la loi Climat (ndlr : la généralisation de la consigne était une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, non retenue par le gouvernement), n’ont pas rendu certes la consigne obligatoire dans l’immédiat, mais le sujet a été porté au débat public. On espère que la prochaine loi sera la bonne », témoigne l’ancien architecte. Rebooteille est passé de 20 partenaires (producteurs et distributeurs) fin 2020 à 80 partenaires fin 2021, et ils espèrent atteindre les 200 fin 2022.
Mais pour Alice Abbat, chargée de coordination à Réseau Consigne, certains obstacles demeurent. « C’est un nouveau geste qu’il faut apprendre aux clients. Aujourd’hui, ils ont l’habitude d’acheter leur repas à emporter et de jeter leur emballage une fois le repas fini. Le facteur clé du succès, c’est d’avoir un maillage serré des points de collecte, afin de faciliter le dépôt du contenant par le consommateur », explique la salariée. Plus le réseau de commerces partenaires s’étend, plus le système de consigne est attrayant.
Comme le rappelle Céline Gorin, co-fondatrice du projet « En boîte le plat »[4] et de l’association ETIC Emballages qui lutte contre les emballages jetables de manière globale, il s’agit aussi de combattre les idées reçues. « Quand il y a marqué « 100% recyclé », ou « 100% recyclable », les gens pensent que c’est super », se désole la jeune femme. Pour rappel, par rapport au recyclage, le lavage pour réemploi permet d’économiser 33% d’eau, 76% d’énergie, et d’émettre 79% de gaz à effet de serre en moins selon une étude de 2009[5]. Le réemploi permet de « compenser » l’impact initial de la fabrication d’un emballage, l’étape la plus négative du point de vue environnemental. Dans une logique également d’économie circulaire, ces réseaux de consigne travaillent avec des acteurs locaux, notamment pour le stockage et le lavage.
Du côté des restaurateurs, cela implique du travail supplémentaire (récupérer, laver, stocker les consignes, etc.), et parfois un coût financier. Le contenant réutilisable est un peu plus cher à l’unité que l’emballage jetable (30 centimes contre 10 centimes en moyenne). Mais des abonnements à ces consignes, comme le pratique « En boîte le plat » pour 20 euros par mois, permettent aux restaurateurs de s’y retrouver. Aux Clandestines à Rennes, restaurant qui sert ses plats gourmands dans les contenants en verre de l’association Pakadur, antenne locale d’« En boîte le plat », les gérantes se disent « emballées » par le concept. « On a largement réduit nos emballages jetables et la plupart de nos clients sont réceptifs », se réjouit l’une deux, Gaëlle.
L’enjeu de la livraison
Si de plus en plus de commerçants semblent intéressés par les boîtes consignées pour la vente à emporter, la livraison de ces contenants reste encore très marginale. En cause, les grandes plateformes, telles que Uber Eats ou Deliveroo, prennent une commission sur la consigne s’il s’agit d’une commande d’un plat en boîte réutilisable et ne retirent pas la TVA sur cette consigne. Par conséquent, cela coûte plus cher au consommateur.
Pour contrer cette difficulté, plusieurs structures collaborent avec des coopératives de livreurs à vélos, plus éthiques, notamment en termes de conditions de travail. Dabba travaille par exemple avec S!KLO à Grenoble, et Pakadur a comme partenaire les Coursiers rennais. De plus, une charte de la restauration livrée a été initiée par le Ministère de la Transition écologique en février 2021, afin d’inciter les plateformes à changer leurs pratiques et à expérimenter le réemploi. Pour Alice Abbat de Réseau Consigne, cette charte est une « bonne chose », mais n’est pas suffisante pour faire bouger les lignes : « C’est un engagement volontaire pour ces plateformes, un engagement non contraignant. On ne sait pas si ces expérimentations seront transformées de façon pérenne. Sans compter que ces dernières sont restées anecdotiques. Uber Eats l’a mise en place sur deux restaurants, alors qu’elle en compte 30 000 sur son application… », tient à souligner la chargée de coordination.
Pour Réseau Consigne, la généralisation du réemploi des emballages implique nécessairement une impulsion de la part des pouvoirs publics, avec la mise en place d’objectifs contraignants. Comme c’est déjà le cas chez certains de nos voisins européens. En Allemagne par exemple, dès 2023, les restaurants seront obligés de proposer une alternative réemployable pour la vente à emporter. 31% des bouteilles en verre étaient encore réemployables en 2016 dans le pays Outre-Rhin, contre 10% en France.
[1] Dans cette région du nord-est, 25 millions de bouteilles en verre sont vendues consignées chaque année, notamment au brasseur Meteor et aux producteurs d’eau Carola et Lisbeth. Ces acteurs sont fédérés au sein du Réseau Alsace Consigne.
[2] Cette loi, adoptée en février 2020, intègre des objectifs de réduction, de réemploi et du recyclage des plastiques à usage unique, qui seront définis tous les cinq ans par décret. Par exemple, depuis janvier 2022, la livraison de repas quotidiens à domicile est soumise à l’obligation de vaisselle réemployable.
[3] Cabinet Deroche Consultants en 2009 « Bilan environnemental de la bouteille en verre consignée « 75 cl Alsace » commercialisée dans l’est de la France par comparaison avec une bouteille en verre à usage unique ».
Mis à jour le 1/03/2023